vendredi 9 août 2024

Strange Days


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Strange Days (1995) de Kathryn Bigelow

Los Angeles, 30 décembre 1999. Un hold-up a lieu dans un restaurant chinois. La police intervient et le hold-up se termine mal. L’un des malfaiteurs tombe d’un toit.

Or, toute la scène a été vue à travers le regard de ce malfaiteur. C’est ce qu’on appelle un « Clip-Trip », scène vécue et enregistrée par le regard du protagoniste sur un mini-disc.

Un receleur essaie de vendre ce « Clip-Trip » à Lenny Nero dont le gagne-pain consiste précisément à vendre ce genre de « produits » (interdits par la loi) à des bourgeois en quête de sensations fortes sans risque.

Lenny est un ancien policier aux mœurs qui a été renvoyé. Sa petite amie, Faith, l’a plaqué pour un agent du show-biz dont la grande vedette est Jericho, un chanteur noir révolutionnaire qui vient d’être abattu par la police.

Iris, la meilleure amie de Faith est assassinée par un maniaque du « Clip-Trip ».

Musique rock agressive, esthétique « trash » de Los Angeles futuriste (?) et violence gratuite, sont les principaux ingrédients de cette œuvrette finalement passablement prétentieuse, arrosée d’un coulis assez répugnant de romantisme de bazar.

Un plan aérien du Los Angeles nocturne rappelle furieusement Blade Runner, mais ces « Jours étranges » ne savent même pas rendre hommage à leur glorieuse référence !

Les interprètes font ce qu’ils peuvent, mais ce n’est pas encore assez. Et lorsqu’arrive le final grand-guignolesque, on est très soulagé parce que c’est fini.

 

Champ d’honneur

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Champ d’honneur (1987) de Jean-Pierre Denis


En 1869, le service militaire dure cinq ans et il est obligatoire. Mais toute une classe d’âge n’est pas conscrite. La conscription se fait par tirage au sort. Seuls les mauvais numéros partent. Il est toutefois possible d’échanger un bon numéro contre argent.

Pierre Naboulet, fils de paysan pauvre, part ainsi à la place d’Armand, le fils du gros propriétaire de ce petit coin de Dordogne. Pierre abandonne sa famille et Henriette, sa fiancée.

Mais alors que le régiment de Pierre est cantonné en Alsace, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Devant l’avancée des troupes prussiennes, l’armée française bat en retraite et le régiment de Pierre est anéanti.

Pierre se cache des Prussiens. Il recueille un petit garçon alsacien qui ne parle pas français et qui est probablement orphelin. Il décide de le ramener en Dordogne.

Très belle réalisation, ce « conte populaire », selon l’aveu même de son auteur, nous plonge dans une époque et surtout dans une ambiance très peu traitée au cinéma, la guerre de 70 vue de province.

D’une remarquable sobriété, tant dans la mise en scène que dans l’interprétation, le film nous plonge littéralement dans l’époque, cette époque charnière, véritable début des temps modernes. La caméra ici n’est ni juge, ni père spirituel, elle est simplement chroniqueuse et c’est ce qui fait le charme de cette œuvre singulière et attachante.

jeudi 8 août 2024

Un mariage à Boston

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The Late George Appley (Un mariage à Boston) (1947)

de Joseph L. Mankiewicz

George Appley s’apprête à fêter Thanksgiving par un dîner familial. La famille Appley fait partie de la bonne société de Boston, en ce début du 20ème siècle. Les deux enfants de George Appley, John et Eleonor, donnent beaucoup de soucis à leur très respectable père : Eleonor fréquente un jeune homme, Howard Boulder, aux idées modernes aux théories « osées » sur la littérature et diplômé (ô horreur !!!) de Yale, au lieu de la plus traditionnelle Harvard. De plus, George Appley apprend, incidemment, que son fils « fréquente » une jeune fille qui n’est pas de leur milieu.

George Appley est tout prêt à se draper dans sa dignité de descendant d’une des plus grandes familles de Boston, mais son conservatisme, son intransigeance et son snobisme, le font exclure de la présidence de la société d’ornithologie.

Il décide alors de se faire plus « libéral ».

Les Américains ont, dés la naissance de leur pays en 1776, adopté le système républicain. Chaque « White Anglo-Saxon Protestant » prétend avoir eu des ancêtres sur le « Mayflower », ce bateau qui, au début du 17ème siècle, importa au Nouveau Monde, les fameux « Pères pèlerins » qui, malgré les revendications des américains actuels n’eurent pas de descendance puisque, puritains et majoritairement religieux, ils périrent tous d’épidémies.

Les Américains ont beau se réclamer de cette hypothétique descendance, ils n’eurent jamais de véritable aristocratie. Et comme on ne désire rien tant que ce qu’on ne pourra jamais avoir, ils ont créé leur propre aristocratie, la bourgeoisie « W.A.S.P. ». Cette secte (car c’en est bien une, bien plus dangereuse que les Puritains d’origine) sévit encore et on retrouve ses plus répugnants spécimen au sein de la « Christian Coalition », l’extrême droite républicaine[1].

Boston et Baltimore sont les deux bastions de ce conservatisme et c’est précisément Boston qui est le personnage central du 3ème film de Mankiewicz : « Boston n’est pas une ville, c’est un état d’esprit ! » dit l’un des personnages. Mankiewicz est un réalisateur fin et intelligent, mais on peut regretter ici que la charge se soit faite à fleurets mouchetés.

Comme toujours chez Mankiewicz, la réalisation est aérienne, mais elle tranche ici avec la lourdeur du scénario de Philip Dune et la banalité des dialogues, à peine rehaussés ici et là de quelques « saillies », tellement « mankiewiczienne » qu’il semble douteux que le réalisateur-auteur de Chaînes conjugales n’ait pas mis la main à la pâte (« Après tout, Freud a essayé de faire avec le sexe ce qu’Emerson a fait sans »).

Quoiqu’il en soit, la réputation de légèreté du film n’est pas usurpée : il a le charme de Mankiewicz, mais il n’en a ni la profondeur, ni le mordant. Ses « Bostoniens » sont plus ennuyeux que méchants et quand même plus « légers » que certains Amberson (« Je ne connais personne qui aime les bronzes chinois, mais j’ai la plus belle collection du monde »).

L’interprétation est excellente, mais sans génie. Les péripéties du scénario sont quelque peu répétitives jusqu’à ce happy end totalement invraisemblable.

Mais l’extrême fin revient tout de même à Mankiewicz : George Appley adresse à sa femme le même coup d’œil que celui que Cléopâtre adressera à Jules César, seize ans plus tard. La rigidité bostonienne vaut bien les boursouflures de l’entrée triomphale de la reine d’Egypte dans Rome.



[1] Un de leurs « sympathisants » sera même élu, 17 ans après la rédaction de cette note, 45ème président des États-Unis d’Amérique et pourrait bien être réélu 47ème président en novembre prochain (MàJ du 9 août 2024)

mercredi 7 août 2024

L’Emprise du crime

 

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The Strange Love of Martha Ivers (L’Emprise du crime) de Lewis Milestone (1946)

En 1928, la toute jeune Martha Ivers fugue avec son ami Sam Masterson. La jeune fille est la nièce de la très riche madame Ivers qui possède pratiquement toute la ville.

Mais Martha est rattrapée sur les ordres de sa tante et elle tue la vieille dame.

18 ans plus tard, Sam Masterson revient par hasard à Iverstone et comme il a eu un accident de voiture, il est obligé de rester jusqu’à ce que sa voiture soit réparée.

Il fait la connaissance de Toni Marachek qui vient de sortir de prison et va dîner avec la jeune femme.

Ça a beau dater de 1946, on est très loin du Grand sommeil produit la même année. Et ce n’est pas non plus le film le plus brillant de Lewis Milestone. En tous cas, on est très loin de À l’ouest, rien de nouveau.

1946, c’est aussi, accessoirement, l’année qui précède une année noire, celle où le parti « républicain » va revenir aux affaires et, après avoir rongé son frein pendant les quinze années de présidence démocrate, va exploser dans un proto-fascisme hystérique (deux ans après l’année de la victoire et l’année qui suit celle des procès de Nuremberg !).

C’est alors que sera mise en place la H.U.A.C. (House Un-American Activities Committee – commission des activités anti-américaines) de sinistre mémoire qui condamnera les dix d’Hollywood et bien d’autres parmi lesquels Lewis Milestone, le réalisateur de L’Emprise du crime et Robert Rossen le scénariste.

Lewis Milestone fuira en France. Dénoncé par Jack Warner, Robert Rossen, contraint et forcé dénoncera à son tour 57 personnes d’être communiste en 1953.

Le début du tournage de L’Emprise du crime (titre français complètement idiot, s’il en est !) est assez mouvementé avec une bonne partie de l’équipe en grève, comme tout le personnel de la Paramount.[1]

Ce n’est pas un film noir, même s’il s’en donne quelques apparences : c’est un mélo bourgeois avec meurtre, pavé mouillé et femme fatale qui va jouer les victimes pendant presque tout le film.

Lizabeth Scott n’est pas cette femme fatale : c’est la gentille fille, généralement barmaid ou chanteuse de beuglant ou la « secrétaire du privé » dans les films noirs standards. Ici, c’est une fille qui n’a pas eu de chance, une ex-taularde qui risque de retourner derrière les barreaux, mais qui va tout de même faire de l’ombre à « la femme fatale » en séduisant le « nouveau venu » qui n’est pas si nouveau que ça, puisqu’il est né dans cette petite ville. Lui, c’est Sam Masterson incarné par Van Heflin, excellent second rôle dans des films qui ne le méritent pas toujours. Dans le rôle trop bref de Mrs Ivers, on a le plaisir fugace de retrouver la Mrs Danvers de Rebecca, Judith Anderson.

C’est Barbara Stanwyck la femme fatale, rôle qu’elle surjoue un peu, ce qui était un peu dans l’air du temps. Elle retrouvera Van Heflin, trois ans plus tard, dans Ville haute, ville basse, un film plus médiocre que celui-ci.

Mais dans le rôle secondaire du mari de la femme fatale, une crapule veule, larmoyante et lamentable, on découvre un débutant de génie qui crève l’écran. Ce film est le premier d’une carrière qui ne s’interrompra que 62 ans plus tard. Et Kirk Douglas nous quittera le 20 février 2020 à l’âge de 103 ans.



[1] I Am Spartacus de Kirk Douglas (Éditions Capricci – 2013) chapitre 1 – pp. 29 à 38

mardi 6 août 2024

Champ de batailles

 

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Champ de batailles (2016) d’Edie Laconi

Lydilie Maillard et Milena Lallinec vivent avec leurs enfants dans un centre parental.

La première a un petit garçon de huit mois et son compagnon est en prison.

La deuxième a deux petites filles de 3 ans et 18 mois et leur père est également incarcéré.

L’obsession des deux jeunes femmes, c’est qu’on leur enlève leur(s) enfant(s), qu’il(s) soi(en)t placé(es)

Comme a été placé, en famille d’accueil et l’enfant de Sylvain Herbline qui vient voir son père  « en visite », accompagné par une assistante sociale.

« Elle essaya de vivre et n’y fut pas habile,

La misère est plus dure à qui ne comprend pas []

Elle ne savait pas, et vous devez me croire,

Qu’un enfant, ça diffère un peu d’une poupée… »

Bien sûr, Lydilie et Milena, contrairement à la Rose d’Anne Sylvestre, savent très bien que leurs enfants « diffèrent d’une poupée », mais ce sont de toutes jeunes femmes qu’un passé, on pourrait même dire un passif, un peu compliqué a fait plonger et qu’une grossesse (deux grossesses dans le cas de Milena) n’a certes pas arrangé.

Mais le gros problème qui nous interpelle pendant la projection de cet excellent film, c’est le jugement que toutes les femmes des services sociaux (il n’y a que des femmes dans le film) portent sur les deux femmes, un jugement peu amène, même si les admonestations sont faites sur un ton doux, quelquefois doucereux.

Quelques puissent être leurs maladresses, on est choqué de voir une toute jeune femme, presqu’une enfant qui a peur qu’on lui « retire » son fils, son bébé, simplement parce qu’on « estime » qu’à huit mois le petit garçon devrait se tenir assis. Lydilie se cabre, s’énerve et on a un peu peur de la voir déraper devant une assistante sociale dont on se demande quel est réellement le rôle puisqu’elle n’essaie même pas de rassurer et de calmer.

Et lorsque Milena s’écroule en larmes, les assistantes n’interviennent pas plus !

Edie Laconi a adopté le parti-pris de ne pas nous livrer le « background » des trois « héros », ce qui est une option intéressante. Mais l’inconvénient, c’est qu’on ne comprend pas tout : on comprend que Milena a connu la prison, c’est moins sûr pour Lydilie, mais ce qu’on comprend, c’est que leurs compagnons (et père de leurs enfants) est en prison. Celui de Lydilie la frappait.

Les plus mystérieux sont Sylvain et Stéphanie. Stéphanie semble assez indifférente alors que Sylvain est très impliqué. Du coup, on est amené à penser que Stéphanie n’est pas la mère de l’enfant. Il s’agit plutôt d’un droit de visite accordé à un père qui n’a pas le droit de garde de son enfant. A ce niveau-là, on aimerait avoir un peu plus d’explication.

Mais la scène dans laquelle Sylvain fait le ménage à fond et sort les jouets de son fils qu’il va voir pendant deux petites heures nous submerge. Et la scène où il range les mêmes jouets après le départ de l’enfant est encore plus déchirante.

J’étais seul dans la salle lorsque j’ai vu ce film, alors que des merdes sur pelloche (même lorsque la merde en question est numérique !), remplissent les salles et je ne parle pas que des blockbusters.

C’est minable !

dimanche 23 juin 2024

Hommes au bord de la crise de nerfs


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Hommes au bord de la crise de nerfs (2022) d’Audrey Dana

« Sept hommes, de 17 à 70 ans, que tout oppose, sinon d’être au bord de la crise de nerfs, se retrouvent embarqués dans une thérapie de groupe en pleine nature sauvage. Ce stage mystérieux, « exclusivement réservé aux hommes », est censé faire des miracles. Première surprise à leur arrivée : le coach est une femme ! Imprévisible et déroutante, elle va tout faire pour les aider à aller mieux. Avec ou sans leur consentement… » (Allociné)

Il y a un peu tout ce qu’on attend, c’est sans surprise, sans aspérité et sans beaucoup de saveur.

Vu le 7 juin 2022, je dois dire qu’il ne me reste aussi peu de souvenirs que si je l’avais vu à l’âge de trois ans !

Mais il faut bien réaliser que j’ai vu pas mal de films depuis (100 films en salle depuis juin 2022) ![1]



[1] Un problème qui tend à devenir récurrent, car les notes concernant ces 100 films seront faites et certaines risquent de l’être avec… difficulté !

samedi 25 mai 2024

Guêpier pour trois abeilles

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The Honey Pot (Guêpier pour trois abeilles) 

de Joseph L. Mankiewicz (1966)

Le richissime Cecil Fox se fait donner une représentation privée de Volpone de Ben Johnson à la Fenice de Venise. Interrompant cette représentation au début du 5ème acte, il regagne son palais.

Le lendemain matin, il reçoit la visite d’un certain Mc Fly qu’il a engagé comme secrétaire. Il lui dévoie alors ses intentions : comme Volpone, il va se faire passer pour mort et faire venir les trois femmes qui lui doivent leurs fortunes. Ces trois femmes sont Merle Mc Gill, une star de cinéma, Dominique, une princesse française, et la volcanique Mrs Sheridan.

Cette dernière refroidit tout le monde en déclarant dés son arrivée qu’elle ne peut être que la seule héritière puisqu’elle est toujours l’épouse de Fox.

La nuit suivante Mrs Sheridan est assassinée.

Après le catastrophique tournage de Cléopâtre, Mankiewicz déclara à un journaliste qui lui demandait quel genre de film il comptait tourner après : « Un film de cinq minutes avec deux personnages dans une cabine téléphonique ».

Ce film, il ne le tournera que quelques années plus tard et ce sera son dernier opus, Sleuth (Le Limier), un chef d’œuvre à deux personnages, même s’il ne se passe pas dans une cabine téléphonique et dure un peu plus de cinq minutes.

Derrière toutes les pirouettes, les boutades, les plaisanteries que Mankiewicz a pu faire autour des aléas de tournage de Cléopâtre, perce une réelle blessure. Au fond, Mankiewicz ne se remettra jamais vraiment de ce tournage. Et son cynisme habituel se transformera en amertume.

Il lui faudra trois ans pour tourner de nouveau. Et pendant ces trois ans, il élaborera un scénario qui sera rejeté puis adopté, mais émasculé par les producteurs. La scène finale avec la voix off de Fox donne une vague idée de ce qui aurait pu être l’un des plus beaux Mankiewicz (« Le meilleur script que j’ai écrit de toute ma vie »).

Mais le film, en l’état, n’a vraiment rien de déshonorant. Les dialogues ont la truculence et tout l’esprit de All About Eve et de Chaînes conjugales, la caméra retrouve l’élégance de Mrs Muir et des meilleurs moments de Cléopâtre et le scénario est un condensé d’intelligence mankiewiczienne, servi admirablement par Rex Harrison, Cliff Robertson, Susan Hayward, Capucine, Eddie Adams et Maggie Smith.

Ce chef d’œuvre défiguré devrait, s’il y avait une justice, faire pâlir un certain nombre de niaiseries prétentieuses qui tiennent le haut du pavé sous prétexte que les veaux s’y ruent en troupeau.

lundi 20 mai 2024

The Strange Ones

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The Strange Ones (2017) de Christopher Radcliff et Lauren Wolkestein

Sam et Nick traversent le pays à bord de leur voiture.

Sam est un gamin de 10 à 12 ans alors que Nick est un jeune homme. Ceux qui les voient supposent qu’ils sont deux frères.

Ils fuient visiblement la société des autres et finissent par décider d’aller camper en forêt.

Ça aurait pu être bien !

Ce jeune adulte et ce garçon sont-ils frères (le jeune homme est trop jeune et le garçon trop vieux pour qu’ils soient père et fils) ? Sinon que sont-ils ?

Mais comme il ne se passe rien pour résoudre cette énigme, on se laisse porter en se demandant où tout cela va nous mener.

Et visiblement, les réalisateurs-scénaristes n’en savent rien non plus.

Alors tout ce qui nous reste, ce sont de très belles images de sous-bois, puisque la dernière partie du film se passe en forêt et c’est là qu’on aura les réponses aux questions qu’on ne se pose plus depuis une heure.

En plus des belles images, il y a la qualité du casting avec Alex Pettyfer et surtout James Freedson-Jackson le stupéfiant jeune Sam.

samedi 13 avril 2024

Chair de poule

 


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Chair de poule (1963) de Julien Duvivier


David Boisset est recherché par la police à la suite d’un braquage qui a mal tourné. Il trouve refuge en Haute Provence chez Thomas, un brave garagiste qui tient une station complètement isolée avec sa deuxième femme, Maria.

 

Maria prend David en grippe, mais lorsqu’elle apprend qu’il est spécialiste des coffres-forts, elle l’oblige à vider le coffre de Thomas. Mais Thomas revient inopinément.

Bien sûr, on pense tout de suite au Facteur sonne toujours deux fois et tout le monde parle de Chair de poule (le roman de James Hadley-Chase) comme d’un plagiat du livre de Cain.

Tout compte fait, on se demande si ce « tout le monde »-là a lu le roman de Cain ou vu le film de Duvivier jusqu’au bout. Car ce n’est guère que l’amorce de l’intrigue qu’on peut comparer au Facteur…, peut-être l’ambiance et le personnage de Thomas (Nick dans Le Facteur…).

Et si le personnage de Daniel n’est pas sans rappeler Frank, Maria (la « poule » du titre à double sens), garce amorale et putain sans scrupule, n’a pas grand-chose à voir avec Cora, belle-fille sensuelle mal mariée, victime des circonstances et d’une vie injuste.

Quant au personnage de Pierre, il n’apporte rien à l’histoire (de Chair de poule, puisque le personnage n’existe pas dans Le Facteur…).

Les quatre versions cinématographiques du Facteur racontaient un drame de la fatalité.  Chair de poule est simplement un film noir, de ceux qui convenaient si bien à Duvivier.

Inexorable


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Inexorable (2021 de Fabrice Du Welz

« À la mort de son père, éditeur célèbre, Jeanne Drahi emménage dans la demeure familiale en compagnie de son mari, Marcel Bellmer, écrivain à succès, et de leur fille. Mais une étrange jeune fille, Gloria, va s’immiscer dans la vie de la famille et bouleverser l’ordre des choses... » AlloCiné

Qu’est-ce qui conditionne l’intérêt d’un film ?

Ici, il y a un bon sujet, une atmosphère plutôt bien rendue et deux très bons comédiens Benoît Poelvoorde et Mélanie Doutey.

Le troisième (Alba Gaia Bellugi) est catastrophique, mais elle n’explique pas à elle seule à expliquer le ratage de ce film sans le moindre intérêt.

mardi 9 avril 2024

Quelque part dans la nuit

 


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Somewhere in the Night (Quelque part dans la nuit)

de Joseph L. Mankiewicz (1946)

George Taylor est démobilisé après avoir été blessé et avoir passé quelques mois à l’hôpital. Il est totalement amnésique et aurait oublié jusqu’à son nom si ce nom ne figurait dans son portefeuille. Dans ce portefeuille, il a trouvé une lettre de femme, une lettre de griefs et de rupture.

Dans ses effets personnels que lui a remis l’armée, il y a un ticket de consigne qui le mène à une serviette contenant une lettre signée de son « copain » Larry Cravat.

Il se met à la recherche du copain en question. Au cours de ses recherches, il fait la connaissance de Christy qui chante au bar « Le Caveau » ainsi que celle de Mel Philipps, patron du Caveau, qui vont l’aider. Par Philipps, il rencontre l’inspecteur Kendall qui lui explique que Cravat a volé deux millions de dollars, ce qui explique que George ne soit pas le seul à le chercher.

En 1946, Mankiewicz, ex-scénariste et ex-producteur à la M.G.M., se lance, pour la Fox, dans la réalisation avec Dragonwick (Le Château du dragon), un conte gothique qui porte indéniablement la marque, au moins en ce qui concerne l’atmosphère, de son réalisateur. La même année, il réalise ce Somewhere in the Night selon les codes en vigueur des « polars de série B ».

Le thème le plus courant dans le polar, c’est le fameux « Whodunit ? », « Qui l’a fait ? » et ce dans des styles souvent opposés qui vont d’Hammet ou Chandler à Agatha Christie, sans parler d’Hitchcock qui y substituera « Comment l’a-t-il fait ? » avec succès.

Le thème de toute l’œuvre de Mankiewicz, c’est « Qui est-il/elle ? » et ses films sont (presque) tous les puzzles d’un portrait : Nicholas Van Ryn, George Appley, Noah Praetorius, Diello, Maria Vargas, César, Cléopâtre, Marc-Antoine, Cecil Fox, Andrew Wyke, Milo Tindle… Dans ses œuvres les plus fortes, ce portrait peut-être celui d’un absent (Addie Ross dans Chaînes conjugales ou Sebastien Venable dans Soudain l’été dernier), d’un fantôme (le capitaine Daniel Gregg dans L’Aventure de madame Muir) ou d’un personnage raconté par les autres (Eve Harrington dans All About Eve).

Pour sa deuxième réalisation, Mankiewicz va mélanger le thème du polar et celui du portrait. Réalisateur spirituel, sophistiqué et cynique, il se heurte aux lois du genre, même si Somewhere in the Night est parfaitement réussi au niveau esthétique. Le portrait puzzle est double ici : c’est celui de Larry Cravat (« l’absent ») et de George Taylor (« le héros »). Le premier est très certainement un salaud, le second un brave type. Mais tout est-il aussi simple ? La réponse est non puisque le salaud n’en est pas tout à fait un, alors que c’est le brave type qui n’existe même pas et qui sert de paravent à un autre (faux) brave type.

Mais Mankiewicz veut trop bien faire : son style habituel et l’élégance de dialogues trop brillants alourdissent une intrigue compliquée qui aurait, de toutes façons, gagné à plus de simplicité dans son exposition.

Mankiewicz est un très grand réalisateur (ce n’est certainement pas moi qui dirait le contraire), mais il n’est ni Hawks, ni Huston. Au cours de sa carrière, il réalisera d’autres films noirs : Escape en 1948, House of Strangers (La Maison des étrangers) en 1949 et No Way Out (La Porte s’ouvre) en 1950. Ce n’est pas pour rien que ce dernier film est sans doute le plus mauvais de sa filmographie. Et, à ce niveau, Somewhere in the Night est le plus réussi dans ce genre qui ne convenait guère au réalisateur de Chaînes conjugales et de All About Eve.