120 battements par minute (2017) de Robin Campillo
En 1989, deux ans après son modèle américain, naît Act-Up
Paris. Moins de dix ans après l’apparition du « cancer des homos »,
la recherche scientifique a identifié et analysé cette maladie qui a fait
l’objet de pas mal de bruits épars (et souvent faux !) du moment où elle
est apparue et qu’on appelle le sida.
L’association
se réunit toutes les semaines pour échanger des informations sur les progrès de
la médecine, décider des actions à venir, débattre et évoquer la mémoire des
dernières victimes de la maladie.
Nathan est
tout nouveau à Act-Up. Il fait la connaissance de Sean, jeune militant
séropositif et déjà malade qui est l’un des plus virulents activistes de
l’association comme Sophie et Thibault, président d’Act-Up Paris dont Sean
n’est pas un admirateur.
Dans
ces années-là, les médias opposaient Aides et Act-Up. Certains militants des
deux associations s’opposaient effectivement violemment les uns aux autres.
D’autres, en revanche, étaient
militants des deux.
En fait, les deux associations étaient
complémentaires. Aides venait en aide, précisément, aux malades et aux
séropositifs qui, à l’époque, étaient quasiment mis au ban de la société. Act
Up était une association activiste qui interpelait les pouvoirs publics et
dénonçait, avec juste raison, l’inertie des politiques, trop frileux pour
risquer de froisser leur électorat bien-pensant.
Et Act Up y allait fort :
intervention dans les écoles au milieu des cours, sur les plateaux de
télévision en direct, jets de faux sang au milieu des conseils d’administration
des laboratoires pharmaceutiques, opérations villes mortes sur la voie
publique…
Tout ça se décidait lors AH, assemblées
hebdomadaires, où tous les militants se retrouvaient pour échanger des
nouvelles sur l’évolution de la maladie et les progrès de la recherche, pour
décider des opérations à mener et, surtout, pour débattre.
Et ce sont précisément ces assemblées
qui sont les plus passionnantes dans le film. Filmées avec trois caméras, ces
scènes au demeurant très écrites, ont vraiment l’air totalement improvisées.
Ce sont donc les plus réussies, mais ce
ne sont pas les seules réussies. En fait, tout le film est une réussite.
Sans préjuger de ce qu’est la « vraie »
palme d’or The Square de Ruben Östlund qui ne sortira
que le 18 octobre 2017, on peut considérer qu’on tenait là une palme d’or[1] :
on a coutume de penser que la Palme d’or va à un film grand public alors que le
Grand Prix spécial du jury est décerné à une œuvre plus difficile.
Ici, on a tout. 120 battements par minute est un film superbe, grand public et à la
réalisation très travaillée. On a le fond (Act Up, la maladie, la mort) et la
forme (une mise en scène remarquable et un scénario au cordeau).
Ce film superbe nous hante et
« post-projection », les quelques réticences qu’on pouvait avoir nous
semblent incompréhensibles : comme tout ce qui suivait la mort de Sean que
j’ai trouvé un peu long. Mais cette séquence pouvait-elle être raccourcie et
comment ? Il fallait les amis qui arrivent un par un, le café qu’on est
obligé de refaire, la discussion autour des cendres qui nous vaut une réplique
humoristique, ce qu’il fallait oser, que Campillo ose et qui passe admirablement.
Et dans tout cela passe une émotion
sans pathos, comme cette apparente froideur de la mère de Sean qui ne semble
manifester aucune émotion, juste, très probablement, parce qu’elle est dépassée
par la mort de son fils.
Le vrai grand art, c’est celui qu’on ne
voit pas ! Ici, on ne voit pas les coutures : l’écriture très
travaillée, la réalisation « aux petits points » et un casting
d’autant plus idéal qu’il n’use d’aucun effet de manche. Comment en détacher un
quand ils sont tous superbes ? On peut citer Manuel Perez Biscayat qui
porte le rôle de Sean jusque dans les scènes très difficiles de la fin : comment
jouer la mort de son personnage sans excès et sans pathos puisque, par
définition, un vivant ne peut pas savoir « ce que ça fait » de
mourir ?
Une scène mérite tout particulièrement
d’être citée : c’est la dernière « scène d’amour » entre Sean et
Nathan. Au milieu de la foultitude de scènes de cul que nous impose le cinéma,
c’est l’une des rares scènes qui subliment à ce point la trivialité du propos.
[1] On
peut aussi considérer que la palme d’or pour The Square, surtout face à 120 battements par minute, a été
décernée avec un peu de… légèreté.
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