From Hell (2001) d’Albert et Allen
Hughes
Frederick Abberline, inspecteur de police du Scotland
Yard, est envoyé par sa hiérarchie dans le district de Whitechapel, au cœur de
l’East End londonien, quartier pauvre de Londres.
Depuis
le mois d’août de cette année 1888, plusieurs prostituées ont été assassinées
et éviscérées, probablement par le même tueur qu’on a surnommé, « Jack
L’Éventreur ».
Frederick
Abberline est en charge de l’enquête, mais il constate que sa hiérarchie ne
semble pas très pressée de lui faciliter les choses.
Le directeur
de la police, Sir Charles Warren, ne lui cache pas sa profonde antipathie et
lui fait bien sentir qu’il pourrait bien devenir la « tête de turc »
en cas de non-résolution, alors qu’il fait tout pour freiner l’enquête.
Si un
réalisateur voulait être très original et à moins d’être complètement
décervelé, il ne se lancerait certainement pas dans un film comptant « les
hauts faits » de Jack L’Éventreur !
Pas moins de 109 films ont été tournés
sur ce tueur en série qui, faute d’avoir été le premier, a été le premier à
être ainsi médiatisé[1] en
assurant lui-même cette médiatisation puisqu’il envoyait des lettres à Scotland
Yard et au Star, un tabloïd de l’époque.
Et toutes ces lettres se terminaient
invariablement par « Catch Me if You
Can ! Jack The Ripper » alors
qu’en exergue, l’une d’elle portait la mention « From Hell ».
Cette mention sous-tendait, à tout le
moins, certaine croyance religieuse.
L’avoir utilisé comme titre de la bande
dessinée américaine d’Alan Moore et Eddie Campbell nous renvoie plutôt, comme
la bande dessinée elle-même, à l’enfer que représentait l’East End en général
et le quartier de Whitechapel en particulier.
D’ailleurs, les auteurs ont bien
précisé que la « thèse » de Stephen Knight (qui est aussi à la base
de Meurtre par décret) n’était pour eux que le
terreau qu’ils désiraient exploiter pour montrer ce qu’étaient à la fois la
misère et la condition des femmes au sein de cette société de sous-prolétaires
dont les bourgeois et, à fortiori, les aristocrates ne voulaient même pas
savoir qu’elles existaient, sauf lorsqu’il s’agissait de s’en servir pour aller
s’encanailler. Ces films, et tout particulièrement From Hell, au-delà du côté monstrueusement anecdotique des femmes
éventrées, font un peu ce que faisait Charles Dickens un demi-siècle avant les
crimes en question pour, au-delà de la biographie d’un jeune garçon nommé Oliver Twist, montrer (et dénoncer) la
misère de ce qu’on appelle de nos jours le Quart-Monde dans certains quartiers
de Londres (Field Lane au sud de Saffron Hill, à l’époque de Dickens).
La série de la BBC, Ripper Street, s’éloigne encore plus des
crimes de l’éventreur qui n’est plus que la lointaine référence à toute la
violence qui n’a désormais plus rien à voir avec lui : la série devient
alors une véritable chronique horrifique de Whitechapel, ce quartier
« criminogène » comme on dit aujourd’hui.
From
Hell est indissociable de deux autres
(excellents) films : Meurtre par décret de Bob Clark et Jack l’Éventreur de David Wickes.
Tous les trois reprennent la thèse du
complot au sein duquel Sir William Gull, médecin personnel de la reine
Victoria, a… Comment dire ?... une place de choix !
Par voie de conséquence, on est bien
obligé de comparer les trois. Dans Meurtre par décret, Aberline devient rien
moins que… Sherlock Holmes et le contexte politique ne fait au début du film
qu’une apparition anecdotique, presqu’une allusion, jusqu’à ce qu’on comprenne
son importance de premier plan dans l’histoire.
Le film de Wickes
est le plus « complet ». Il traite de tout et principalement du
contexte politique avec la participation d’un personnage réel, George Lusk,
dont le film détourne quelque peu à la fois le rôle et la personnalité.
Curieusement, Lusk n’apparait que très
peu chez les frères Hughes, alors que c’était lui, en tant que leader du
« Whitechapel Vigilance Comittee », qui avait reçu la lettre
« From Hell » qui donne son titre au film.
En revanche, le prince Albert, Duc de
Clarence prend pour pseudonyme Albert Sickert et se fait passer pour peintre.
Or WALTER Sickert était effectivement un peintre de l’époque dont une des
œuvres est… Jack the Ripper’s Bedroom.
Cette chambre était la propre chambre de Sickert et « Jack
l’Éventreur » l’aurait occupé avant lui : c’est, du moins, ce que lui
aurait affirmé sa logeuse.
Et il se trouve que Walter Sickert est
le plus sérieux des (nombreux) candidats soupçonnés d’avoir été l’Éventreur, du
moins si l’on en croit le livre totalement fantaisiste que Patricia Cornwell,
visiblement plus à l’aise avec la fiction qu’avec l’Histoire, écrivit sur
l’affaire et qu’elle intitula de façon définitive et vindicative Jack L’Éventreur : dossier classé,
pourtant totalement faux et truffé d’invraisemblances.
Pour leur film (ça vient probablement
de la BD originale), les frères Hughes ont donc puisé dans toute la « Ripperologie »,
y compris la plus fumeuse.
Le film est une totale réussite
esthétique ayant visiblement bénéficié de plus de moyens que Meurtre par décret et, bien sûr, d’une
technologie plus avancée.
Abberline n’est pas héroïnomane, comme
Sherlock Holmes dans le film de Clark, ou
alcoolique, comme chez Wickes, mais
opiomane ce qui lui permet d’avoir des visions et de faire ainsi l’économie du
personnage de Lees, le « voyant de la reine », présent dans les deux
autres films.
Johnny Depp, sans être sublime, est
très bien et l’ensemble du casting est parfait.
Mais dans cette « compétition »
cinématographique entre les trois films, From
Hell reste pour moi, malgré son incontestable suprématie esthétique, la
lanterne rouge du train… Mais d’un train indéniablement prestigieux !
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