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Murder by Decree (Meurtre
par décret) de Bob Clark (1978)
Au cours de l’automne 1888, la population londonienne
a peur et les « radicaux » critiquent ouvertement les
autorités : depuis le 6 août trois prostituées ont été sauvagement
assassinées dans le quartier populaire (et mal famé) de Whitechapel par un
tueur qui se fait appeler « Jack l’éventreur ». Un groupe d’habitants
du quartier, des commerçants, viennent demander son aide à Sherlock Holmes.
La même nuit, deux autres prostituées sont assassinées
par l’éventreur. Mais le très conservateur Sir Charles Warren, directeur de
Scotland Yard, empêche Holmes d’enquêter.
Un
mystérieux informateur conseille au détective d’aller voir James Lees, une
sorte de médium qui a eu une vision de l’assassin.
Dans une ruelle de Whitechapel, la caméra, en plan
subjectif fonce sur une femme après qu’on a entendu une voix sépulcrale dire « Maintenant ! »
et qu’on a entrevu les yeux du tueur. La musique se fait oppressante et on
pense aux Dents de la mer de Spielberg. Le ton est donné dès la deuxième
séquence et l’ambiance est installée : elle n’a rien d’originale, mais
elle reste fascinante. Whitechapel, le brouillard, les prostituées attaquées,
il émane de tout cela un charme morbide auquel on ne peut qu’être
« sensible », mais qui, certainement, fascinait aussi les
contemporains de l’éventreur, ces Londoniens de l’époque victorienne qui avait
déjà frémi au récit de Stevenson Le Cas
étrange du docteur Jekyll et Mr Hyde paru deux ans auparavant et allaient
trembler, quelques neuf ans après les meurtres de Whitechapel, devant le Dracula de Bram Stoker.
Jekyll et Hyde étaient de vrais mythes et Dracula, un
mythe plaqué sur un personnage historique. Jack l’Eventreur devint un mythe
alors qu’il sévissait encore : ce tueur en série n’assassina jamais
« que » quatre (ou cinq) femmes, ce qui, par rapport aux tueurs en
série actuels, est bien peu de choses. Mais l’affaire ne fut jamais résolue et
c’est ainsi que le mythe s’installa.
Les victimes de l’Eventreur étaient des prostituées
d’un certain âge, misérables et passablement « ravagées ». Une des
qualités du film de Bob Clark est justement de les avoir fait interpréter par
des femmes mûres et passablement enlaidies, sauf Mary Kelly et Annie Crook.
Depuis 1888, les thèses les plus délirantes ont été
échafaudées autour de Jack l’Eventreur. Le film est adapté d’un roman de John
Lloyd et Elwyn Jones, The Ripper File.
[1]
On peut le voir dans une version restaurée et
apprécier toute la finesse du scénario, de la réalisation de Bob Clark et de la
photo de Reg Morris, même si tout cet attirail horrifique (les rues de
Whitechapel, le brouillard, le regard du tueur fou, la misère du quartier…) a
été vu des milliards de fois, mais avec souvent moins de talent.
Et puis, il y a l’interprétation : Donald
Sutherland, John Gielgud, Anthony Quayle, Frank Finlay, David Hemmings et
Geneviève Bujold entourent le duo vedette, James Mason en docteur Watson,
intelligent et drôle (ce qui ne correspond pas tout à fait au personnage de
Conan Doyle) et surtout Christopher Plummer en Sherlock Holmes descendu de son
piédestal, moins sûr de lui, sensible et révolté, une véritable réinvention
qu’on retrouvera dans le personnage de l’inspecteur Frederick Abbeline, le
véritable enquêteur de l’affaire, qui sera incarné par Michael Caine en 1989
dans le téléfilm de David Wickes, Jack l’Éventreur.
Au cours des années, l’énigme de l’Eventreur de
Whitechapel « monta en grade ». A l’époque des faits, on accusait les
bouchers juifs (Whitechapel était un quartier pauvre où logeaient beaucoup d’immigrés
d’Europe de l’est, juifs pour la plupart et on y trouvait beaucoup d’abattoirs
casher) de perpétrer des meurtres rituels. Puis, on accusa les bourgeois
d’aller s’encanailler en « sacrifiant » ce qu’il considéraient comme
« les déchets » de l’humanité. De la bourgeoisie, l’accusation passa
allègrement à la noblesse et, tout naturellement, de la noblesse à la couronne.
La non-résolution de l’énigme amena, non moins naturellement, à la thèse du
complot « venu d’en haut ».
C’est cette thèse qui est développée ici (comme chez
Wickes d’ailleurs). Mais peu importe la thèse, quand on se trouve face à un
vrai bon film noir, même s’il n’y a pas eu de brouillard sur Londres entre août
et octobre 1888 (dates des meurtres de l’éventreur), même si les meurtres
avaient lieu de jour et même si les rues de Whitechapel étaient trop étroites
pour que le fiacre du mystérieux tueur ait pu jamais s’y engouffrer.
Il
n’est pas inutile de mettre les pendules à l’heure (comme le fait très bien
Stéphane Bourgoin dans le documentaire Sherlock contre Jack qu’on trouve
sur le DVD), mais le romanesque, surtout à ce niveau, ça fait quand même de
très bons films.
22 août
2017
Comme ça arrive quelquefois, après quelques
années, un film qu’on revoit peut décevoir. Ici, c’est très léger et, en fait,
à peine perceptible.
Meurtre par
décret est, tout de même, un
« film à suspense » qui remise le discours politique au second plan.
A partir du moment où il n’y a plus de suspense, on s’ennuie un peu.
Mais ça reste un excellent film.
Il est britannico-canadien, mais l’humour est
absolument britannique et répond justement au discours politique du film
soulignant (avec peut-être un peu trop d’insistance) la préoccupation, voire
l’obsession, des édiles victoriens à vouloir rester entre soi : « Un radical à Scotland Yard !?
Terrifiant ! ». La scène la plus drôle reste quand même celle du
petit pois que Watson veut attraper avec sa fourchette sans l’écraser :
lorsque Holmes, agacé, écrase le petit pois, Watson fait remarquer tristement
que ça n’a pas le même goût.
Car ici, face à un Watson définitivement conservateur,
Sherlock Holmes est un peu « au-dessus de ces contingences ». Qui
plus est face à un James Mason plus british que nature, c’est le Canadien
Christopher Plummer qui incarne Sherlock Holmes.
Le conservatisme un peu cul-cul de Watson est souligné
dès la première séquence par cette manifestation pro et anti-Prince de Galles,
ce (futur) Edouard VII, fils débauché de la désormais cacochyme Victoria. La
résolution de l’affaire Jack l’Éventreur passe d’ailleurs, selon le film, par
le jeune frère d’Edouard, le Duc de Clarence.
Mais ce n’est pas la couronne qui est directement mise
en cause ici : ce ne sont que ses contempteurs et ses laquais qui
exécutent ces crimes abominables ou qui couvrent ceux qui les ont
exécutés !
Curieusement, cette scène d’ouverture évoque celle de Senso au cours de laquelle les
« Enfants du paradis », ceux qui sont au « poulailler »,
balancent des insultes et des tracts verts, blancs et rouges aux Autrichiens
qui sont à l’orchestre.
Dans la forme, même après un quatrième (ou cinquième,
je ne sais plus !) visionnage, le film garde son charme avec son
Whitechapel très « cinématographique » qu’on dirait avoir été pris
dans les décors du Oliver de
Carol Reed.
[1]
Un bruit persistant expliqua
le purgatoire de quelques années que subit le film par le fait que les auteurs
du roman avaient attaqué le production en justice, car ils n’étaient pas
crédité au générique, ce qui est faux !
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