mardi 6 juin 2023

Syngué Sabour, pierre de patience

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Syngué Sabour (Syngué Sabour, pierre de patience) d’Atiq Rahimi (2012)

 On l’a mariée, il y a longtemps, à un héros de guerre. A présent elle doit s’occuper de ses deux filles et soigner son mari qui a pris une balle dans la nuque.

La ville est à moitié détruite et la guerre civile fait rage (nous sommes en Afghanistan).

La jeune femme essaie de retrouver sa tante, car elle n’a plus d’argent pour soigner son mari, immobilisé.

Elle va, peu à peu, faire de ce mari sa « pierre de patience », une pierre à qui on raconte tout, même ses secrets les plus enfouis.

Au pays de la burka où une petite fille qui ose aller à l’école peut se faire vitrioler, une femme peut raconter à son mari ses secrets les plus inavouables (en Afghanistan, rien n’est avouable, surtout pour une femme) : elle peut lui dire qu’il baise comme un lapin, qu’elle éprouve de l’excitation à avoir dépucelé un jeune soldat qui la prend pour une prostituée.

Oui, elle peut dire tout ça, à la seule condition que le mari en question soit devenu un légume grabataire après avoir reçu une balle dans la nuque.

Car dans ce beau pays qui fut un fleuron de « la route de la soie », une femme doit se faire passer pour une putain pour ne pas être violée : les mâles arriérés de ce pays trouvent visiblement glorieux de forcer de leurs (passez-moi l’expression !) bites douteuses un vagin vierge, mais répugnants de le faire là où d’autres sont passés.

Les putes, donc, ne risquent que de se faire insulter et cracher dessus par ces « combattants de Dieu » qui se font appeler (c’en serait presque risible) « taliban », ce qui signifie « étudiant » ou « chercheur », de biens grands (et beaux) mots pour qualifier des tarés qui ne peuvent penser en dehors de l’opium du peuple.

Et c’est ce que nous montre ce film remarquable tout en nuance avec beaucoup de retenue (beaucoup plus que moi en tous cas ! Il faut dire que lorsque j’entends les mots « Dieu » ou « religion », je sors ma bombe atomique).

Atiq Rahimi adapte son propre livre, Prix Goncourt 2008, et, en fait un film bouleversant, une tragédie classique, il y a unité d’action, unité de temps. Et il y a presque unité de lieu : en dehors du bordel de la tante, de la rue et des quelques courtes scènes dans la cave au début du film, tout se passe dans cette pièce où cette femme soigne son mari, probablement tortionnaire quand il était valide, tout en savourant sa vengeance en attaquant ce porc sur ce que lui et les tarés de son espèce ont de plus sacré, leur virilité.

Mais ce qui fait la force du film, encore une fois, ce sont les nuances. Certes, la femme se venge, mais, par moments, on sent aussi cette sorte d’amour bizarre qu’elle lui porte.

Et le jeune soldat bègue, son client, c’est un peu ce vieux mari avant qu’il ne devienne ce vieux potentat bouffi d’orgueil et de son statut de « héros national », tout au moins avant de se faire dégommer par un aussi taré que lui.

Le casting est aussi prestigieux qu’il est peu nombreux : quatre comédiens dont il convient de n’en oublier aucun et quelques petits rôles aussi extraordinaires que cette femme qui devient folle devant les cadavres de son mari et de son fils (Malak Djaham Khazal) ou le commandant, soldat taré et sadique (impossible de trouver son nom).

Les deux rôles secondaires sont interprétés (magnifiquement) par Massi Mrowat (le jeune bègue) et Hassina Burgan (la tante, pute au grand cœur, cynique et drôle).

Quant aux rôles principaux, particulièrement délicats, ils ont trouvé leurs interprètes idéaux. Pour incarner le mari tétraplégique, le comédien Hamidreza Javdan n’a que son regard pour se défendre (dans tous les sens du terme) ; on pense à une très grande comédienne française, la grande Sylvie, dans Thérèse Raquin de Marcel Carné, où elle incarnait la belle-mère de Thérèse, victime d’une attaque après l’annonce de la mort de son fils et qui n’avait plus que ses yeux pendant la deuxième partie du film. Et que dire de Golshifteh Farahani, cette « Mère Courage » jeune, belle et vaillante qui se retrouve en position de venger toutes ses sœurs de détresse.

Le film est une coproduction franco germano afghane. C’est l’un des films les plus féministes que j’ai vu. Il y a quelques semaines, nous avons vu Wadjda, première production saoudienne, parlant de libération de la femme et réalisé par une femme.

Certains prétendent que de l’obstacle naît l’intelligence Syngué Sabour, contrairement à Wadjda n’est pas un film réalisé par une femme, mais le féminisme est le pivot de ce film et, en Afghanistan comme en Arabie Saoudite, le féminisme ne rencontre que des obstacles.

C’est peut-être ça qui le rend si intelligent.

 

Casino Royale (2006)

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Casino Royale (2006) de Martin Campbell

James Bond vient tout juste d’acquérir son matricule « 00 » en tuant un agent double du MI6 et son contact à Prague. Il est sur la trace de Le Chiffre, un homme d’affaires d’origine albanaise soupçonné d’être le banquier du terrorisme international.

 

James Bond déjoue un attentat fomenté par Le Chiffre : l’explosion d’un prototype aérien américain. Pour ruiner définitivement Le Chiffre, M charge James Bond de jouer contre lui au casino de Royale-les-Eaux au Monténégro. Le Chiffre est joueur : il mord à l’hameçon.

Pas de logo « James Bond », au début du film, pas de double zéro et l’agent secret (ici débutant) ne dit pas la fameuse phrase « My Name is Bond, James Bond ». Il n’y a pas de gadget, pas de « Q » (sans mauvais jeu de mots en français), ni de « James Bond Girl », tout au moins dans le sens « Bimbo » et pas de silhouettes de femmes nues au générique.

Si on y ajoute une séquence pré-générique en noir et blanc très froid, très « pays de l’est » (ça se passe à Prague), on se rend compte que ce Casino Royale n’est pas un toilettage de façade, mais bel et bien une remise à plat, une remise à neuf complète de la série, tant dans la forme (voir plus haut), que dans le fond : James Bond, incarné par un Daniel Craig blond aux yeux bleus, peut être blessé physiquement et psychologiquement et décoiffé après les bagarres qui nous emmènent à des kilomètres des perruques impeccables de Sean Connery.

Au niveau du générique, il y a une autre différence : comme dans les autres films, l’agent secret est le « James Bond de Ian Fleming », mais il est également mentionné qu’il est adapté du roman homonyme qui était, et ce n’est pas un hasard, le premier roman de son auteur et, par voie de conséquence, la première aventure de l’agent 007. Et le film est réellement une adaptation assez fidèle de ce premier roman, en tout cas plus fidèle que la lamentable pitrerie que la Columbia produisit sous la houlette de Charles K. Feldman et sous la direction de pas moins de cinq réalisateurs, pas plus motivés les uns que les autres en 1967.

Et c’est en James Bond jeune certes, mais humainement fragile, loin du stéréotype macho que nous avaient offert – chacun dans son style – Sean Connery, George Lazenby, Roger Moore, Timothy Dalton et Pierce Brosnan, qu’apparaît Daniel Craig dans ce film qui devrait être logiquement la fin de la série, mais, box-office oblige, ne le sera pas.

C’est d’autant plus dommage que la dernière réplique revient au tout récent 007 : « The name is Bond… James Bond » bouclant la boucle initié par le « My name is Bond » du Sean Connery de Doctor No.

Les films qui suivront feront donc de la série ce qu’elle a toujours été : une franchise.