mardi 28 avril 2020

Spartacus


Spartacus - film 1960 - AlloCiné ***
Spartacus (1961) de Stanley Kubrick
Spartacus est né esclave. Il est d’origine Thrace et fort comme un bœuf, mais il n’a jamais accepté sa condition et se rebelle contre l’autorité romaine.
Il va être mis à mort pour avoir arraché le jarret d’un soldat romain avec les dents, mais il est sauvé in ’extremis par Battiatus, un marchand d’esclaves qui dirige une « école » de gladiateurs à Capoue.
Il va devenir un gladiateur et Battiatus lui octroie même une femme, Varinia.
Mais à la suite d’une visite de Crassus, le puissant et très riche sénateur qui exige une bataille à mort entre quatre gladiateurs (ce qui n’a jamais eu lieu dans une école de gladiateurs), la révolte gronde.
Après le départ forcé de Varinia, racheté par Crassus, Spartacus tue Marcellus, le « contremaître » sadique de Battiatus. C’est le signal de la révolte pour les esclaves.
L’humanité ne s’est toujours pas remise de la seconde guerre mondiale : il faut bien dire qu’un bilan s’élevant entre 50 et 70 millions de morts a de quoi traumatiser.
Le régime nazi, pervers et détraqué comme son lieder, un taré consanguin, a mis en place un système, celui qu’on qualifie de concentrationnaire, où la simple notion d’humanité était bannie, que ce soit du côté des bourreaux particulièrement « inhumains » ou du côté des victimes à qui on retirait purement et simplement leur statut d’êtres humains.
Les deux alliés importants du nazisme au sein des « forces de l’axe » étaient le Japon et l’Italie. Ce dernier pays était dirigé par un matamore grotesque qu’on eut tôt fait de baptiser en France le crapaud : Benito Mussolini avec son régime fasciste voulait restaurer la « grandeur » d’une Italie fantasmée à travers la puissance de la Rome antique (Mussolini rêvait très probablement de se faire appeler « César », comme les empereurs romains !).
2000 ans avant Mussolini et les fascistes, il existait donc un régime omnipotent qui régnait grâce à une plaie (comme le rappelle le commentaire off du tout début du film) l’esclavage qui permettait de « déshumaniser » tout ce qui n’était pas « romain », l’équivalent des « aryens » chez les nazis. Et les promoteurs de ce régime ne se souciait de la vie humaine que lorsqu’il s’agissait de la leur.
Lorsque parut en France le livre de souvenirs de Kirk Douglas intitulé I Am Spartacus, je l’ai acheté, mais je ne l’ai pas lu. Et c’est le décès de son auteur et principal protagoniste, le 5 février dernier à l’âge canonique de 103 ans, qui me décida, enfin, à le lire.
Bien entendu, Douglas s’y donne le beau rôle en ayant, toutefois, l’intelligence de ne pas trop en rajouter.
Producteur à part entière, Kirk Douglas commence par chercher un scénariste, puis un réalisateur. Il en envisage plusieurs, parmi lesquels Mankiewicz dont les pontes de la Universal craigne le caractère d’indépendance.
Finalement, Douglas et Universal tombent d’accords sur Anthony Mann qui réalise le début du film : la séquence d’ouverture, tournée dans la vallée de la mort en Arizona, est signée Mann.
Mais Anthony Mann, en accord avec Kirk Douglas, ne tarde pas à jeter l’éponge.
Douglas le remplace par Stanley Kubrick qu’il avait déjà produit dans Les Sentiers de la gloire. Mais les choses ne vont pas très bien se passer et le producteur, dans le film précité, ne cache pas son hostilité pour Kubrick qu’il présente comme un réalisateur de grand talent (ce qui est vrai), mais comme un animal à sang froid (ce qui n’est probablement pas faux).
Le producteur et le réalisateur, en dehors de leur peu de sympathies réciproques, vont s’opposer sur plusieurs scènes que Kubrick voulait purement et simplement supprimer : le plan de l’amputation d’un bras pendant la bataille par Spartacus (le figurant était effectivement manchot et le comédien-producteur avait eu beaucoup de mal à réussir « l’amputation » d’une prothèse sans blesser le figurant), les plans de Spartacus sur sa croix (qui avait physiquement beaucoup coûté à Douglas) et, surtout, toute la séquence (une des plus célèbres du film) où tous les soldats de Spartacus se lèvent pour dire « Je suis Spartacus », afin de ne pas dénoncer leur chef, réplique tellement importante que Kirk Douglas en fera le titre de son livre.
Ses rapports furent plus cordiaux, au moins dans un premier temps, avec Howard Fast, même si les choses se sont totalement détériorées après que le producteur l’a viré comme scénariste. Et Fast fut alors remplacé par Dalton Trumbo sous le pseudonyme de Sam Jackson puisque, blacklisté, il ne pouvait pas signer sous son propre nom. Trumbo sera finalement crédité sous son vrai patronyme alors que, dans le même temps, il signera également sous le nom de Trumbo, l’adaptation pour Otto Preminger du roman de Leon Uris Exodus. Les piapiateurs à la Ciment en sont encore à discuter l’antériorité sur le générique de l’un des deux films pour savoir si c’était Douglas ou Preminger qui eut l’honneur de braver l’interdit en mentionnant Trumbo.
Du véritable personnage de Spartacus, on sait très peu de choses si ce n’est qu’il a existé, qu’il se peut même qu’il ait été vaguement aristocrate, originaire de Grèce, prisonnier de guerre vendu comme esclave devenu ensuite gladiateur.
En revanche, on en sait beaucoup sur le symbole qu’il représente principalement chez les communistes : après la première guerre mondiale, les sociaux-démocrates allemands (qui s’inspirèrent de certains anti-esclavagistes français du 18ème siècle) tout au moins l’aile gauche du parti dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg seront désignés sous le nom de « Ligue spartakiste ».
Spartacus, plus qu’un personnage, est donc une légende et Crassus en a bien conscience : « Je ne veux pas tuer Spartacus, je veux tuer sa légende ». Et le gladiateur lui-même dit : « Nous reviendrons et nous serons des millions ».
Contemporain du péplum de William Wyler Ben-Hur le film aux onze oscars (il n’y en a eu que trois dans toute l’histoire des oscars), Spartacus n’est pas, lui, qu’un simple péplum (à la mode à l’époque).
C’est une parabole sur l’esclavage, sur la liberté, vu par un communiste américain (futur repenti), adapté par un blacklisté non repenti, mais tout de même passé à la moulinette hollywoodienne avec une touche américonne (l’histoire d’amour avec Varinia), même si, au bout du compte, le scénario de Trumbo et la mise en scène de Kubrick sont brillants et intelligents. Du coup, le film ne passe à côté d’aucun anachronisme ou, au mieux, d’approximations (très courantes dans les péplums et assimilés !) : on a droit à des sifflets à roulette (inventés au 19ème siècle APRÈS Jésus-Christ), à Varinia qui monte à cheval en amazone (16ème siècle), à la formule « Ceux qui vont mourir te saluent » (« Morituri te salutent ») normalement toujours précédé de « Ave Caesar » et qu’on peut, de fait, daté de l’empire soit vingt ans plus tard, après la mort de César et donc, à l’avènement de l’empire et, surtout, à la superbe carte de l’Italie qu’on voit dans la tente de Crassus et qui n’a rien à envier à la cartographie moderne. Mais il est vrai que cette carte sert à expliquer les mouvements de troupe tant dans l’armée des insurgés que dans les légions romaines. Je ne suis pas non plus très sûr que les deux pintades qui « exigent » qu’il y ait combat à mort entre les « élèves » gladiateurs de Battiatus auraient eu leur mot à dire.
Mais, encore une fois, Spartacus ne se classe pas dans les « péplums », comme Ben-Hur, Le Roi des rois, Les Derniers jours de Pompéi, Le Colosse de Rhodes et toute la production italienne « péplumesque » (nombreuse) de l’époque.
Car tous ces films sont tous plus ou moins faits sur le même modèle qu’ils soient superproductions en 70 mm (américains) ou petits budgets en dyaliscope (italiens).
Spartacus est avant tout un film ambitieux et intelligent.
On y voit, certes, des scènes à grand spectacle, mais aussi certaines scènes intimistes très intéressantes, comme celle de Spartacus et Tigranus (Herbert Lom) où il est question d’une « alliance » entre les ennemis de Rome, ou superbes comme les deux scènes entre Batiatus et Gracchus interprétés par Peter Ustinov et Charles Laughton. Petite anecdote : ces deux immenses comédiens jouent ici deux… crapules, d’une certaine manière, mais sympathiques, personnages « humains », eux qui avaient interprétés l’une des plus effroyables figure de la Rome antique, l’empereur sociopathe Néron[1], Laughton dans Le Signe de la croix en 1932 et Ustinov dans Quo Vadis en 1951.
Dans la scène de Spartacus susnommée, Gracchus dit à Batiatus : « La corpulence rend l’homme flegmatique, raisonnable et plaisant. As-tu remarqué que les pires tyrans sont invariablement maigres ? »
Au bout d’une heure et quart de film, on voit, dans la version restaurée (en 1990), LA scène censurée, celle dite « des escargots et des huîtres », scène de « drague » dans laquelle Crassus (Laurence Olivier) explique lourdement à Antoninus qu’il est bisexuel. Le jeune esclave s’échappe tout de suite et rejoint l’armée de Spartacus. Dans cette scène, totalement censurée à l’époque, il a fallu refaire la bande sonore dans laquelle Curtis s’est doublé. Et c’est Anthony Hopkins, grand admirateur et imitateur d’Olivier (décédé en 1989), qui double « son idole ».
Cette scène explique peut-être les sentiments ambigus qu’éprouve Crassus envers Spartacus : il éprouve une admiration étrange pour cet homme qu’il ne peut connaître qu’à travers sa compagne Varinia qu’il n’a fait prisonnière que pour ça.
Petit détail technique de mise en scène : lorsqu’une armée défile latéralement, les soldats ne se déplacent pas en ligne droite, mais en arc de cercle : le film, tourné en Super Technirama 70 était sans doute destiné à être projeté sur des écrans incurvés, de type cinérama.
Malgré certaines réserves qu’on peut avoir vis-à-vis du livre de Kirk Douglas, il est passionnant car, pour les néophytes, il explique très bien ce qu’est un producteur bien qu’ici le jeu soit faussé puisque c’est également l’interprète du rôle-titre. Et il est remarquablement entouré par un casting de luxe, prestigieux à tous points de vue.
Et quoique Kubrick ait plus ou moins écarté ce film de sa filmographie, on sent malgré les contraintes qu’il a « subi » sa patte et Spartacus reste un film de Stanley Kubrick sur un scénario très fort de Dalton Trumbo. Échaudé par l’expérience, Kubrick sera désormais coproducteur de ses films à partir du film suivant, Lolita, puis producteur « seul maître à bord » à partir de 2001, l’odyssée de l’espace.



[1] Les régimes fascistes ou proto-fasciste éprouvent une certaine fascination pour les sociopathes qu’ils mettent volontiers à leurs têtes, donc au pouvoir…

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