jeudi 23 décembre 2021

Illusions perdues

 

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Illusions perdues (2021) de Xavier Giannoli

Lucien Chardon est un jeune bourgeois d’Angoulême. Il se pique de littérature et de poésie et se fait appeler Lucien de Rubempré, le patronyme de sa mère.

Nous sommes dans les premières années de la Restauration et l’aristocratie n’a jamais été aussi arrogante.

Lucien est l’amant de madame de Bargeton, mais lorsque le scandale de leur liaison éclate, ils fuient tous deux vers Paris.

Avec l’appui de sa maîtresse, Lucien commence à fréquenter le monde des lettres de l’aristocratie, mais dans le même temps les milieux littéraires et les journalistes « libéraux » opposés au pouvoir royaliste.

Appuyé par Lousteau, un journaliste républicain, Lucien se lance dans la critique littéraire et théâtrale.

En 1969, Maurice Cazeneuve réalisait pour la première chaîne de l’O.R.T.F., une adaptation des Illusions perdues d’Honoré de Balzac.

Lucien de Rubempré y était incarné par Yves Rénier. Lousteau, c’était le grand Bernard Noël (Lousteau était donc beaucoup plus âgé que Rubempré - ce qui confortait son image de mentor - contrairement aux deux personnages du roman qui ont le même âge) et Coralie, c’était Elizabeth Wiener. Le film était en noir et blanc puisque la première chaîne n’était pas en couleur à l’époque.

Télévision oblige (surtout à l’époque), la production n’avait rien du luxe de celle-ci !

Adapter un grand classique de la littérature n’est jamais chose aisée, particulièrement en ce qui concerne la littérature française du XIXème siècle, très descriptive et très précise dans ses descriptions et tout particulièrement Balzac, ce qui peut très rapidement devenir une pierre d’achoppement[1].

Dans l’adaptation de Cazeneuve (et dans mon souvenir) le personnage de Rastignac, certes très secondaire dans le roman, n’apparaissait que très peu.

Chez Giannoli et Fieschi, il n’apparait plus du tout, de même que le personnage de Jacques Colin, également nommé Carlos Herrera, mais plus connu sous le nom de Vautrin. Il faut dire que Vautrin n’intervient que dans la troisième partie du roman de Balzac alors que le film de Giannoli (comme celui de Cazeneuve) ne retient que la deuxième partie des Illusions perdues, Un grand homme de province à Paris.

De ce point de vue, il est vrai que le personnage de Vautrin ne manque pas. En revanche, celui de Rastignac est un contrepoint intéressant à Rubempré. Natif d’Angoulême, comme lui, le jeune et brillant arriviste ne vit que pour son ascension sociale et il est prêt non seulement à toutes les compromissions, mais à tous les sacrifices. Si Rubempré est brillant, Rastignac est intelligent et à la fois plus cultivé et travailleur que son alter-ego angoumoisin.

Lucien est assez facilement « tête à claques » et s’il flirte avec le cynisme, il n’en possède pas complètement les codes, à l’inverse de Lousteau qui, comme chez Balzac, a le même âge que Lucien, mais une bien plus grande expérience du cynisme, de la réussite sociale et de la politique.

Curieusement, certains détails ne semblent pas se justifier : pourquoi Lousteau a-t-il nommé son singe Lamartine, par exemple ? Certes, c’est, dans le film, très fugitif, mais on ne comprend pas l’allusion !

De même, pourquoi avoir débaptisé Braulard, le « chef de la claque », et l’avoir nommé Singali ?

Le personnage de Lousteau, est un des plus intéressants. Très curieusement, c’est le plus balzacien et dans le même temps, le plus « en écho » avec l’époque actuel.

Pour le coup, ce parallèle est un reproche que les critiques ont adressé au film. « A cette époque les canards n’étaient pas enchainés » dit le commentaire off, faisant allusion à ce qu’on appelait les « canards » à l’époque, ce que nous appelons aujourd’hui les « infox ».

Ce parti-pris de justificatif culturel, il y a fort à parier que c’était une « précaution » de Jacques Fieschi.

Au niveau des dialogues, on sent que le film court toujours après Balzac pour faire plus étincelant, plus brillant, et on peut dire qu’au moins à ce niveau-là, c’est plutôt réussi : après tout, Balzac est bien meilleur narrateur que dialoguiste.

Et puis, tout cela est servi par un casting presque parfait : Louis-Do de Lencquesaing (Finot), André Marcon (Le baron du Châtelet), Gérard Depardieu (Dauriat), Cécile de France (Louise de Bargeton) sont les parfaits seconds rôles dans le sens le plus noble du terme auxquels on peut ajouter Xavier Dolan (Nathan d’Anastazio dont Giannoli a fait la voix off du film, le narrateur) qui réussit à « s’effacer » dans l’un comme dans l’autre rôle, ce qui est une complète réussite et bien sûr, Jean-François Stévenin (Singali, le Braulard de Giannoli) qui fit sa dernière et grandiose apparition à l’écran. Vincent Lacoste se hisse (dans le souvenir que j’en ai) à la hauteur du très grand Bernard Noël dans le rôle d’un Lousteau plus proche du personnage de Balzac que dans la version Cazeneuve.

Quant à Benjamin Voisin, il retrouve ici un rôle à sa mesure en Lucien de Rubempré qui fait fort heureusement oublier sa médiocre prestation dans l’épouvantable Été 85 de François Ozon.

Je serais, en revanche beaucoup plus réservé en ce qui concerne Jeanne Balibar qui se croit obligée de faire une (mauvaise) imitation de Delphine Seyrig depuis qu’elle a incarné Barbara, atone (et aphone du même coup) en marquise d’Espard. Quant à Salomé Dewaels, elle compose assez mal une Coralie transparente jusqu’à l’inintérêt.

Mais à ces quelques réserves près, on comprendra que Les Illusions perdues est un film magnifique qui rend un hommage vibrant à la littérature française à travers Balzac et ajoute une précieuse pépite au cinéma français.



[1] Cf le récent Eugénie Grandet de Marc Dugain

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