A Thousand Girls Like Me (2018)
de Sahra Mani
À Kaboul, Khatera, une jeune femme de 23 ans, est
enceinte pour la deuxième fois, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Mais c’est la
deuxième fois qu’elle est enceinte à la suite d’un viol et le violeur est le
même dans les deux cas, c’est le père de Khatera.
Bravant
les interdits, le qu’en dira-t-on et le regard des autres, Khatera dénonce son
père à la télévision. Et le séisme politique provoqué par cet aveu public ne
vaut pas à Khatera que des soutiens, bien au contraire.
Mais
Khatera ne cède pas : elle fait valoir ses droits et, dans un premier
temps, réussit à obtenir l’incarcération du violeur.
Ce courage,
Khatera et sa mère (qui la soutient) vont le payer socialement très cher :
les frères de Khatera ont beaucoup de mal à trouver du travail lorsqu’on
apprend qui ils sont et la famille est mise à la porte de tous les appartements
dans lesquels elle vient juste d’emménager.
« Un millier de filles comme moi », c’est le titre du film et c’est Khatera qui le dit
elle-même : ce qu’elle a subi « un
millier de filles comme elle » le subissent, sans
« préjudice » comme on dit de celles qui l’ont subi et celles qui le
subiront dans le futur.
Voici une héroïne hors du commun. Pas
d’éclat de voix, pas de pathos, pas de larme, aucune trace d’hystérie. Juste
une jeune femme placide, calme, souriante, au regard bienveillant qui raconte
son calvaire.
Et dans un pays où la femme est un
citoyen de seconde zone, elle ose parler, elle ose se montrer à la télévision,
ce qui lui attire la foudre de malveillants arriérés qui parlent d’honneur bafoué.
Khatera est une héroïne, une vraie, qui
ne demande qu’une chose, qu’on reconnaisse ses droits et à travers elle, les
droits des « milliers de filles
comme elle ».
Même les frères de Khatera la détestent
pour ce qu’elle a fait, estimant qu’elle a jeté sa famille dans le déshonneur,
comme si le père-violeur incestueux était un homme honorable.
Bien sûr, c’est lui qui va être pendu
pour ce qu’il a fait, mais celle par qui le scandale est arrivé (malheur à
elle, est-il écrit dans les évangiles) ne mérite que le mépris et le rejet.
Sa famille ne peut trouver
d’appartement et on les voit déménager trois fois pendant ce film relativement
court.
Nul besoin d’effets de manches
cinématographiques, les faits parlent d’eux-mêmes et ce documentaire
remarquable est sobre et « fluide » dans sa réalisation même.
Au détour d’une réflexion de Khatera,
le film met au jour une autre problématique : le temps judiciaire dans une
démocratie, même balbutiante, est plus long et peut sembler plus pénible que
dans une dictature. Khatera dit amèrement, en parlant de son père, au début du
film : « Du temps des Talibans,
il aurait déjà été pendu ! ».
Le problème, c’est que, du temps des
Talibans, elle aurait peut-être bien été pendue, elle aussi.
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