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The Manchurian Candidate (Un crime dans la tête) de John Frankenheimer (1961)
Au début des années 50, en Corée, une patrouille américaine tombe dans une embuscade tendue par les Nord-Coréens.
Lorsque les soldats de la patrouille reviennent aux États-Unis, ils témoignent tous dans le même sens et surtout, très exactement, dans les mêmes termes de l’héroïsme de Raymond Shaw, de son charisme et ils font tous le même récit de leur évasion orchestrée par Raymond Shaw.
Celui-ci est le fils d’Eleanor Shaw Iselin, femme du sénateur Iselin, anticommuniste notoire (et hystérique).
Mais le major Marco et les autres compagnons de Shaw lors de l’embuscade en Corée ont le sentiment d’avoir fait un récit de cette embuscade sans en avoir réellement le souvenir et de n’avoir jamais eu la moindre sympathie pour Raymond Shaw.
De plus, certains d’entre eux font un bien étrange cauchemar où se mélangent une conférence ennuyeuse par des vieilles dames sur les hortensias et un aréopage d’officiers russes et chinois.
Le livre de Richard Condon date de 1959 et cette adaptation a été réalisée trois ans plus tard et dix ans après « les évènements », en l’occurrence, la guerre de Corée.
Et contrairement à ce qui se passe avec le remake de Jonathan Demme de 2004, le film de Frankenheimer, adaptation très rigoureusement fidèle, se confond avec le livre de Condon.
C’est Frank Sinatra (plutôt sympathisant du parti démocrate) qui se battit pour qu’un studio finisse par accepter le projet et le crooner mit lui-même la main à la poche pour que le film se fasse.
Du coup, il incarne l’un des trois rôles principaux, celui du capitaine Marco qui sera le premier à se dire que les souvenirs qu’il a de l’embuscade et de ce qui a suivi ne sont pas forcément conformes à la réalité.
Et cela nous est révélé par une scène totalement hallucinante, au sens propre du terme, LA scène qui marque, remarquablement réalisée, et franchement « cauchemardesque », puisqu’il s’agit bel et bien d’un cauchemar, mais qui est à la fois une réalité et une hallucination, résultat probable d’un conditionnement pas totalement réussi, ce qu’on appelait à l’époque « un lavage de cerveaux » : les soldats de la patrouille sont dans un hôtel vieillot « du New Jersey » un après-midi pluvieux et ils s’ennuient en assistant à une conférence sur les hortensias dans le cadre d’une association de vieilles dames. Mais au milieu de ce cadre quasi-bucolique et ennuyeux apparaissent les bribes d’une réalité angoissante.
De prime abord, le film apparaît donc comme assez anti-communiste et, du reste, la presse communiste ou procommuniste lui est tombé dessus à bras raccourcis.
Mais elle ne fut pas la seule : les ligues patriotiques et toutes les tendances de ce qu’on appellerait aujourd’hui « Le Tea Party » lui tombèrent également dessus, car plus qu’anticommuniste le film, comme l’était le livre, est surtout très violemment antimaccarthyste et, au bout du compte, il renvoie dos à dos les deux partis en dénonçant, surtout (ce qui est somme toute toujours d’actualité !) l’hystérie, une leçon que notre triste époque de « réseaux sociaux » et de leurs dérives haineuses, belliqueuses et dictatoriales devrait retenir.
En 1958, le maccarthysme venait juste d’être pulvérisé, mais en 1963, il infiltrait encore la société de relents nauséabonds.
Dans le film, même si les communistes sont parfois ridicules (petites luttes entre pays communistes qui apparaissent discrètement au milieu d’une simple réplique au milieu de la scène du cauchemar, petits trait d’humour vachard d’un supérieur « menaçant » vis-à-vis d’un subalterne), la plus grosse charge va vers le couple Iselin.
John Iselin qui dénonce « les communistes ayant noyauté le gouvernement », sans jamais se mettre d’accord avec lui-même sur leur nombre supposé, est présenté comme un pauvre type entièrement dirigé par sa femme intelligente, perverse, redoutable.
Eleonor est une femme frustrée (pas seulement par la faute des États-Unis) pour qui les hommes, et tout particulièrement son fils, seront les instruments de sa vengeance.
Angela Lansbury tient là un de ses meilleurs rôles, celui d’une mère possessive, à la fois calculatrice et hystérique. L’actrice d’origine anglaise faillit ne pas avoir le rôle, car elle n’était âgée que de trois ans de plus que « son fils » Laurence Harvey. Mais c’est précisément un atout, car on peut supposer que cet enfant né d’une femme « trop jeune » (enfin… un peu plus de trois ans tout de même !) n’a pas été aimé « sainement » et cela rajoute une dimension incestueuse qui, sans qu’on n’en parle jamais, a dû choquer en 1962.
Son fils dira d’elle : « Je n’ai pas toujours détesté ma mère : quand j’étais petit, je ne l’aimais pas, c’est tout ! »
Ce fils est lui aussi incarné par un Britannique (d’origine lituanienne) et le choix de Laurence Harvey est une idée géniale (de plus) : sa froideur est le trait de caractère que les Américains moyens attribuent à tout ce qui peut avoir tendance à s’estimer aristocratique par rapport à eux, en premier lieu, les Anglais.
Or, Raymond Shaw, malgré ce qu’en disent ses « camarades » n’est pas aimé, car « non aimable » comme il le dit lui-même.
Frank Sinatra et Janet Leigh sont parfaits dans des rôles plus convenus, en tous cas, moins intéressants.
Et le reste du casting est tout aussi parfait : on y remarquera particulièrement Henry Silva dans un rôle de méchant et, surtout, James Gregory dans celui du sénateur Iselin, un connard qu’on aime détester, rôle toujours valorisant pour leurs interprètes, pourvu qu’ils les jouent bien. Et c’est le cas ici.
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