mardi 24 août 2021

La Chute

 

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Der Untergang (La Chute) d’Oliver Hirschbiegel  (2004)

Avril 1945. Traudl Junge est depuis trois ans une des secrétaires d’Adolf Hitler. En tant que telle, elle partage avec quelques dizaines de personnes le redoutable « privilège » de vivre dans le bunker du « Führer » sous la chancellerie du Reich à Berlin.

Elle assiste ainsi aux derniers jours de l’un des pires dictateurs que la civilisation ait connus. Le « Führer » hurle, éructe, distribue les blâmes et les anathèmes à des collaborateurs qui ont déserté depuis longtemps, condamne à mort des officiers déjà tués et donne des ordres de conquête délirant à des armées qui n’existent plus.

Pendant ce temps, dans les rues de Berlin, au nom du Troisième Reich « victorieux » et de la guerre totale, on continue d’envoyer des enfants à la mort et à fusiller de pauvres gens qui essaient juste de survivre.

Toute diabolisation aboutit peu ou prou à une sacralisation et il est tout à fait curieux et pénible de s’apercevoir qu’à une époque pas si lointaine, il était tout aussi interdit en Europe occidentale de représenter Adolf Hitler, le personnage le plus honni de toute notre histoire dans une fiction que de représenter le prophète Mahomet chez les musulmans pour des raisons très exactement inverses. La règle n’était certes pas absolue, mais elle était transgressée principalement dans des comédies qui permettaient de rendre l’ignoble « Führer » parfaitement ridicule, que ce soit dans des films contemporains du dictateur (To Be or not to Be de Lubitsch, The Great Dictator de Chaplin) ou dans des films d’après-guerre (The Producers de Mel Brooks, Which Way to the Front de Jerry Lewis).

Ici, Hitler n’est pas une représentation indirecte, une silhouette lointaine et démoniaque ou un grotesque clown diabolique, c’est un dictateur au bout du rouleau, malade (physiologiquement et psychiquement), faisant subir sa tyrannie à des pantins trop lâches pour prendre la bonne décision (s’en aller), encore sous l’emprise de l’extraordinaire « magnétisme » que possédait, paraît-il, ce schizophrène dangereux.

Lors de sa sortie, le film suscita, naturellement, une polémique. N’était-il pas dangereux de montrer Adolf Hitler autrement que dans sa représentation habituelle de bateleur de foire haranguant des foules hystériques ? Encore une fois, ce fut un reproche sans fondement réel pour ceux qui avaient vu le film.

Certes, Adolf Hitler y est représenté comme un être humain (et c’est QUAND MÊME ce qu’il était, après tout), mais aucune forme d’empathie (à moins de ne pas être très équilibré) ne se dégage de cet être fini dont, au-delà de la grande performance de Bruno Ganz, on ne peut oublier qu’il personnifie le mal absolu, qu’il a provoqué la mort de plus de soixante millions d’êtres humains et qu’on l’a jeté (définitivement ? En tous cas, c’est ce que tout le monde souhaite) dans les chiottes de l’histoire.

Alors pourquoi cette polémique ? Déjà dans les années 50, les représentations de La Résistible ascension d’Arturo Ui avait soulevé le problème, comme si Bertolt Brecht avait pu, ne serait-ce qu’une seconde, envisager de montrer Hitler autrement que monstrueux. Et c’est justement la distanciation (brechtienne, donc) qui est reproché au film.

Ce qui m’a paru gênant, par contre, c’est une durée excessive (156 minutes et il existe une version intégrale de 178 minutes !), d’autant que pour réussi qu’il soit, le film perd un peu de son intérêt après la mort d’Hitler et à partir du moment où on se retrouve en dehors du bunker.

Il n’en demeure pas moins que La Chute est un film totalement maîtrisé, qui nous fait assister de façon quasi-clinique à l’agonie d’un système délirant. On a beaucoup insisté (avec juste raison) sur l’interprétation de Bruno Ganz, mais il faut bien dire qu’il n’est pas mal entouré.

On retiendra particulièrement la Magda Goebbels hallucinée de Corinna Harfouch, notamment dans la scène cauchemardesque du meurtre de ses enfants sur la tête de qui elle rabat la couverture après les avoir empoisonnés.

Adapter les mémoires de Traudl Junge, dernière secrétaire d’Adolf Hitler, dans un film de fiction était une gageure et Olivier Hirschbiegel s’en tire plutôt pas mal.

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