lundi 1 février 2021

Amen

 

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Amen (2001) de Costa-Gavras

 En 1938, le docteur appose un cachet sur des dossiers de malades mentaux. Les patients sont alors amenés dans une pièce hermétiquement close et sont gazés. Parmi ces malades, il y a la jeune nièce du lieutenant SS Kurt Gerstein.

Cinq ans plus tard, Kurt Gerstein est chargé de l’approvisionnement des camps de concentration de l’est en Zyklon B, un produit particulièrement dangereux se présentant sous la forme de cristaux d’acide prussique qui se transforme en gaz au contact de l’air et qui est réservé à la désinfection, puisqu’il éradique toute « vermine ».

Or, dans le terme « vermine », les nazis incluent les Juifs. Kurt Gerstein, abasourdi, assiste à un gazage à Treblinka.

Il essaie de prévenir le nonce du pape à Berlin, mais celui-ci refuse de l’écouter comme refuseront toutes les personnes de son entourage qu’il voudra mettre au courant : seul Ricardo Fontana, jeune prêtre jésuite issu d’une famille de l’aristocratie vaticane et secrétaire du nonce, consent à l’aider.

Alors que les trains de marchandises plein à craquer de leurs marées humaines destinées à l’extermination sillonnent toutes les voies ferrées européennes (les trains de déportés sont prioritaires sur tout autre convoi), le sauvetage des Juifs devient le combat de Gerstein et de Fontana.

Lorsque la pièce de Rolf Hochhutz Le Vicaire, fut représentée pour la première fois à Berlin le 20 février 1963, les autorités vaticanes crièrent au complot bolchévique contre l’Eglise (ils n’osèrent tout de même pas crier au complot judéo-bolchévique ! ...).

Depuis, le temps a fait son œuvre et ce n’est pas dévoiler un secret, que de dire que Pie XII était plus attaché à lutter contre le communisme athée que de sanctionner, ne serait-ce que par la parole, les exactions des voyous du régime nazi, régime tout aussi athée que le communisme au demeurant.

Son attitude a donc été plus qu’ambigüe et on sait très bien qu’Hitler aurait réfléchi à deux fois s’il y avait eu des protestations de la part du Saint-Siège : n’oublions pas qu’il avait ordonné l’arrêt des gazages des malades mentaux à la suite de la dénonciation des faits par… l’Eglise catholique romaine !

La triste réalité est beaucoup plus glauque et elle est résumée en quelques mots que « le docteur » adresse à Riccardo à son arrivée à Auschwitz : « Le monde entier sait ce que nous faisons ici […], mais voyez-vous des avions alliés dans le ciel venir au secours de ces “malheureuses victimes” ?». Et tout cela est rigoureusement exact ! D’ailleurs, cette réplique n’est pas dans la pièce d’Hochhutz : elle a donc été ajoutée dans l’adaptation qui, pourtant, a élagué une grande part d’une pièce passablement interminable.

A l’époque de la pièce, remettre en question le fait que les alliés n’avaient découvert le régime concentrationnaire nazi et, tout particulièrement, les génocides des Juifs et des Tziganes qu’à la libération des camps en 1945 et seulement à ce moment-là était absolument inconcevable.

Mais le temps, une fois encore, a remis les pendules à l’heure et de nombreux ouvrages ou de films comme Shoah, émaillés de témoignages directs comme celui de Jan Karski, par exemple, nous ont bien expliqué que la situation des victimes civiles (raciales ou autres) du nazisme ne constituait pas pour les alliés une préoccupation primordiale.

Le film de Costa-Gavras, tout en se basant sur la pièce de 1963, a l’immense avantage d’avoir été tourné en 2001, ce qui lui permet de tourner le dos à un certain pathos ; car il y a dans la pièce plusieurs scènes qui sont autant de concessions au mélodrame d’un goût douteux avec, notamment, tout l’itinéraire d’une famille juive romaine, les Luccani (le grand-père, le père la mère, le garçon et la fille, plus un bébé qui sera sauvé par une voisine) depuis leur arrestation jusqu’au seuil de la chambre à gaz.

Les ellipses sont d’ailleurs d’une redoutable efficacité. On ne voit que très peu les Juifs dans deux ou trois scènes d’arrestation à Rome et la montée dans le train à Tiburtina, ainsi que le même train arrivant à Auschwitz dans le même décor, les deux scènes ayant été tournées simultanément : ce décor unique censé figurer (et très probablement amalgamer volontairement) à la fois la gare des faubourgs de Rome et la sinistrement célèbre « rampe » de Birkenau pourrait sembler une maladresse de mise en scène en ce qui concerne la crédibilité qu’on accorde au film, mais, en fait, ça « ramasse » le processus de déportation et l’assimile plus facilement au processus d’extermination systématique.

Pour le reste, ce sont des symboles ou des allusions qui figurent la mise à mort (les SS regardent ce qui se passe dans les chambres à gaz par un œilleton) et surtout, la déportation avec ses wagons fermés qui vont vers les camps et les mêmes wagons ouverts qui en reviennent vides. Avec talent, Costa-Gavras fait ainsi l’économie de centaines de pages de texte qui figure dans cette pièce à la lourdeur quelque peu… teutonne.

Naturellement, les culs-bénis et les révisionnistes se sont jetés sur le film comme ils s’étaient jetés sur la pièce, il y a cinquante ans.

Mais quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent, ils ne pourront jamais faire que Kurt Gerstein n’ait pas existé, de même que Riccardo Fontana qui est certes un personnage de fiction, mais très inspiré par un prêtre catholique allemand Bernhardt Lichtenberg, prévôt du chapitre à Berlin qui dénonçait en chaire, depuis la Nuit de Cristal en novembre 1938, le martyre des Juifs qu’on envoyait « à l’est » et dont il voulut partager le sort. Il mourut pendant sa déportation à Dachau.

Les autres personnages du film ont bel et bien existé, mêmes lorsque leurs patronymes et les propos qu’on leur prête sont fictifs, jusqu’à ce docteur plus cynique que sadique en qui il est difficile de ne pas reconnaître Josef Mengele, surnommé « L’Ange de la Mort », le sinistre « médecin » d’Auschwitz. Pour ceux qui auraient des doutes, il suffit de lire la pièce : le docteur avoue dans une réplique être fasciné par la gémellité.

Dans ce rôle, on retrouve le regretté Ulrich Mühe, disparu juste après avoir incarné Wiesler, l’agent de la S.T.A.S.I., dans le superbe La Vie des autres de Florian Henckel Von Donnersmark où il est, de nouveau, le collègue d’Ulrich Tukur qui incarne Kurt Gerstein dans le film de Gavras, le SS dont la communauté juive a fait graver, à Paris, le nom sur le monument commémoratif du Mémorial de la Shoah.

Les deux Ulrich sont remarquables, chacun dans son rôle, deux rôles totalement opposés : un idéaliste chrétien décidé à combattre le mal de l’intérieur et un cynique athée se conformant au système et présenté comme un être froid et sans passion (alors que Mengele a toujours été décrit comme un sadique pathologique, fruit modèle d’une idéologie dégénérée) ; l’idéologue se sacrifiera, alors que le cynique sauvera sa peau grâce à une fuite par « La Route des rats » que lui offre… le Vatican !

N’oublions pas nos compatriotes qui incarnent, eux, des Italiens : Mathieu Kassovitz, terriblement émouvant en prêtre martyr, et le regretté Michel Duchaussoy, le cynique et cauteleux cardinal qui trouve « fatigants » les efforts désespérés de Riccardo pour sauver les Juifs en faisant intervenir le pape.

Tout le reste du casting, ainsi que le scénario et la mise en scène très inspirée de Costa-Gavras, sont également superbes.

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