mardi 22 février 2022

Tsar

 

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Царь (Tsar) (2009) de Pavel Lounguine

 En 1565, Ivan le Terrible, après une énième défaite contre les Polonais, se fait proclamer Tsar de toutes les Russies.

Paranoïaque dangereux, il se forme une garde prétorienne, les Chiens du Tsar, chargés de débusquer les « trahisons » qu’il voit partout. Les Chiens du Tsar mettent la Russie à feu et à sang.

Filipp, ami d’enfance du tsar et Metrolite de l’église orthodoxe, réussit encore à lui servir de conscience et à l’encourager à penser sainement, mais c’est d’autant plus difficile qu’un complot, vrai cette fois, se trame pour perdre Filipp aux yeux d’Ivan.

Dans Les Bienveillantes de Jonathan Litell, le « héros » (qui serait plutôt un anti-héros), Max Aüe, le lieutenant SS chargé du « nettoyage » des lignes arrière du front en Ukraine, discute avec un commissaire du peuple qui sera exécuté juste après leur entretien.

Dans la conversation, Aüe dit au commissaire : « En Allemagne et dans les pays capitalistes, on affirme que le communisme a ruiné la Russie ; moi, je crois que c’est le contraire : c’est la Russie qui a ruiné le communisme ».

Je ne pense pas qu’Aüe, obersturmführer de son état et, en tant que tel, membre on ne peut plus actif du parti nazi entre 1939 et 1945, soit le porte-parole de Jonathan Litell, écrivain français d’origine américaine âgé de 45 ans aujourd’hui, juif de surcroît et issu d’une famille juive émigrée de Russie à la fin du 19ème siècle.

Je peux, en tous cas, affirmer que l’obersturmführer en question ne risque pas de me servir de maître à penser. Toutefois, cette considération sur la Russie ne me semble pas dénuer de fondement.

Car si la Russie donne à certains l’aspect d’un pays qui ne saura jamais ce qu’est la démocratie ou même, plus simplement, le parlementarisme, c’est à Ivan IV dit Ivan le Terrible qu’elle le doit.

Complètement désaxé, Ivan (remarquable Piotr Mauronov) trimballe pendant les deux heures de film un regard halluciné : Ivan le Terrible était réputé pour sa cruauté, sa sauvagerie et sa paranoïa.

Le film ne nous épargne rien des tortures infligées et du comportement bestial des « Chiens du Tsar », la garde prétorienne que s’était choisie le tyran.

Bien entendu, question d’époque, le film de Sergei Eisenstein (auquel on est obligé de penser) Ivan Grosnii (Иван Грозный) (Ivan le terrible) édulcorait beaucoup toutes les horreurs commises par ce monstre.[1]

Lounguine, à l’époque de la sortie du film, ne s’était nullement caché des parallèles qu’il entendait faire entre ce prince dégénéré et paranoïaque et celui qui s’est inventé un grand-père cuisinier d’un autre « tsar » (Staline) et se prenant lui-même pour le tsar, ce qui l’autorise à réduire toute opposition par le fer que ce soit en plaçant un petit voyou « chien du tsar » (Kadyrov) à la tête d’un pays ayant osé se rebeller (La Tchétchénie) ou par l’assassinat politique (quelques dizaines de morts pour ce qui est des plus connus dont la journaliste Anna Stepanovna Politkovskaïa).

Ce « grand ami de la démocratie »[2] n’a pas dû voir l’allusion puisqu’il n’a pas fait interdire le film en Russie où il a fait un tabac.

En dehors des allusions idéologiques modernes, le film de Lounguine est un grand spectacle somptueux : somptuosité de la photo de Tom Stern, somptuosité de la musique de Youri Krassavine, somptuosité du scénario (Alexei Ivanov et Lounguine), somptuosité de la mise en scène.

Au niveau du casting, les seconds rôles ne sont pas toujours très à la hauteur, surtout chez les méchants (Radmila Iskander, la tsarine qu’on ne voit pas beaucoup – et c’est tant mieux ! – et le petit nain hystérique qui suit le tsar partout, plutôt mal interprété par Ivan Olobystia).

En revanche, Oleg Yankovskiy est excellent dans le rôle du métropolite Filipp, conscience (forcément) encombrante d’Ivan.

Par ce qu’il raconte, par ce qu’il sous-entend, par ce qu’il montre (et qui n’est pas toujours plaisant !), le film de Lounguine est un film fascinant.



[1] Je parle de mémoire, car je n’ai pas vu le film d’Eisenstein depuis très longtemps !

[2] d’après un comédien (qui n’est plus) français et qui marine dans le pinard comme des cerises dans de l’eau-de-vie.

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