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Somewhere in the Night
(Quelque part dans la nuit)
de
Joseph L. Mankiewicz (1946)
George
Taylor est démobilisé après avoir été blessé et avoir passé quelques mois à
l’hôpital. Il est totalement amnésique et aurait oublié jusqu’à son nom si ce
nom ne figurait dans son portefeuille. Dans ce portefeuille, il a trouvé une
lettre de femme, une lettre de griefs et de rupture.
Dans ses
effets personnels que lui a remis l’armée, il y a un ticket de consigne qui le
mène à une serviette contenant une lettre signée de son « copain »
Larry Cravat.
Il se met à la recherche du
copain en question. Au cours de ses recherches, il fait la connaissance de
Christy qui chante au bar « Le Caveau » ainsi que celle de Mel
Philipps, patron du Caveau, qui vont l’aider. Par Philipps, il rencontre l’inspecteur
Kendall qui lui explique que Cravat a volé deux millions de dollars, ce qui
explique que George ne soit pas le seul à le chercher.
En 1946, Mankiewicz,
ex-scénariste et ex-producteur à la
M.G.M., se lance, pour la Fox, dans la réalisation avec Dragonwick (Le
Château du dragon), un conte gothique qui porte indéniablement la marque,
au moins en ce qui concerne l’atmosphère, de son réalisateur. La même année, il
réalise ce Somewhere in the Night selon les codes en vigueur des
« polars de série B ».
Le thème le
plus courant dans le polar, c’est le fameux « Whodunit ? »,
« Qui l’a fait ? » et ce dans des styles souvent opposés qui
vont d’Hammet ou Chandler à Agatha Christie, sans parler d’Hitchcock qui y
substituera « Comment l’a-t-il fait ? » avec succès.
Le thème de
toute l’œuvre de Mankiewicz, c’est « Qui est-il/elle ? » et ses
films sont (presque) tous les puzzles d’un portrait : Nicholas Van Ryn,
George Appley, Noah Praetorius, Diello, Maria Vargas, César, Cléopâtre,
Marc-Antoine, Cecil Fox, Andrew Wyke, Milo Tindle… Dans ses œuvres les plus
fortes, ce portrait peut-être celui d’un absent (Addie Ross dans Chaînes
conjugales ou Sebastien Venable dans Soudain l’été dernier), d’un
fantôme (le capitaine Daniel Gregg dans L’Aventure de madame Muir) ou
d’un personnage raconté par les autres (Eve Harrington dans All About Eve).
Pour sa
deuxième réalisation, Mankiewicz va mélanger le thème du polar et celui du
portrait. Réalisateur spirituel, sophistiqué et cynique, il se heurte aux lois
du genre, même si Somewhere in the Night est parfaitement réussi au
niveau esthétique. Le portrait puzzle est double ici : c’est celui de
Larry Cravat (« l’absent ») et de George Taylor (« le
héros »). Le premier est très certainement un salaud, le second un brave
type. Mais tout est-il aussi simple ? La réponse est non puisque le salaud
n’en est pas tout à fait un, alors que c’est le brave type qui n’existe même
pas et qui sert de paravent à un autre (faux) brave type.
Mais
Mankiewicz veut trop bien faire : son style habituel et l’élégance de
dialogues trop brillants alourdissent une intrigue compliquée qui aurait, de
toutes façons, gagné à plus de simplicité dans son exposition.
Mankiewicz
est un très grand réalisateur (ce n’est certainement pas moi qui dirait le
contraire), mais il n’est ni Hawks, ni Huston. Au cours de sa carrière, il
réalisera d’autres films noirs : Escape en 1948, House of
Strangers (La Maison des étrangers) en 1949 et No Way Out (La Porte
s’ouvre) en 1950. Ce n’est pas pour rien que ce dernier film est sans doute
le plus mauvais de sa filmographie. Et, à ce niveau, Somewhere in the Night
est le plus réussi dans ce genre qui ne convenait guère au réalisateur de Chaînes
conjugales et de All About Eve.