lundi 27 avril 2020

Au revoir là-haut


Au revoir là-haut - film 2017 - AlloCiné
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Au revoir là-haut (2017) d’Albert Dupontel
9 novembre 1918. Albert Maillard et Édouard Péricourt sont avec toute leur compagnie dans leur tranchée. Tout le monde sait que la guerre est pratiquement finie et personne, tant du côté français que du côté allemand, n’a la moindre envie de bouger.
Mais le lieutenant Pradelle, une ganache particulièrement vicieuse et belliqueuse, décide de détruire la note qu’il vient de recevoir et qui lui ordonne de cesser le combat.
Il envoie deux soldats « en reconnaissance » et leur tire dessus, ce qui relance la bataille.
Lorsque Maillard, qui s’en est aperçu, est menacé par Pradelle, Édouard Péricourt le sauve, mais il est lui-même victime d’un obus allemand.
Et lorsqu’il se réveille, Édouard n’a plus de mâchoire inférieure.
Maillard et Péricourt s’installent dans une soupente et, pendant que Maillard vit de « petits boulots », Péricourt peint, dessine et se confectionne des masques pour cacher sa gueule cassée.
28 novembre 2017
Pour moi, c’est le choc de l’année, car je ne crois pas avoir l’occasion de voir mieux que ça dans les vingt-sept jours qui restent !
Neuf mois ferme, le film précédent de Dupontel, m’avait déjà épaté et j’avais même dû aller le revoir une semaine. En général, lorsque je retourne voir un film en salle très peu de temps après l’avoir vu une première fois, c’est pour cause d’endormissement lors de la première projection d’un film qui semblait, à priori, me plaire. Le film de Dupontel, j’étais allé le revoir parce que certains gags m’avaient échappé. Et puis pour le plaisir aussi…
Je ne suis pas sûr de retourner voir Au revoir là-haut, tout au moins en salle, car je suis sûr en revanche qu’il fera l’objet d’une acquisition vidéo.
Le prix Goncourt 2013 était réputé difficile à adapter, mais Dupontel doit avoir des yeux et un cerveau spéciaux. De plus, Pierre Lemaître, auteur du roman, est co-scénariste du film : ça aide !
La caméra de Dupontel est très mobile : il aime les plans séquences élaborés et il use de sa caméra comme un Paganini de son violon ou un Liszt de son piano.
On pourrait objecter que Claude Lelouch fait la même chose, mais ce serait un peu comme comparer Franz Liszt et Richard Clayderman.
Bien sûr, Dupontel a dû un peu loucher du côté d’Hugo Cabret de Scorsese. Mais où on n’avait que du clinquant creux et du roublard épais, nous avons ici un lyrisme baroque et une émotion intelligente.
Rien n’est à jeter, rien ne manque !
Et que dire du casting ! Comédien lui-même (et interprète ici du rôle d’Albert Maillard, un des trois rôles principaux), Albert Dupontel a ce don très particulier qu’on trouve chez les réalisateurs-comédiens d’une direction inspirée. Il faut dire que son talent explose dans le choix des comédiens : de l’excellent et très fidèle Philippe Uchan qui est ici l’indécrottable imbécile Labourdin (comme il était déjà un indécrottable imbécile dans Neuf mois ferme) au toujours superbe Niels Arestrup en passant par André Marcon, le gendarme compatissant, Michel Vuillermoz, en fonctionnaire intègre et psychorigide et Kyan Khojandi (le premier rôle de l’excellent Rosalie Blum), Dupré, second veule et dévoué de l’immonde Pradelle qui, pour tout remerciement, en fera un cocu et, bien sûr, Émilie Dequenne et Mélanie Thierry, dont le seul défaut ici est qu’on les voit trop peu.
En revanche, ceux qu’on voit le plus, c’est le trio de tête : le héros débrouillard, Albert Maillard, narrateur malgré lui (puisque c’est une confession), le méchant lieutenant Pradelle, le salaud sadique, belliqueux et roublard qui réussira toujours à être « du côté du manche » et, surtout, le grand héros tragique Édouard Péricourt, gueule cassée et véritable artiste qui cache sa détresse et sa mâchoire disparue sous des masques fabuleusement beaux.
Le premier, c’est Albert Dupontel lui-même, drôle, impulsif, clownesque et tragique. Le deuxième, Pradelle, c’est Laurent Laffitte, le fascinant « méchant qu’on aime haïr », salaud jusqu’au bout des ongles et, hélas, le genre de personnage qu’on trouve toujours de nos jours : le comédien y est superbe.
Mais le plus fabuleux, c’est Nahuel Perez Biscayart, découvert dans 120 battements par minute : mise à part la toute première séquence, son visage est caché et on ne voit que son regard, mais quel regard ! Cette interprétation effrayante et magique m’a irrésistiblement fait penser à celle de Sylvie dans le rôle de madame Raquin mère dans Thérèse Raquin de Marcel Carné : cette vieille femme odieuse, cette mère possessive et hystérique qui se retrouve paraplégique après une attaque consécutive à l’annonce de la mort de son fils chéri. A partir de là, l’affrontement des deux femmes Thérèse et sa belle-mère est impressionnant servies par deux comédiennes d’exception Simone Signoret qui bouge et qui parle et Sylvie immobile et muette et qui ne peut se défendre… qu’avec son regard.
Et ce regard c’est celui de ce déjà très grand comédien Nahuel Perez Biscayart, un talent comparable à celui de la grande Sylvie.
Qu’est-ce qu’on aime dans un film ? Qu’il vous fasse décoller, oublier qui vous êtes et que vous êtes en train de regarder un film dans une salle. Des films comme ça, on a de la chance quand on en voit un dans une année. Quand on en voit deux, on a beaucoup de chance. Trois ou quatre, c’est exceptionnel. Cette année, il n’y en aura qu’un !
1er avril 2020
Les films qui nous ont éblouis (c’est le cas de celui-ci) sont souvent décevants quand on les revoit. Pas celui-ci !
Bien que Pierre Lemaitre ait contribué à l’adaptation de son propre roman, le film n’en a pas moins pris quelques libertés avec le livre, mais les différences ne sont, finalement, qu’anecdotiques. Car dans le fond, l’adaptation est très fidèle à l’esprit du roman.
Tout d’abord, toute l’histoire est un flash-back, contrairement au roman. Certaines séquences, comme celle du séjour d’Édouard à l’hôtel Lutetia, sont sublimées par un étincelant baroque qui éclate dans la scène de la fête au cours de laquelle les « responsables » de la grande guerre (Foch, Joffre, Poincaré, etc…) sont « exécutés » au bouchon de Champagne « pour avoir provoqué la guerre, pour avoir aimé la faire… », etc… Même si elle est totalement absente du livre, cette séquence est aussi fidèle au roman que si elle y avait été écrite.
D’autres différences sont minimes, comme l’arnaque aux monuments aux morts et la brouille qui s’en suit entre Édouard et Albert arrivent plus tôt que dans le roman : le film dure 120 minutes et le roman fait plus de 600 pages, donc tout est plus « ramassé » dans le film !
La différence la plus évidente, c’est la très belle scène entre Péricourt et son fils qui n’existe pas dans le roman : même si la mort d’Édouard est lié à son père, il n’y a aucune rencontre entre les deux hommes dans le roman.
Autre différence notable, Pradelle, « le méchant qu’on aime haïr » ne meurt que dans le film : Dupontel le fait mourir enterré vivant, la mort que le vicieux capitaine destinait à ses propres soldats au tout début du film. C’est cet immonde salaud qui avait épousé Madeleine Péricourt, « laide de face, mais belle de dot », même si Émilie Dequenne lui donne une beauté physique que le personnage est très loin d’avoir.
Albert Dupontel a aussi la modestie des grands. Et c’est en toute modestie qu’il rend hommage à Georges Méliès dans le « masque de lune » d’Édouard et à Buster Keaton avec le « Pork Pie Hat » que porte Albert (Maillard qui a le même prénom que son interprète-réalisateur !) quand il se rend chez les Péricourt.
Enfin, on pense à un autre livre qui fut aussi un film dont l’auteur, de l’un et de l’autre, est Dalton Trumbo, Johnny Got His Gun (Johnny s’en va-t’en guerre).

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