jeudi 27 mai 2021

Another Year

 

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Another Year (2010) de Mike Leigh

Tom et Gerri sont mariés depuis de nombreuses années. Ils ont un fils, Joe, qui habite depuis peu dans son propre appartement.

 

Et puis, ils ont des amis comme Ken un dépressif boulimique et surtout Mary, une collègue de Gerri qui parle trop, qui boit trop, qui aime trop.

Il y a trente-cinq ans, Anne Sylvestre chantait Les Gens qui doutent, une ode à ceux qui marchent « moitié dans leurs godasses et moitié à côté ».

Ken, Mary et Ronnie sont des « gens qui doutent » : Ken boit, mange et fume tout le temps, Mary parle tout le temps, Ronnie se tait tout le temps. Chacun dans son style, ce sont des paumés, ceux que certains appellent des ratés, ce qui tenterait à prouver que ces « certains » s’estiment « réussis ». Comme Aubrey, patron du « Regent Rien », improbable restaurant français dans Life is Sweet, comme Johnny, le (anti-)héros de Naked, comme Cynthia, la mère dans Secrets et mensonges, ce sont des personnages non pas brisés, mais juste fêlés, encore réparables à condition que quelqu’un s’y intéresse. Tom et Gerri s’y intéressent, mais il ne faut pas trop leur en demander.

Curieusement, les critiques positives aussi bien que négatives sont toutes tombées à bras raccourcis sur ces deux personnages sous prétexte qu’ils sont heureux et équilibrés : les négatifs reprochant à Mike Leigh d’avoir fait du couple des « saints laïques » alors que les positifs s’empressent de préciser que ces deux personnages n’intéressent pas le réalisateur.

Certes, on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, mais il faut reconnaître que ce sont les plus pratiques pour voyager !

Qu’est-ce que c’est que ce syndrome de la boboïtude de vouloir toujours que ce ne soit que les personnages éructants, gueulards et éternellement malheureux qui méritent d’être montrés, comme s’il fallait faire payer au pauvre spectateur le confort dans lequel il vit ?

Mike Leigh nous présente son Tom, sa Gerri, leur petite maison, leur potager et le jardin de la maison comme des individus aimables et attachants, même s’il nous présente aussi, Ken, Ronnie, Carl et Mary (surtout Mary), tels qu’ils sont et il nous les fait aimer.

Le seul personnage sur lequel on le sent plus réservé, c’est Katie, la fiancée de Joe, toujours contente, toujours riante, sorte d’hystérique du bonheur, personnage très exaspérant qu’on finit par ne pas plus supporter que ne la supporte Mary.

Certains films nous imposent des personnages impossibles qu’on se doit d’apprécier parce qu’ils sont « à part » (je pense tout particulièrement à une nullité française récente où une débile mentale était censée représenter « la vraie vie »).

Mike Leigh fait exactement le contraire. Mary est exaspérante et c’est à travers ses rapports avec sa voiture qu’on la perçoit le mieux : au printemps, elle pense que sa vie va changer si elle achète la voiture. En été, elle est heureuse, car elle a acheté une voiture. En automne, la voiture est en panne. En hiver, elle s’en est débarrassée. Sa voiture, ce sont tous ses projets : elle met de l’espoir en eux, elle est heureuse lorsque ça commence, elle commence à douter au premier accroc, puis elle abandonne.

Elle finit par ne plus penser, par ne plus exister, par se couper du monde, comme dans ce superbe et épouvantable plan final qui s’approche d’elle alors qu’elle se mure dans sa solitude.

 Another Year est un très grand film.

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