Twelve Years a Slave (2013) de Steve McQueen
En 1863, Solomon Northup est un jeune noir plein d’avenir. Il vit à Saratoga dans l’état de New-York où l’esclavage a été aboli il y a plusieurs années. C’est un violoniste reconnu et il vit bourgeoisement avec sa femme et ses deux enfants.
Mais comme l’importation de nouveaux « nègres » en provenance d’Afrique est désormais interdite aux Etats-Unis (y compris en Géorgie), des malfrats enlèvent des noirs « libres » du Nord pour les vendre comme esclaves au sud.
Solomon est enlevé ainsi par de prétendus directeurs de cirque et il est vendu en Géorgie.
Il connaît alors l’existence de tous les esclaves : travail forcé, coups, fouets, domination absolue par des blancs incultes et psychopathes.
Une fois de plus, les critiques se sont un peu fourvoyés.
Steve McQueen fait partie d’une nouvelle vague (si je puis me permettre) de réalisateurs américains, ceux qu’on considère sans concession, appelant un chat un chat, prenant leurs sujets à bras-le-corps dans un style très personnel sans les facilités du blockbuster hollywoodien.
Et c’est ainsi que nos critiques hexagonaux ont accueilli le film dont il est question ici.
Malheureusement pour eux, il y a maldonne. Le film, voulu et produit par Brad Pitt – qui s’attribue un rôle de gentil, mais un rôle modeste tout de même -, est un monument d’académisme : tout ce qui arrive est attendu.
Ford, le premier maître de Solomon, est un gentil, mais son charpentier est un psychopathe inculte, honteusement cabotiné par Paul Dano qu’on avait vu excellent dans Looper de Rian Johnson et dans Prisoners de Denis Villeneuve.
Lorsque la joliette construite par Brad Pitt nous est montrée terminée, on sait que du temps a passé et que Solomon ne va pas tarder à recouvrer la liberté.
De plus, au lieu de se terminer sur la délivrance du héros, on a droit à la scène grotesque et larmoyante des retrouvailles familiales sans le moindre intérêt.
Cependant, le film gêne pour une autre raison : on nous montre quoi, au juste ? Un homme victime d’une injustice parce que, citoyen libre, il est enlevé par des malfrats et envoyé dans un état où il ne sera plus qu’une bête de somme. Mais qu’en est-il des autres esclaves, ceux qui sont nés et qui mourront esclaves, ceux, comme Patsey, que le libre citoyen Solomon Northup laisse derrière lui aux mains d’un couple de dégénérés sadiques, les Epps ? Leur sort serait-il juste ?
Bien sûr, on peut considérer que Steve McQueen, cinéaste noir, rejette l’esclavage, mais il est curieux, qu’un film, par ailleurs aussi lourdement démonstratif, se fasse aussi discret en ce qui concerne ce problème de fond.
Cependant, il le fait dans deux scènes : lorsqu’Eliza reproche à Solomon d’être devenu « Platt » (son nom d’esclave), en obéissant aveuglément à Ford qui est certes un brave homme, mais tout de même un esclavagiste et lorsqu’il nous montre Maîtresse Shaw, une ex-esclave qui s’est faite épouser par son maître.
Mais pour le reste, l’ambiguïté réside sur la dénonciation d’une escroquerie (faire passer un citoyen libre pour un esclave) qui masque, en réalité, le simple fait de l’esclavage d’êtres humains dont d’autres humains estiment qu’ils sont leur propriété.
De plus, l’académisme atteint aussi le jeu des acteurs : si Chiwetel Ejiofor est très bien, les autres comédiens vont du médiocre (Benedict Cumberbatch dans le rôle de Ford) aux grotesques et cabotinants Paul Dano (déjà cité) et, surtout, Michael Fassbender dans le rôle d’Edwin Epps.
Les seules pépites de ce triste casting sont, en dehors du héros, quatre femmes : les deux esclaves Eliza (Adepero Oduye) et, surtout, Patsey (remarquable Lupta Nyong’o qui s’est vu attribué l’oscar de la meilleure actrice de second rôle), l’ex-esclave devenue maîtresse Shaw (la toujours excellente Alfie Woodard) et maîtresse Epps, vindicative, jalouse, retors et presque aussi déséquilibrée que son mari (Sarah Paulson, excellente également).
Pour compléter et ajouter une pierre à l’édifice, ce film lisse, consensuel et académique a tout naturellement, obtenu l’oscar du meilleur film.
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