vendredi 19 juin 2020

Autant en emporte le vent


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Gone With the Wind (Autant en emporte le vent) de Victor Fleming (1939)
Scarlett O’Hara est une jeune fille de la bonne société géorgienne, de ces familles de planteurs de coton, prospères, chevaleresques et… avec beaucoup d’esclaves à leur service.
En cette veille de pique-nique aux « Douze chênes », la propriété des Wilkes, voisins des O’Hara, Scarlett est lasse d’entendre parler de la guerre qui risque d’éclater entre les états du nord et douze états du sud, dont la Géorgie. Pour elle, la seule chose qui compte, c’est la confidence que lui font deux de ses (nombreux) soupirants des fiançailles de Melanie Hamilton avec son cousin Ashley Wilkes. Et Scarlett, dont tous les jeunes gens du comté sont amoureux, n’a d’yeux que pour Ashley.
En bonne enfant gâtée, Scarlett décide que tout s’arrangera lorsqu’elle aura avoué son amour à Ashley. Mais rien ne s’arrange et, comble de catastrophe, Rhett Butler, un fils de famille d’Atlanta dont la conduite scandaleuse est de notoriété publique, a été témoin de la scène « de ménage » qu’elle vient de faire à Ashley.
Et c’est à ce moment qu’arrive la vraie catastrophe. Au nord, le président Lincoln a décrété la mobilisation générale pour attaquer les états confédérés du sud.
La guerre de sécession vient de commencer : elle va durer trois ans, trois années qui vont voir l’effondrement du sud et la fin du monde des Wilkes et des O’Hara.
Evidemment, tout le monde a en tête les records faramineux de ce monument : les plus grandes stars hollywoodiennes se battant pour obtenir le rôle de Scarlett (qui échut finalement à une Anglaise), les trois réalisateurs, les dizaines de scénaristes. On a tout dit du projet de Selznick.
Car le producteur avait le génie de la publicité et celle d’Autant en emporte le vent fait maintenant partie de la mythologie. Lorsque le film obtint l’oscar du meilleur film, on le remit à son producteur, comme c’est l’usage, mais jamais cela ne fut plus justifié, car ce n’est ni un film de Cukor, ni un film de Wood, ni un film de Fleming, mais bien un film de David O. Selznick.
La postérité sera à la hauteur : champion toutes catégories du nombre de spectateurs, film le plus rentable de 1939 à 1963 (soit 24 ans alors que ses successeurs ne resteront premiers qu’entre 6 mois et 10 ans), remonté trente ans après sa réalisation en 70 millimètres, chacune de ses ressorties est un succès, chacun de ses passages télévisés un événement.
C’est la production la plus caractéristique du système hollywoodien, le film d’un auteur qui n’est ni scénariste, ni réalisateur, ce qui explique qu’il fut boudé, voire vilipendé par la nouvelle vague.
D’un point de vue strictement cinématographique, il est loin d’être parfait : le scénario doit sans doute ses carences au nombre invraisemblable de scénaristes qui ont tripatouillé le script original de Sidney Howard, mais malgré trois réalisateurs successifs, le film reste cohérent tout au long de ses trois heures quarante-cinq de projection.
Pour ce qui est de l’interprétation et surtout des quatre vedettes, si les femmes (Vivien Leigh et Olivia de Havilland) sont parfaites, on sera plus réservé sur le jeu très daté de Leslie Howard et très peu nuancé de Clark Gable. Les seconds rôles sont, eux, d’une qualité exceptionnelle. En-tête de ces seconds rôles, la grande Hattie Mac Daniel qui, avec le rôle de Mamie, fut la première femme de couleur à obtenir l’oscar, un oscar ô combien mérité.
Tout cela fait plus penser à un « coup » qu’à une œuvre d’art, mais un coup de cette envergure, n’est-il pas une œuvre d’art ?
5 janvier 2018
Après avoir revu tous les bonus, j’avais prévu de regarder le film en DVD, mais la programmation de Noël d’Arte m’a pris de vitesse et j’ai revu le film en VF, une version française un peu piaillante comme on les faisait à l’époque (le film est sorti en France en mai 1950).
A part ça, rien à ajouter ou à retrancher de ce que j’en ai dit, il y a 17 ans.
Si ce n’est, les différentes versions qui nous ont été données de l’éviction de George Cukor. En fait, il y en a trois : l’officielle, la semi-officieuse, la furieusement officieuse.
L’officielle, c’est une franche divergence de vue entre Selznick et son réalisateur. La semi-officielle, c’est que Gable, peu confiant dans la direction d’acteurs de Cukor, réputé comme réalisateur de femmes, aurait insisté pour faire engager Fleming qui était un copain du comédien, un homme, un vrai, un tatoué et non pas une « tarlouze ». La furieusement officieuse concerne directement à la fois Clark Gable et l’homosexualité : Gable jouissait (si je puis dire) à son arrivée à Hollywood d’un… « très gros atout » qui n’avait rien à voir avec un quelconque talent de comédien. Cet atout plaisait naturellement beaucoup dans un certain milieu, milieu dans lequel un bruit d’une telle ampleur ne pouvait qu’être relayé et Gable, inconnu et débutant sans le sou, en aurait vécu. En conséquence, Cukor, bien que n’ayant eu aucun de ces « rapports commerciaux » avec le futur interprète de Rhett Butler, aurait pu en avoir connaissance par certains de ses « amis » qui, eux, auraient « succombé » (et payé !). D’où l’insistance de Gable pour faire virer Cukor…
C’est, du moins, ce que prétend Kenneth Anger dans ses mémoires. Anger est probablement une sale langue de pute, mais par esprit de corporatisme (je suis moi-même une langue de pute…), j’ai tendance à lui accorder crédit.
19 juin 2020
Non, je n’ai pas revu le film en question pour la énième fois, mais les tragiques évènements récents ont remis Autant en emporte le vent sur la sellette : il fallait bien qu’un jour LA question de l’apologie du sud et des esclavagistes confédérés (qui ont encore beaucoup d’adeptes aux États-Unis – et pas que ! –) soit mise en exergue car on est bien obligé (et c’est heureux !) de tenir compte de ça ! (comme disait Jean-Luc Godard aux critiques de cinéma au Festival de Cannes 1968 : « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons ! »).
Depuis le meurtre de George Floyd à Minneapolis le 25 mai 2020 par un policier blanc (fasciste et coutumier du fait, semble-t-il !), le racisme, plaie endémique et surtout systémique de la société américaine, est revenu sur le devant de la scène.
Aux États-Unis, être noir, blanc, asiatique ou « arabes » (en fait, natifs du Moyen-Orient), c’est être d’une des « races » différentes : les « hispaniques », eux, sont considérés comme de « race » blanche, mais d’une « ethnie » différente (sous-entendu, « de la normale », dans le beau pays de Trump).
La mention « race » qui serait totalement interdite chez nous se trouve sur la majorité des documents officiels américains. Lorsque les États-Unis seront de nouveau gouvernés par un homme adulte (même un peu vieux, semble-t-il !) et non par un vieux gamin détraqué, fils à papa au QI de pince à linge, il faudrait peut-être songer à supprimer cette mention et la remplacer au besoin (mais en est-il réellement besoin !), par le mot « ethnie » ou « origine ethnique » (ce qui est également interdit chez nous et j’espère que ÇA LE RESTERA !)
En tous cas, ce brocardage d’un mot honni et haineux, serait-il plus utile que de brocarder Autant en emporte le vent (le film et le livre) comme l’ont fait certaines plateformes, brocardage qui atteint la France puisque le Grand Rex, pour fêter sa réouverture le 22 juin, devait ressortir le film et qui, du coup, s'en est abstenu.
Tout-à-coup, ô miracle, les États-Uniens ont découvert que ce film vénéré avec 13 nominations aux oscars et 10 statuettes remportées, champion hors catégorie du tiroir-caisse jusqu’en 1963, adapté d’un livre « dévoré » au nord comme au sud et par les lecteurs de « race » blanche comme par les lecteurs de « race » noire et prix Pulitzer 1937, les Américains, donc, viennent de découvrir qu’Autant en emporte le vent faisait l’apologie de cette société esclavagiste du Sud « emportée par le vent », le vent mauvais du Nord qui laissait les profiteurs de guerre (« Carpetbaggers » qui arrivaient avec leurs sac en tapisserie), accompagnés de « nègres voyous » qu’on avait affranchis « un peu trop tôt » piller le Sud « so romantic » de Scarlett O’Hara qui sera victime d’une agression de ces « sales nègres », punis, fort heureusement par une expédition punitive de ce que ni le livre, ni le film, n’ose tout de même nommé : le Ku-Klux-Klan.
Il est question maintenant de ressortir le film assorti d’un préambule qui ressemblerait furieusement à celui qui accompagnait les copies destinées aux pays européens et qui expliquait le contexte historique de la Sécession des douze états du sud et de la guerre qui s’en suivit. Lors d’une des (nombreuses) ressorties du film, ce préambule fut supprimé et remplacé par celui qui apparaît dans la version originale où il est précisément question d’un pays de « chevaliers et de champs de cotons appelé le Vieux Sud […] un monde à jamais disparu de chevaliers et leurs charmantes dames, de maître et d’esclave qu’on ne trouve plus que dans les livres et qui n’est plus que le souvenir d’un rêve. »[1]
Bien sûr, ce « rêve » devait chez les noirs plus s’assimiler à un cauchemar ! Même si Selznick fit remplacer le terme « negroes » par « darkies » dans la bouche de Gerald O’Hara dans une scène avec Scarlett (la VF a conservé le terme de « nègres »), il est quand même question d’« inférieurs » et ça, non seulement c’est dit, mais c’est très vraisemblablement pensé.
Comme l’a fait très justement remarquer Pascal Blanchard, censurer ces termes, certes choquants, fera le jeu des révisionnistes du futur qui feront remarquer qu’il n’y a aucun terme offensant dans ce film (et dans le livre qu’on veut également « revisiter » pour le rendre politiquement correct), à partir du moment où on les aura supprimés : restera l’idéologie !
« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter » (George Santayana)


[1] Ce texte qui accompagne le générique est de Ben Hecht, un des (très) nombreux scénaristes ayant travaillé sur le film et non crédité.

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