mardi 7 mars 2023

La Cité muette

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La Cité muette (2014) de Sabrina Van Tassel

Construite sur les plans d’Eugène Beaudoin, Marcel Lods et Vladimir Bodiansky entre 1933 et 1939, la Cité de la Muette à Drancy est le précurseur des futures cités des années 50 et 60, de celles que nous appelons aujourd’hui les « cités dortoir ».

Mais la triste notoriété de la Cité de la Muette ne vient pas de cela.

Réquisitionnée par l’armée d’occupation allemande dès le 14 juin 1940, elle est d’abord transformée en camp pour les prisonniers de guerre.

De 1941 à 1944, elle devient le camp où l’on regroupe les Juifs raflés qui seront envoyés depuis la gare de Bobigny, toute proche, à Auschwitz.

C’est ce qui vaudra à cette cité le surnom « d’antichambre de la mort ».

On a beaucoup glosé (et on glose encore !) sur Claude Lanzmann et ce que d’aucuns qualifient assez irrévérencieusement de « son fond de commerce », à savoir la « Shoah » (c’est lui qui a fait connaître le mot en France, mot qui apparut pour la première fois dans le journal israélien Haaretz pour désigner le génocide des Juifs d’Europe par les nazis.)

Le terme de « Shoah » ayant été adopté à peu près partout (sauf aux Etats-Unis), il a valu au film qui l’a adopté comme titre une notoriété « collatérale » qui a elle-même poussé certains hagiographes et Claude Lanzmann lui-même à considérer celui-ci comme « le » spécialiste du sujet.

Jusqu’à présent son hire allait principalement à la fiction, mais il semble qu’il ait changé d’avis en ce qui concerne Le Fils de Saûl, film du Hongrois Laszlò Nemes qui vient de remporter le Grand Prix du Festival de Cannes 2015.

Tout cela nous ramène à ce que j’appellerai l’hystérie mémorielle, terme sacrilège dont la version « soft » est « l’hypermnésie ». Certes, la Shoah, dans sa monstrueuse spécificité ne peut, à priori, se mesurer à aucun autre évènement. On peut cependant considérer que cette spécificité se base sur des critères hétéroclites et d’un maniement délicat.

J’ai toujours considéré (pour ce que j’en connais) ce que nous appelons « l’histoire de Rome », soit de l’an 723 avant JC au 5ème siècle après JC comme une période noire qui a vu l’invention de la détention arbitraire, de l’esclavage, de la torture, du racisme, de l’état policier et de la dictature (qui, du reste, était considéré comme un système de gouvernement comme un autre). Si on ajoute à cette période celle de la Renaissance avec la « légende noire » des Conquistadors et les différents tribunaux d’inquisition, on se dit que le nazisme n’a jamais été que le dernier rejeton dégénéré d’une civilisation mortifère et désespérante.

Revenons après cette (longue) digression au film de Sabrina Van Tassel. J’ai passé le premier quart d’heure du film sur la défensive : je pensais encore aux deux immondes nanars (de fiction) que j’ai vu récemment (Pitchipoï et L’Antiquaire).

Et puis, finalement, la force des témoignages de ces « enfants » de 75 ans et plus, emporte tout par sa modestie, le refus du pathos dans cette histoire honteuse où des enfants étaient hors la loi simplement parce qu’ils existaient. Et le regard de ces personnes âgées est de nouveau, lorsqu’ils se souviennent et racontent, un regard bouleversant d’enfants perdus.

De la même manière, je me méfiais du témoignage de Serge Klarsfeld, mais il a ici un discours très juste.

A un homme politique (Jean-Christophe Lagarde, maire UDI de Drancy, pour ne pas le nommer) qui voudrait que la cité de la Muette ou, à tout le moins, le « fer à cheval » devienne un lieu de mémoire et ne soit plus habité, Klarsfeld réplique que la place de la Concorde où on organise de grandes fêtes et des concerts a été la place de la Nation où on a guillotiné plusieurs centaines de personnes ou encore que la place de l’Hôtel de Ville, transformé en patinoire l’hiver se trouve juste à côté de ce qui fut la place de Grève sur laquelle on a supplicié des centaines de gens depuis le moyen-âge et que ces deux lieux, aujourd’hui de plaisir, furent en leur temps des lieux de souffrance.

Même si la réalisatrice semble, à priori, être de l’avis du maire, le point de vue de Serge Klarsfeld l’emporte largement.

Est-ce une maladresse de la part de Sabrina Van Tassel ou a-t-elle réellement une « caméra démocratique » ? Le film attire suffisamment de sympathie pour qu’on penche plutôt pour la deuxième proposition.

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