samedi 11 juillet 2020

Paris 1900


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Paris 1900 (1946) de Nicole Védrès
Pour la sixième fois depuis 56 ans, c’est à Paris que s’ouvre l’Exposition Universelle le 14 avril 1900.
L’exposition précédente, celle de 1889, était restée dans tous les esprits comme « L’Exposition de la Tour Eiffel ».
Onze ans plus tard, la « dame de fer » oppose toujours ses admirateurs et ses détracteurs.
1900, c’est ce qu’on appellera plus tard « La Belle Époque », celle des salons de dames, des cocottes, des mélodrames bourgeois.
Mais c’est aussi celle des conflits sociaux et de la misère sociale du prolétariat pour qui l’époque n’était pas si belle que ça.
Et puis, 14 ans plus tard, la combinaison des alliances entre états européens va provoquer le plus grand cataclysme qu’on ait jamais vu.
5 avril 2000
Dissipons tout d’abord un malentendu qu’on trouve au générique : Paris 1900 n’est pas une chronique de cette époque surnommée « belle », mais plutôt une évocation. En effet, une chronique est un « recueil de faits historiques rapportés dans l’ordre de leur succession », ce que n’est en aucun cas le film de Nicole Védrès, film surtout fameux, ce qui est injuste, en raison du nom d’un tout jeune assistant réalisateur, Alain Resnais.
Les époques s’y télescopent joyeusement au gré d’un commentaire très écrit, très élaboré et plutôt thématique : les robes entravées de 1911 précèdent les tournures de 1900 et on voit même des suffragettes de 1920. Le plus choquant reste l’évocation de la construction de la Tour Eiffel que le commentaire semble dater de l’exposition de 1900 alors que la tour de fer avait onze ans et fêtait sa deuxième exposition universelle. Quant au commentaire lui-même, il est assez daté, comme le ton du commentateur Claude Dauphin.
Mais là s’arrête la critique : loin d’exaspérer ou de faire rire, le ton suranné fait partie du charme indéfinissable de ce documentaire que son intelligence a préservé de la poussière et doté d’une patine qui en préserve la beauté.
29 juin 2020
Paris 1900, c’est un peu l’après seconde guerre mondiale qui juge l’avant-première guerre mondiale. En 1947, on savait qu’il pouvait y avoir pire que cette première guerre… la seconde, précisément !
Dans la première moitié du film, on se moque gentiment du cinéma des origines, le cinéma un peu vieillot avec ces personnages outrés à la démarche saccadée un peu ridicule[1]. Jusqu’à la fin des années 70, le cinéma « des origines », c’est-à-dire de l’époque du muet, donc d’avant 1930, sera gentiment moqué. C’est le cas ici et le montage, complètement tributaire du commentaire malicieux de Nicole Védrès dit par le grand Claude Dauphin, est remarquable et d’une très grande habileté (contrairement à ce que j’écrivais il y a… 20 ans ! On change en 20 ans !).
Puis, très doucement, le film glisse vers la critique sociale en passant par les faits divers notables de l’époque pour arriver au constat historique, lorsque tout ça va finir en épouvantable boucherie, la « der des ders », 11 millions de morts, qui sera tout-de-même suivi d’une autre, encore bien pire avec ses 50 millions d’assassinats dans des conditions d’une intensité dans la sauvagerie que la race humaine, pourtant très inventive dans ce domaine, n’avait jamais atteinte jusque-là.
Nicole Védrès faisait un film de recherche et commença à collecter des films « archéologiques ». C’est dans le cadre de ce travail de recherche qu’elle trouva des films de fiction précédés de « bandes d’actualité ».
A l’origine, la réalisatrice devait réaliser 3 films distincts. Elle eut rapidement besoin d’un monteur et d’un assistant très efficace et son producteur Pierre Braunberger lui présenta la monteuse Myriam qui se choisit une toute jeune assistante, Yannick Bellon, et qui présenta à Nicole Védrès un jeune réalisateur avec qui elle s’entendit immédiatement et qui devint son plus précieux collaborateur sur Paris 1900, Alain Resnais.
Dans le coffret DVD, il y a un livret de 32 pages absolument passionnant qui contient, outre un article de Bernard Eisenshitz et un article de l’historien Laurent Veray Paris 1900 : la naissance de l’essai documentaire, les souvenirs de Yannick Bellon et, surtout, Les Feuilles bougent, un texte fascinant que Nicole Védrès fit paraître en août 1948 dans Les Temps modernes dans lequel elle explique largement la genèse de Paris 1900 en même temps que sa conception du cinéma et déclare : « On aura beau nous dire que tous ces films s’apparentent par la saveur d’une technique naissante, par l’ingénuité d’alors. Il y a bien autre chose ! »
Un peu plus loin, elle nous donne une clef très intéressante sur le « film de montage » : « Lorsqu’on fait un film, un film de montage, et que l’on côtoie sans cesse l’histoire sans avoir la prétention ni la possibilité de la reconstituer, le travail de sélection et de représentation s’apparente donc bien plus à celui de la fiction littéraire qu’à celui de la compilation historique. Sans doute Paris 1900 garde l’apparence d’un puzzle et l’élément scénario y reste très sommaire. Mais il m’a permis de constater que l’opération, comme au cinéma sous le nom de “ montage ” est, en définitive, ce qui ressemble le plus au travail de l’écrivain. »
D’un point de vue plus technique, elle explique que « l’homme volant de la Tour Eiffel » est la séquence charnière : elle commence comme le gag d’un excentrique, correspondant au début du film qui va du drolatique à l’ironie acide pour aboutir à la mort d’un homme « qui fit en tombant un trou de 14 cm ».
Et c’est en référence à ce « trou » que Jacques Tournier écrit, en 1948 : « Nous, nous sommes comme l’homme-oiseau. Nous avons sauté de la plate-forme de la Tour Eiffel. Et le parachute ne s’est pas ouvert. Notre époque a fait dans le bonheur un trou de 14 cm ! ». Oui, 14, le nombre cité n’est peut-être pas tout-à-fait un hasard !
Le style « essai documentaire », comme le qualifie Laurent Veray, va faire école et on le retrouve aujourd’hui dans presque toutes les évocations d’une époque ou d’un personnage du passé, comme par exemple, dans la série Apocalypse de Pascale Clark et Daniel Costelle dans laquelle « l’élément fictif » est apporté par une « colorisation » souvent maladroite. Or, cette série est taxée de « manipulation » par… le même Laurent Veray dont l’article sur Paris 1900 dans le livret du DVD est pourtant dithyrambique.
 Alors bien sûr, on peut se poser la question de la « manipulation des images » pour soutenir une thèse ou simplement une opinion (voir Lettres de Sibérie de Chris Marker), mais cela risque de nous emmener un peu loin.
Le film obtint le très justifié prix Louis Delluc en 1947.
Une des figures centrales du film, tout au moins dans sa première moitié, c’est le président Armand Fallières et un gimmick l’accompagne « Le Président est bien content ! » dit par Claude Dauphin avec un accent chantant méridional puisque ce débonnaire président (de 1906 à 1913) était natif du Lot-et-Garonne et nous est présenté ici comme « le président des jours heureux ».
Mais la première phrase de commentaire du film, c’est : « C’était, paraît-il, le bon temps ! » et on comprend vite que tout est dans le « paraît-il ». Comme le dit Nicole Védrès « C’est l’envers du bon temps et nous touchons du doigt aux plaies saignantes de l’époque ».
Et, accompagnant la dernière séquence qui nous montrent les trains qui partent de la gare de l’Est, remplis jusqu’à la gueule de jeunes gens souriant dont la plus grande partie ne reviendra pas, l’ultime phrase du même commentaire est : « C’est pourtant 1900 qui s’achève ! »


[1] Jusqu’aux années 80, les films muets étaient projetés, quelques soient leurs dates de production et, par voie de conséquence, leurs rythmes de tournage et de projection, au rythme de 24 images/seconde.

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