jeudi 26 août 2021

Asphalte

 

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Asphalte (2015) de Samuel Benchetrit

C’est la réunion des propriétaires de cet immeuble de banlieue et, comme l’ascenseur est en panne tout le temps, tout le monde vote pour acheter un nouvel ascenseur, tout le monde sauf Sternkowitz qui habite au premier étage.

Dans le même immeuble, Charly, un adolescent, voit s’installer sur son palier Jeanne Meyer, une ancienne actrice de cinéma qu’il ne connaît pas, alors que, sur le toit du même immeuble, une capsule de la NASA « atterrit » brutalement. Un astronaute en sort et va se « réfugier » dans  le premier appartement qu’il trouve, celui de madame Hamida, une Algérienne qui ne parle pas anglais, alors que John, l’astronaute, ne parle pas français.

Pendant ce temps, Sternkowitz victime d’une attaque, devient paraplégique. Or, il n’a pas le droit, suite à son refus de payer l’ascenseur, de l’utiliser.

Le film de style « chronique d’un immeuble » est un genre en soi : dans le cinéma populaire des années 30 en France (Le Crime de monsieur Lange, Derrière la façade) ou des années 50 (L’Impossible monsieur Pipelet, Du mouron pour les petits oiseaux), bien évidemment dans le cinéma néoréaliste italien (Domenica d’agosto, Le Ragazze di San Frediano) jusqu’au fameux Immeuble Yacoubian, immense succès du cinéma égyptien récent.

Il fut aussi, bien sûr, un sujet rêvé pour les films à sketches. Le film à sketches était très à la mode dans les années 50. Le système était alors très linéaire : les sketches se succédaient sans jamais s’interpénétrer, sauf dans le cas spécifique du « film d’immeuble » précisément où on pouvait dans un sketch donné voir des personnages des sketches précédents ou des sketches suivants.

A notre époque, le « film à sketches d’immeuble » joue sur l’interpénétration des histoires les unes dans les autres.

Ici, en revanche, on alterne des séquences des trois histoires, mais, curieusement, aucun personnage n’apparaît dans une histoire qui n’est pas la sienne.

Il y a trois histoires et un couple ou duo pour chaque histoire. Dans les trois cas, l’homme et la femme ne se connaissent pas au début du film. Dans aucun des trois cas, ils ne deviendront un couple, même si le vieux garçon paraplégique est visiblement amoureux de l’infirmière et si la comédienne vieillissante joue de son charme sur son tout jeune voisin.

Le sujet commun aux trois histoires, c’est la solitude, l’isolement : celui de madame Hamida dont le fils est en prison, celui de John, astronaute ayant accidentellement atterri dans un pays dont il ne parle pas la langue et dans un univers qui lui est parfaitement étranger, celui de Jeanne, comédienne qui essaie d’oublier dans l’alcool qu’elle a vieilli, celui de Charly qu’on ne voit à aucun moment avec ses parents, celui de Sternkowitz, vieux fifils à maman dont la mère est morte probablement récemment en le laissant en plein désarroi, celui de l’infirmière qui passe toutes ses nuits à l’hôpital et qui sort, seule, toutes les nuits à 1h30, pour fumer sa clope.

Et on ne sait d’eux que ce qu’ils se disent, sauf lorsqu’un personnage ment à l’autre comme Sternkowitz qui s’invente une fabuleuse carrière de grand photographe.

Chacun va servir de révélateur et/ou de béquilles à l’autre : John est un substitut du fils de madame Hamida, Charly est un substitut de metteur en scène pour Jeanne et l’infirmière (métier « maternel » s’il en est !) est un substitut de mère pour Sternkowitz.

Et ces histoires simples, douces nous font passer d’un état à l’autre sans même y penser.

Le comique surréaliste de la première scène, celle de la réunion des copropriétaires pour décider de l’achat, ou non, d’un nouvel ascenseur, rappelle immédiatement la première scène de Mammuth de Benoît Delépine et… Gustav Kervern, l’interprète, ici, du rôle de Sternkowitz. Et lorsque le « président de séance », un peu interloqué par le refus de payer l’ascenseur de Sternkowitz veut délibérer avec les autres propriétaires, il décide de faire émigrer toute l’assemblée dans sa chambre plutôt que faire sortir Sternkowitz qui, d’ailleurs, lui avait proposé. Et Sternkowitz se retrouve seul, isolé encore une fois.

Après cette séquence initiale, le film a tendance à patiner un peu. Il décolle, si je puis dire, au moment où la capsule spatiale atterrit, c’est-à-dire au bout de 25 minutes.

Et à partir de là, on passe de l’émotion au rire et du rire à la réflexion autour de ces trois histoires fortes, drôles et émouvantes : un homme paraplégique ne peut sortir de chez lui que la nuit et il fait la connaissance d’une infirmière de nuit à qui il fait croire qu’il est un grand photographe, un astronaute de la NASA « trouve refuge » chez une femme âgée d’origine algérienne dont le fils est en prison et un adolescent va aider sa voisine qui fut une grande comédienne à assumer son âge et à repartir.

On n’en finirait pas de citer les séquences de ce film atypique : la scène hilarante où John raconte (en anglais !) à madame Hamadi ce qui va se passer dans Amour, gloire et beauté, ce qui consterne la vieille dame qui, curieusement, a compris ce que le jeune homme lui racontait, la scène émouvante où la même madame Hamadi chante une berceuse à John qui se met à chanter lui aussi, celle des photos que Sternkowitz prend de l’infirmière, celle de l’essai vidéo au cours duquel Charly fait découvrir à Jeanne qu’elle est désormais Agrippine et non Poppée et celle, très émouvante pour nous, où on revoit Isabelle Huppert dans La Dentellière, son premier rôle important.

Bien sûr, la complète réussite de ce film est due « aussi » à ses six interprètes : Gustave Kervern, Valeria Bruni-Tedeschi, Tassadit Mandi, Michael Pitt, Isabelle Huppert et Jules Benchetrit qui n’est pas que le fils du réalisateur, mais surtout un sacré comédien (qui retrouve ici celle qui fut la partenaire de sa mère, Marie Trintignant, dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol).

Et tout cela aurait pu donner une très jolie pépite cinématographique pour cette fin d’année. En fait, Samuel Benchetrit nous offre un bijou.

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