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Une si jolie petite plage (1948) d’Yves Allégret
Dans une petite ville proche de Berck au bord de la mer du Nord, un jeune homme, Pierre, arrive dans l’unique hôtel. Il y a là madame Mahieu, la patronne, qui tient le bar et la caisse, « le vieux », beau-père de madame Mahieu paraplégique, Marthe, la bonne, et un jeune garçon de l’Assistance Publique, employé par les Mahieu pour les grosses besognes. Le vieux semble reconnaître Pierre.
Des années auparavant, Pierre était un de ses employés venu tout droit de l’Assistance lui aussi. Exploité, battu et pratiquement pas payé, Pierre a profité du passage d’une chanteuse à succès pour devenir son amant et s’enfuir avec elle.
Or, la chanteuse vient d’être assassinée et c’est Pierre qui l’a tuée.
Alors que le « réalisme poétique » d’avant-guerre s’essouffle avec Les Portes de la nuit, Allégret y substitue le « réalisme noir » : avec Dédée d’Anvers et, plus encore, avec Manèges, les difficultés de l’après-guerre dépoétisent tout.
Les héros du Quai des Brumes ou Le Jour se lève pouvaient encore croire en des lendemains qui chantent, même si tout cela finissait mal. L’épilogue était sinistre, mais tout le film distillait une forme d’espoir.
Cet espoir était encore donné à Dédée d’Anvers. Dans Manèges, en revanche, plus question d’espoir. Quant à cette Si jolie petite plage, titre à l’humour noir et grinçant, elle n’offre plus rien : une plage peut être un endroit charmant, mais Jacques Sigurd et Yves Allégret nous rappellent, à la manière de Simenon, qu’une plage est aussi la fin de la terre, une limite au-delà de laquelle on ne trouve que le néant, le dernier refuge avant la mort. D’autant que nous ne sommes pas ici aux Bahamas, mais dans le Nord, en hiver et sous une pluie qui ne cessera qu’à l’extrême fin du film.
Marthe et Georges peuvent encore croire en l’avenir ou « aller de l’avant » sans se poser de question sur un avenir radieux, mais avec assez d’énergie pour survivre. Pierre, lui, n’a même plus cette énergie.
Rudoyé, battu par des Thénardier modernes qui emploient des pupilles de l’Assistance « parce que ça coûte moins cher et que ça fait le gros boulot », Pierre-Cosette a connu son Jean Valjean, cette chanteuse vieillissante qui l’a « tiré de là » pour en faire un amant-prisonnier qui ne s’évadera qu’en l’assassinant.
Ici, même l’amour est triste et dérisoire, comme celui que cette bourgeoise acariâtre et mal mariée porte au « successeur » de Pierre que celui-ci essaiera de prévenir, en vain. Car cette vie de misère a appris à ce garçon la veulerie, la méfiance et l’hypocrisie jusqu’à le rendre plus antipathique encore que ceux qui l’exploitent.
Encore une fois, ce sont Marthe et Georges qui représentent l’espoir, l’espoir de quitter cette Si jolie petite plage.
La référence cinématographique ne se trouve pas chez Carné d’ailleurs, mais chez Renoir puisque le plan final, tourné à l’envers, est directement emprunté au Crime de monsieur Lange. Mais ce n’est pas, cette fois, le héros « sauvé » qui se promène sur cette plage, mais un couple de bourgeois morne et statique.
Gérard Philipe considérait, paraît-il ce rôle comme l’une de ses meilleures prestations cinématographiques et il avait raison. Il laisse de côté ici tous ses tics et son cabotinage habituels pour camper, un adolescent qui n’a pas su grandir faute de moyens et qui n’a pas eu d’existence propre, passant du statut de bête de somme à celui de bête sexuelle. Et là, l’acteur tant adulé pour des prestations parfois médiocres est réellement extraordinaire.
Quant aux autres, ils ne sont pas mal non plus : Carette, Madeleine Robinson, André Valmy, Mona Dol, Jean Servais et la très grande Jane Marken sont les témoins implacables ou attendris de la fin de Pierre ; ils sont tous extraordinaires.
Une si jolie petite plage est un film désespéré et l’un des plus noirs du cinéma français, toutes époques confondues. Et c’est ce pessimisme absolu qui en fait une œuvre majeure.
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