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La Loi du marché (2015) de Stéphane Brizé
Thierry vient de suivre un stage de grutier sous les auspices de Pôle Emploi.
Mais on n’engage pas de grutier qui n’ont aucune expérience de BTP « au sol ». Le voilà donc revenu à la case départ.
De stages inutiles en réunion de groupes où des chômeurs sont censés porter un regard critique sur les autres chômeurs, l’avenir de Thierry ne semble pas très radieux.
Il trouve une place de vigile d’hypermarché. Ce n’est certes pas dans ses cordes, mais faute de mieux…
D’aucuns pensent que le cinéma actuel est déprimant.
Ce film-ci, au milieu des paillettes de Cannes, devait sembler aussi déplacé que Deux jours, une nuit des Frères Dardenne au Festival de l’année dernière.
Après tout, n’oublions pas que les Palmes d’or 1972 étaient deux films politiques : La Classa operaia va in paradiso (La Classe ouvrière va au paradis) d’Elio Petri et Il Caso Mattei (L’Affaire Mattei) de Francesco Rosi. Mais il s’agissait de films militants, très dialectiques.
Ici, pas de militantisme, pas de dialectique et, surtout, rien de ce qui pourrait ressembler au front uni d’une classe laborieuse héroïque : pour se faire bien voir, les chômeurs-stagiaires critiquent sans vergogne (sollicités par les cadres de Pôle Emploi) les tentatives souvent maladroites de ceux qui « se présentent », comme si un ingénieur, un technicien, un boulanger ou une secrétaire devait, avant tout, être un vendeur capable de vendre un seul produit, lui-même.
Et Thierry va devenir un « garde-chiourme » qui surveille la « fauche » dans un hypermarché.
La force de Brizé, c’est de commencer par nous montrer, comme premier client « piégé » un « kéké », pas spécialement sympathique, venu faucher un chargeur d’iPhone, le produit qui fait baver toutes les cailleras un peu basses de plafond.
Mais après, c’est une caissière qui a « volé » ces bons de réduction que ces « détrousseurs de pauvres » (les grandes surfaces) agitent tels des appâts devant le nez des pauvres gens pour leur faire croire qu’ils font une affaire. La pauvre caissière est purement et simplement virée pour faute professionnelle grave, donc sans autre indemnité que les misérables minimas qui, dans le meilleur des cas, lui permettront à peine de survivre.
Le troisième, c’est le plus pénible : le petit pépère qui a volé de la viande, car il n’a plus de quoi la payer.
Stéphane Brizé sait faire durer une scène jusqu’à l’insoutenable (comme il l’avait fait dans la superbe scène de Quelques heures de printemps), mais il réussit, et c’est cela qui est fabuleux, à le faire avec finesse et délicatesse.
Son acteur fétiche porte le film sur ses épaules, mais il est aidé par des seconds rôles d’autant plus remarquables que ce ne sont pas des professionnels. Le moins qu’on puisse dire (et on l’a dit, et c’est vrai), c’est que Vincent Lindon n’a pas volé son prix d’interprétation.
Et si, comme je le disais, Stéphane Brizé fait un tout petit peu mal, c’est que lorsqu’on désinfecte une plaie, ça pique !
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