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Paris 1900
(1946) de Nicole Védrès
Pour la sixième fois depuis 56 ans, c’est à Paris que
s’ouvre l’Exposition Universelle le 14 avril 1900.
L’exposition précédente, celle de 1889, était restée
dans tous les esprits comme « L’Exposition de la Tour Eiffel ».
Onze ans plus tard, la « dame de fer »
oppose toujours ses admirateurs et ses détracteurs.
1900, c’est ce qu’on appellera plus tard « La
Belle Époque », celle des salons de dames, des cocottes, des mélodrames
bourgeois.
Mais c’est aussi celle des conflits sociaux et de la
misère sociale du prolétariat pour qui l’époque n’était pas si belle que ça.
Et
puis, 14 ans plus tard, la combinaison des alliances entre états européens va
provoquer le plus grand cataclysme qu’on ait jamais vu.
5 avril 2000
Dissipons tout d’abord un malentendu qu’on trouve au générique : Paris
1900 n’est pas une chronique de cette époque surnommée « belle »,
mais plutôt une évocation. En effet, une chronique est un « recueil de
faits historiques rapportés dans l’ordre de leur succession », ce
que n’est en aucun cas le film de Nicole Védrès, film surtout fameux, ce qui
est injuste, en raison du nom d’un tout jeune assistant réalisateur, Alain
Resnais.
Les époques s’y télescopent joyeusement
au gré d’un commentaire très écrit, très élaboré et plutôt thématique :
les robes entravées de 1911 précèdent les tournures de 1900 et on voit même des
suffragettes de 1920. Le plus choquant reste l’évocation de la construction de
la Tour Eiffel que le commentaire semble dater de l’exposition de 1900 alors
que la tour de fer avait onze ans et fêtait sa deuxième exposition universelle.
Quant au commentaire lui-même, il est assez daté, comme le ton du commentateur
Claude Dauphin.
Mais là s’arrête la critique : loin d’exaspérer
ou de faire rire, le ton suranné fait partie du charme indéfinissable de ce
documentaire que son intelligence a préservé de la poussière et doté d’une
patine qui en préserve la beauté.
29 juin 2020
Paris 1900, c’est un peu l’après seconde guerre mondiale qui
juge l’avant-première guerre mondiale. En 1947, on savait qu’il pouvait y avoir
pire que cette première guerre… la seconde, précisément !
Dans la première moitié du film, on se
moque gentiment du cinéma des origines, le cinéma un peu vieillot avec ces
personnages outrés à la démarche saccadée un peu ridicule[1].
Jusqu’à la fin des années 70, le cinéma « des origines »,
c’est-à-dire de l’époque du muet, donc d’avant 1930, sera gentiment moqué.
C’est le cas ici et le montage, complètement tributaire du commentaire
malicieux de Nicole Védrès dit par le grand Claude Dauphin, est remarquable et
d’une très grande habileté (contrairement à ce que j’écrivais il y a… 20
ans ! On change en 20 ans !).
Puis, très doucement, le film glisse
vers la critique sociale en passant par les faits divers notables de l’époque
pour arriver au constat historique, lorsque tout ça va finir en épouvantable
boucherie, la « der des ders », 11 millions de morts, qui sera
tout-de-même suivi d’une autre, encore bien pire avec ses 50 millions d’assassinats
dans des conditions d’une intensité dans la sauvagerie que la race humaine, pourtant
très inventive dans ce domaine, n’avait jamais atteinte jusque-là.
Nicole Védrès faisait un film de
recherche et commença à collecter des films « archéologiques ». C’est
dans le cadre de ce travail de recherche qu’elle trouva des films de fiction précédés
de « bandes d’actualité ».
A l’origine, la réalisatrice devait
réaliser 3 films distincts. Elle eut rapidement besoin d’un monteur et d’un
assistant très efficace et son producteur Pierre Braunberger lui présenta la
monteuse Myriam qui se choisit une toute jeune assistante, Yannick Bellon, et
qui présenta à Nicole Védrès un jeune réalisateur avec qui elle s’entendit
immédiatement et qui devint son plus précieux collaborateur sur Paris 1900,
Alain Resnais.
Dans le coffret DVD, il y a un livret
de 32 pages absolument passionnant qui contient, outre un article de Bernard
Eisenshitz et un article de l’historien Laurent Veray Paris 1900 : la
naissance de l’essai documentaire, les souvenirs de Yannick Bellon et,
surtout, Les Feuilles bougent, un texte fascinant que Nicole Védrès fit
paraître en août 1948 dans Les Temps modernes dans lequel elle explique
largement la genèse de Paris 1900 en même temps que sa conception du
cinéma et déclare : « On aura beau nous dire que tous ces films
s’apparentent par la saveur d’une technique naissante, par l’ingénuité d’alors.
Il y a bien autre chose ! »
Un peu plus loin, elle nous donne une
clef très intéressante sur le « film de montage » : « Lorsqu’on
fait un film, un film de montage, et que l’on côtoie sans cesse l’histoire sans
avoir la prétention ni la possibilité de la reconstituer, le travail de
sélection et de représentation s’apparente donc bien plus à celui de la fiction
littéraire qu’à celui de la compilation historique. Sans doute Paris 1900
garde l’apparence d’un puzzle et l’élément scénario y reste très sommaire. Mais
il m’a permis de constater que l’opération, comme au cinéma sous le nom de “
montage ” est, en définitive, ce qui ressemble le plus au travail de
l’écrivain. »
D’un point de vue plus technique, elle
explique que « l’homme volant de la Tour Eiffel » est la séquence
charnière : elle commence comme le gag d’un excentrique, correspondant au
début du film qui va du drolatique à l’ironie acide pour aboutir à la mort d’un
homme « qui fit en tombant un trou de 14 cm ».
Et c’est en référence à ce
« trou » que Jacques Tournier écrit, en 1948 : « Nous,
nous sommes comme l’homme-oiseau. Nous avons sauté de la plate-forme de la Tour
Eiffel. Et le parachute ne s’est pas ouvert. Notre époque a fait dans le
bonheur un trou de 14 cm ! ». Oui, 14, le nombre cité n’est peut-être
pas tout-à-fait un hasard !
Le style « essai
documentaire », comme le qualifie Laurent Veray, va faire école et on le
retrouve aujourd’hui dans presque toutes les évocations d’une époque ou d’un
personnage du passé, comme par exemple, dans la série Apocalypse de
Pascale Clark et Daniel Costelle dans laquelle « l’élément fictif »
est apporté par une « colorisation » souvent maladroite. Or, cette
série est taxée de « manipulation » par… le même Laurent Veray
dont l’article sur Paris 1900 dans le livret du DVD est pourtant
dithyrambique.
Alors bien sûr, on peut se poser la question
de la « manipulation des images » pour soutenir une thèse ou
simplement une opinion (voir Lettres de Sibérie de Chris Marker), mais
cela risque de nous emmener un peu loin.
Le film obtint le très justifié prix
Louis Delluc en 1947.
Une des figures centrales du film, tout
au moins dans sa première moitié, c’est le président Armand Fallières et un
gimmick l’accompagne « Le Président est bien content ! »
dit par Claude Dauphin avec un accent chantant méridional puisque ce débonnaire
président (de 1906 à 1913) était natif du Lot-et-Garonne et nous est présenté
ici comme « le président des jours heureux ».
Mais la première phrase de commentaire
du film, c’est : « C’était, paraît-il, le bon temps ! »
et on comprend vite que tout est dans le « paraît-il ». Comme
le dit Nicole Védrès « C’est l’envers du bon temps et nous touchons du
doigt aux plaies saignantes de l’époque ».
Et, accompagnant la dernière séquence
qui nous montrent les trains qui partent de la gare de l’Est, remplis jusqu’à
la gueule de jeunes gens souriant dont la plus grande partie ne reviendra pas,
l’ultime phrase du même commentaire est : « C’est pourtant 1900
qui s’achève ! »
[1] Jusqu’aux
années 80, les films muets étaient projetés, quelques soient leurs dates de production
et, par voie de conséquence, leurs rythmes de tournage et de projection, au
rythme de 24 images/seconde.
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