Deux jours, une nuit (2014) de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Dans une entreprise belge fabriquant des panneaux solaires, le patron, en but à des « difficulté de trésorerie », donne le choix à ses ouvriers : si Sandra, de retour d’un arrêt de maladie dû à une dépression, reprend son travail, les autres n’auront pas leur prime de 1000 €.
Sur les 16 ouvriers, deux seulement sont prêts à renoncer à leurs primes. Juliette, une des voix, obtient du patron un second vote pour le lundi matin.
Sandra n’a donc que le week-end pour aller voir les 14 collègues et plaider sa cause.
Mais ils ont tous de petits moyens et ils ne peuvent pas facilement renoncer à une prime de 1000 €.
Les frères Dardenne viennent de passer très près d’un record : trois palmes d’or au Festival de Cannes (après Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005).
Mais l’exception n’aura pas lieu, pas plus d’ailleurs qu’un prix qu’eut amplement mérité Marion Cotillard qui a visiblement moins ému (et convaincu) le jury que les turpitudes hystérico-gazeuses de la plus en plus insupportable Juliane Moore, grand prix d’interPÊTation[1] (désolé de la refaire, mais c’est tout ce que ça mérite !) de cette cuvée cannoise. Il est toujours plus payant de monter du strass et des paillettes, fut-ce pour s’en moquer, que des prolos avec problèmes de fin de mois.
Comme toujours, les frères Dardenne ne lésinent ni sur le fond, ni sur la forme pour montrer « l’horreur sociale ».
Sandra va aller voir ses ex-collègues, aussi démunis qu’elle, pour leur demander de renoncer à leurs primes contre sa réintégration. Naturellement, elle va se retrouver face à trois attitudes : ceux qui acceptent, ceux qui refusent très gênés et ceux qui refusent crânement.
Parmi ces derniers, il y en a même un carrément violent.
Certes l’argument de base au niveau du scénario ne tient pas en l’air par rapport au code du travail en vigueur : certes, le film se passe en Belgique, mais je ne pense pas que chez nos amis wallons (et même flamands), on puisse comme ça mettre en balance la réembauche d’une salariée et une prime pour les autres.
Mais peu importe la vraisemblance anecdotique puisqu’il s’agit ici de vraisemblance sociale et/ou sociétale et même carrément politique, car c’est bien là qu’est la question : un patron, gentil, bien sûr, et victime de la crise, ne peut pas, à la fois, « donner » une prime à ses employés (le patron « donne » une prime, comme on donne un cadeau, quelque chose qui vient en plus, quelque chose qu’on a pas mérité...) et « reprendre » une employée qui revient d’un congé de longue maladie.
Bien sûr, ça ne créé de conflits qu’entre ouvriers, ce qui est en partie, le but de l’opération (l’autre partie étant de na pas rogner sur les dividendes).
Marion Cotillard, retenant ses larmes, pas maquillée, mal fagotée avec son petit débardeur rose acheté au « décrochez-moi ça », est superbe de retenue et de dignité dans un rôle certes taillé pour elle, mais à la fois casse-gueule et à prix d’interprétation.
Elle n’a pas eu le prix (voir plus haut !), mais elle ne s’est pas cassé la gueule non plus.
C’est d’ailleurs l’ensemble du casting (avec quelques non professionnels) qui est superbe depuis Fabrizio Rongione, le compagnon de Sandra qui ne peut que la pousser et l’encourager jusqu’à Olivier Gourmet, le salaud de l’histoire, le contremaître visiblement chargé (mais ça n’est jamais dit !) de « foutre la merde » au sein de l’équipe.
De toutes façons, le patron ne lâchera rien, même lorsqu’il donne l’impression de capituler.
Et même lorsqu’on comprend que Sandra finira (probablement) par refuser de reprendre son travail au prix d’une trahison, c’est elle qui gagne.
Au bout du compte (et du conte), c’est un happy end amer, mais un happy end quand même pour ce film superbe.
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