samedi 12 novembre 2022

La Rafle

 

La Rafle (2009) de Rose Bosch

 Le 29 mai 1942, l’armée d’occupation allemande promulgue par décret pour tous les Juifs de la zone occupée le port obligatoire d’une étoile de David jaune marquée « Juif » en son centre et cousue sur les vêtements à hauteur de la poitrine sur le côté gauche. Cette obligation prend effet le 7 juin de la même année.

Alors que les autorités d’occupation discutent pied à pied avec les autorités de Vichy pour savoir à qui revient la charge d’arrêter les Juifs de la zone occupée et que la date du 16 juillet est décidée d’un commun accord pour une rafle d’envergure couvrant toute la zone, Jo, Nono et Simon mènent la vie (presque) normale des gamins de Paris sous l’occupation dans le quartier de Montmartre.

Mais après le port obligatoire de l’étoile jaune, arrive le décret interdisant aux Juifs les lieux publics, jardins, parcs, cafés et salles de spectacle. Un gendarme prévient la concierge des Weisman et des Ziegler (les familles des trois garçons) : la préfecture a sorti le « fichier juif », une rafle se prépare. Seuls les hommes vont se cacher, car personne ne croit que les femmes et les enfants risquent quoi que ce soit.

Mais le 16 juillet, à cinq heures du matin, ce sont les familles entières qui sont raflées et emmenées au Vélodrome d’Hiver, rue Nelaton dans le 15ème arrondissement.

Lorsque sortit le film de Rose Bosch, il fallait s’attendre à une volée de bois vert.

Et de la part de la critique, ça tomba effectivement assez dru. Evidemment, de part et d’autre, on eut droit aux mêmes outrances et à la même hystérie au nom du « devoir de mémoire » qui permettait pour les uns, les critiques, de dire qu’on n’avait « pas le droit » de travestir en une fiction banale et maladroite la « Shoah », alors que les autres (la production à savoir, la réalisatrice et son époux le producteur) menaçaient des foudres de l’enfer quiconque ne « pleurait pas devant [son] film », allant, ni plus ni moins, jusqu’à comparer ces « cœurs secs » à Adolf Hitler. La dame est allée jusqu’à porter plainte contre une critique négative de son film. La justice de notre pays étant (parfois) bien faite, elle a été déboutée.

Loin de toute polémique, essayons d’être équitable. La chape de consternation que la critique a fait tomber sur ce pauvre petit film insignifiant est peut-être un peu excessive. La reconstitution de ce petit bout de Montmartre semble tout à fait respectable, tout comme le décor effroyablement énorme du Vel d’Hiv, reconstitué à Budapest, puisqu’on sait qu’il n’existe qu’un seul cliché, cette photo représentant la file d’autobus devant l’entrée du Vel d’Hiv[1].

De même, le camp de Beaune-La-Rollande et la scène de la séparation des femmes avec leurs enfants semblent assez réalistes, même si un certain pathos dû à une réalisation maladroite s’installe.

Mais La Rafle, ce n’est qu’une reconstitution. Les dialogues sont indigents, lourds, stupides et… oui, anachroniques. En tête (à claques) des personnages grotesques, la grande sœur de Jo Weismann assez mal interprétée (ce qui n’arrange rien !) par Rebecca Marder : jamais une gamine juive (ou non juive, d’ailleurs) de cette époque-là ne se serait permis de rabrouer son père parce qu’il plaisante à propos d’Hitler. Et, à moins d’être la dernière des imbéciles, elle n’aurait reproché à ce pauvre homme, après la rafle : « Tu es notre père, c’était à toi de nous protéger ! »

Glissons pudiquement sur des répliques bêtes à pleurer, censées être des « clins d’œil » au public (Catherine Allégret qui, dans le rôle de la concierge, dit au gentil policier venu la prévenir de l’imminence de la rafle : « Embrasse Momone pour moi ! » puisqu’on sait que Simone Kaminka plus connue sous le nom de Simone Signoret était surnommée « Momone » et avait pour fille… Catherine Allégret !). Mais il semble impossible de glisser sur des monstruosités de sottise comme certaines répliques des enfants : le « Tu crois qu’ils vont lui faire du mal à mon nounours ? » ou le « Tu crois qu’on sera grand un jour ? » répliques putassières et gluantes dont la fonction nettement affichée est d’arracher des larmes aux spectateurs.

Et il y a vraiment de quoi pleurer… devant tant de bêtise. Au niveau de l’interprétation, les comédiens s’en tirent malgré ces dialogues imbuvables comme Gad Elmaleh, Raphaëlle Agogué, Sylvie Testud, Anne Brochet et le tout jeune Hugo Leverdez (Jo). D’ailleurs, tous les enfants sont globalement assez bien. Jean Reno est surprenant de sobriété et se tire plutôt bien d’un rôle mal écrit.

Mélanie Laurent chiale encore plus que d’habitude dans le rôle d’Annette Monod, cette infirmière quaker qu’on a beaucoup vu témoigner dans les années 90.

Là où le film atteint des sommets d’incongruité (restons polis !...), c’est lorsqu’il veut mélanger l’Histoire à l’histoire. Nous avons donc droit à d’assez mauvais comédiens dans les rôles de Pétain, d’Oberg, de Pierre Laval (Jean-Michel Noirey, comédien estimable qu’on a vu superbe ailleurs), la palme allant à l’effroyablement mauvais Udo Schenk dont on peut légitimement se demander pourquoi on a engagé quelqu’un d’aussi médiocre pour incarner aussi mal Adolf Hitler alors qu’il ne lui ressemble même pas physiquement.

Ce qu’on a appelé la « Saint Barthélémy des Juifs » n’avait été représentée que par bribes dans très peu de films dont les plus marquants sont le grand Monsieur Klein de Losey où la rafle était évoquée de façon très peu réaliste (filmé à l’hippodrome de Vincennes en plein hiver) et le méconnu et très beau film de Michel Mitrani, Les Guichets du Louvre.

Certains ont qualifié La Rafle de « mauvaise action ». C’est assez exagéré, certes, mais devait-on ajouter à tant d’ignominie (de l’Histoire) tant de stupidité (du film) ?

4 Avril 2023

           Revu, accidentellement et très partiellement à la télévision, parce que ce genre de bouse, on ne se l’impose pas deux fois ! J’ai revu la séquence de la rafle elle-même et la fin du film.

Les deux qualificatifs que j’avais attribué à certaines répliques (« putassières et gluantes »), on peut les étendre au choix de musiques tire-jus (Grieg et Debussy) utilisées dans des moments particulièrement dramatiques (comme les enfants montant dans le train à Beaune-La-Rolande ou la séquence finale en 1945 à l’hôtel Lutétia). Du reste, on ne tarde pas à réaliser que c’est tout le film qui est putassier et gluant !

Et je suis obligé de reconnaître qu’on ne peut que se ranger à l’avis quasi-unanime de la critique de l’époque du film, il y a quatorze ans : ce n’est pas seulement un film con, c’est surtout un film dégueulasse !


[1] Il existe aussi une photo des « internés » à l’intérieur du Vel d’Hiv, mais c’est une photo en plan moyen : on ne voit pas l’intérieur du Vel d’Hiv dans son ensemble et elle fut prise lors d’autres rafles

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire