vendredi 25 novembre 2022

Les Enfants de Belle-Ville

****

Shahr-Eziba (شهر زیبا ) (Les Enfants de Belle-Ville) d’Asghar Farhadi (2004)

 A’la est le meilleur ami d’Akbar et il a voulu lui faire une surprise en fêtant ses dix-huit ans. Mais nous sommes dans une prison pour mineur et cet anniversaire, c’est pour Akbar son transfert dans une prison pour adulte et, très probablement, l’exécution de la peine capitale à laquelle le jeune homme a été condamné pour le meurtre de sa fiancée.

En Iran, la famille de la victime d’un meurtre est en droit de demander la mort du meurtrier en vertu de la loi du Talion, mais doit, pour cela, acquitter le prix du sang.

Firouzeh, la sœur d’Askbar, se bat depuis des mois pour obtenir le pardon de Rahmati Abolghassem, le père de la victime. Mais le vieil homme reste intraitable.

A’la, dés sa sortie de prison, va prendre le relais de Firouzeh. Il va harceler Rahmati pour le faire fléchir.

Il y a un peu plus d’un an, le public français découvrait Une séparation, le cinquième film d’Asghar Farhadi, réalisateur iranien de 40 ans.

Du coup, les distributeurs s’empressèrent de sortir ses opus 3 et 4, La Fête du feu et À propos d’Elly. Les Enfants de Belle-ville est son deuxième film. De l’avis unanime, À propos d’Elly est excellent, mais c’est le seul des quatre films de Farhadi que je n’ai pas vu.

J’avais beaucoup aimé Une séparation, en trouvant toutefois quelque peu excessive les dithyrambes qui encensèrent le film. Bien sûr, c’était, pour nous, la découverte d’un grand cinéaste, évènement assez rare pour être fêté.

A dire vrai, la très légère déception que j’éprouvais devant les films tant vantés de Farhadi venait du fait qu’ils semblaient assez « politiquement corrects » d’un point de vue strictement iranien. Au printemps 2010, Téhéran de Nader T. Homayoun sortait confidentiellement sur quelques écrans parisiens : il me semblait autrement plus sulfureux et plus que critique pour le régime des Mollahs, présentés comme plus ou moins mafieux. A côté, l’aspect « bien dans les clous » de Farhadi avait de quoi agacer.

En fait, nous n’avions pas encore vu Les Enfants de Belle-Ville. L’attaque y est moins frontale et un peu moins démonstrative, mais pas moins féroce, même s’il faut gratter un peu pour trouver l’abjection chez ces « hommes de Dieu » : visiblement, en république islamique d’Iran où le Coran interdit le prêt d’argent avec intérêt, tout se monnaie y compris la loi du Talion… et la peine de mort.

Même si le sujet du film est l’acharnement d’un jeune homme à sauver la vie de son meilleur ami condamné, on y apprend que dans cette sublime théocratie (« Dieu est amour » dit-on ici) :

1.     La famille d’un homicide peut exiger la peine de mort pour le meurtrier à condition d’ « acquitter le prix du sang ».

2.     Le prix du sang d’une femme coûte moins que celui d’un homme.

3.     Si la famille du meurtrier implore le pardon de la famille de la victime, elle doit également s’acquitter du « prix du sang » auprès de sa famille.

La vie humaine n’est plus qu’une « affaire négociable » et l’être humain est un bout de viande qu’on peut acheter.

Dans l’histoire, Rahmati devra verser à Firouzeh, pour « obtenir » justice, une somme équivalente au double de celle que devra verser la même Firouzeh au même Rahmati si celui-ci pardonne à Akbar. S’il n’était question de vies humaines qu’on marchande, c’en serait presque risible !

Et pendant deux heures, A’la, avec une constance de « saint », va s’efforcer de trouver un terrain d’entente pour sauver son ami et il n’y parviendra qu’au prix (c’est un comble !) de son propre sacrifice.

La caméra de Farhadi est implacable ; elle traque sans relâche le chagrin vengeur de Rahmati, l’acharnement d’A’la, l’amour dans les yeux de Firouzeh pour A’la, « le preux chevalier », les manœuvres de la femme de Rahmati.

Et l’indifférence des prêtres à qui les uns ou les autres demandent conseil.

Alors, oui, j’ai aimé Une séparation, film unanimement vanté et fêté. Mais, oui, je lui préfère ce film-ci, ces Enfants de Belle-Ville qui vont s’acharner pour sauver ce qui est fondamental, le droit de vivre, car c’est un beau poème plus révolté qu’il n’y paraît et qui se place définitivement par son style et pas le ton général du film défendu par une pleiade de comédiens tous d’une justesse remarquable, du côté des abolitionnistes, de ceux qui, comme moi, estime que la peine de mort n’est qu’un non-sens qui flatte les plus bas instincts de l’être humain.

Mais il semble que cette notion même a du mal à passer chez les culs-bénis du monde entier et de toutes les religions !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire