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La Vérité sur Bébé Donge (1951) d’Henri Decoin
François Donge, riche industriel de province, est entre la vie et la mort : il vient d’être empoisonné par sa femme Elizabeth que tout le monde appelle Bébé. Il se souvient de sa première rencontre avec elle.
De passage à Paris, François Donge croise Bébé par hasard. De retour chez lui, il retrouve son frère Georges qui va épouser Jeanne d’Onneville. Bébé est la sœur de Jeanne.
Le double mariage a lieu. François et Bébé partent à Naples en voyages de noces. Bébé est une jeune femme romanesque et François reste un homme d’affaires.
Dix ans plus tard, l’intoxication alimentaire de François s’avère être, bel et bien, une tentative d’empoisonnement de la part de sa femme et toute la ville le sait.
La Vérité sur Bébé Donge est un chef d’œuvre du cinéma français unanimement admiré aujourd’hui. Il connut, comme tous les films de Decoin, sa traversée du désert : la Nouvelle Vague, comme on le sait, brocarda allègement les Carné, les Clouzot, les Delannoy et, bien entendu, Decoin qui représentait à lui-seul, ce que ces petits messieurs appelaient « la qualité française ».
Le temps a fait son œuvre et Decoin a été très justement remis à la place qui lui revient, celle d’un très grand metteur en scène. On en vient même maintenant à admirer ses « ratés » (Nathalie, agent secret, Bonnes à tuer et d’autres…). Seul le grotesque Pourquoi viens-tu si tard ? n’a jamais, et c’est heureux, été « réhabilité ».
Cependant, La Vérité sur Bébé Donge pose, une fois de plus, le problème de l’adaptation. Le roman de Simenon date de 1940 : c’est l’histoire d’un couple formé par deux personnes qui, visiblement, ne s’aiment pas et qui, en définitive, ne s’aimeront que trop tard. Leur mariage bourgeois leur interdit tout sentiment : François et Bébé respectent le contrat. Un seul enfant, les maîtresses de François et une vie sexuelle particulièrement morne. Seulement voilà : après son empoisonnement, François s’aperçoit que Bébé n’a pas respecté cette règle et lui-même se rend compte qu’il aime sa femme et qu’il l’attendra, tout au moins dans le roman, puisqu’il survit et que Bébé est condamnée à cinq ans de travaux forcés.
Mais il faut croire que l’autopsie d’un couple vue par Simenon ne convenait ni à Decoin, ni à Maurice Aubergé, l’adaptateur du roman. François meurt (du moins, on le suppose) et l’arrestation de Bébé est le dernier plan du film. Plus important, celle qui empoisonnait son mari parce qu’IL ne l’aimait pas chez Simenon, le tue ici parce qu’ELLE ne l’aime plus et l’argument perd beaucoup dans ce changement.
Sans vouloir abonder dans le sens Nouvelle Vague, il faut bien constater que tous ces changements vont dans le sens de ce qui supposait accrocher le public. Chez Simenon, les dialogues sont (toujours) assez rares, ce qui n’est pas très cinématographique : du coup, ce que le père de Maigret expliquait d’un mot est transposé ici en diatribes interminables qui alourdissent plus qu’elles n’expliquent. Dans le roman, Bébé est décrite comme une jeune femme charmante et distinguée, mais physiquement fade et froide. « Elle a la chair molle » constate François après avoir fait l’amour avec elle pour la première fois. Comme il était impensable de faire jouer ça à Danielle Darrieux, on en fait une jeune fille romanesque, proche de ses personnages de Premier rendez-vous et de Battement de cœur qui deviendra une femme meurtrie affichant une douleur marmoréenne. Gabin, lui, est plus proche du personnage original. Le personnage de madame d’Ortemont est entièrement inventé (par rapport au roman) pour permettre à Gabrielle Dorziat de faire un splendide numéro d’entremetteuse de province.
Decoin amène le roman à lui sans lui donner la touche Simenon qu’un Ophuls, par exemple, n’aurait pas manquer d’apporter. De fait, le principal reproche qu’on peut faire au film est qu’il est tout de même un peu bavard.
Mais, tant au niveau de la réalisation, de la construction et de l’interprétation, La Vérité sur bébé Donge reste un très grand film.
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