Kis Uykusu (Winter Sleep) de Nuri Bilge Ceylan (2014)
Aydin n’est plus comédien depuis bien longtemps. Il écrit des articles pour différents journaux.
En fait, il vit de ses rentes : il est propriétaire d’un certain nombre de maisons et d’un hôtel troglodyte dans son village de Cappadoce. Il partage les bénéfices avec sa sœur Neda qui vit avec lui et avec sa femme Nihal.
Ses affaires sont entièrement gérées par Hidayet, son factotum.
Un jour, alors qu’Aydin et Hidayet sont en voiture, le fils d’un locataire d’Aydin menacé d’expulsion envoie une pierre sur la fenêtre de la voiture et la brise.
Les deux hommes ramènent le gamin chez lui et Hidayet serait bien prêt de se battre contre Ismail, le père du gamin si Hamdi, le frère d’Ismail, n’intervenait pour ramener le calme.
Evidemment, les deux noms qui viennent en tête immédiatement sont Anton Tchékhov (dont le film est adapté) et Igmar Bergman pour les très longues scènes de dialogue à la violence feutrée.
Les nombreux admirateurs du film ont beaucoup décrié les deux personnages féminins, la sœur et la femme, en épargnant Aydin, le personnage central, aussi vain que les deux femmes.
C’est vrai qu’il est difficile de trouver un personnage réellement positif : peut-être Suavi ou l’instituteur Levent, qu’Aydin n’aime pas (ce qui finit par le rendre sympathique).
Ismail, par son intransigeance, fait un peu figure de malade mental alors que Hamdi, son frère dont on comprend plus ou moins qu’il est imam, agace par son comportement veule et obséquieux (Ceylan ne doit pas beaucoup aimer les religieux). Hidayet semble être un brave homme, mais il y a en lui toute la dangerosité du kapo.
Les deux femmes Nihal, l’épouse, et Weda, la sœur, sont toutes deux des enfants gâtés à tendance neurasthénique, surtout la première. Cette Bovary turque souffre visiblement de n’être que ce qu’elle a bien voulu devenir la jeune femme d’un vieux monsieur sinon riche, du moins « à l’aise » qu’elle n’aime pas (ou plus ?) et qui ne l’aime pas (ou plus ?) non plus.
Neda jalouse à la fois son frère et sa belle-sœur, bien qu’elle ne puisse pas ignorer l’échec de leur couple.
Quant à Aydin, c’est le prototype même du sale type, le « vieux con » comme on en trouve dans toutes les pièces de Tchékhov.
A la faveur d’un incident (le fils d’un locataire qui lance une pierre sur la voiture du « patron »), les rancœurs et les reproches vont ressurgir. Et Aydin va s’apercevoir que ce monde qu’il s’est créé en s’imposant sournoisement comme propriétaire ne lui appartient plus, s’il ne lui a jamais appartenu !
Le ton est juste, sans emphase, sans pathos et sans effet de manche. C’est peut-être un peu ce qu’on peut aussi lui reprocher : une sorte de froideur (comparable au froid de l’hiver anatolien) dans les rapports heurtés entre Aydin, sa femme et sa sœur.
Pour ma part, je lui reprocherais beaucoup plus le « verbiage incontrôlé » qui rend les discussions, bien plutôt les disputes, un peu interminables avec de grosses tendances aux répétitions.
Le film aurait pu gagner en rythme et durer un peu moins que ces 196 minutes qui ne se justifient pas.
Mais Winter Sleep n’en reste pas moins un très beau film, esthétiquement magnifique, à la fois, je l’ai dit, tchékhovien et bergmanien dans un espace troglodyte qu’on devine aussi labyrinthique que tous ces personnages très complexes.
Aucun comédien ne se dégage puisqu’ils sont tous parfaits et la distribution est à la hauteur de l’ambition affichée du film.
Winter Sleep est une belle palme d’or.
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