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The Shining (Shining) de Stanley Kubrick (1980)
Jack Torrance, un écrivain raté, trouve un travail qui semble être de tout repos pour l'hiver : il s'agit de garder un hôtel pendant cinq mois dans une région isolée au cœur des Rocheuses. Il a juste à accomplir un petit travail de maintenance et le reste du temps lui appartient, mais ses patrons l'ont prévenu : un de ses prédécesseurs est devenu fou au bout de quelques mois. Saisi du "mal de l'enfermement", il a découpé à la hache sa femme et ses deux filles.
Jack s'installe donc avec sa femme Wendy et son fils Danny. Celui-ci est doté de dons paranormaux, télépathie et voyance. Il est également un peu schizophrène et correspond avec un ami imaginaire, Tony, "qui vit dans sa bouche".
Jack considère ce travail comme une chance unique pour écrire en étant payé pendant cinq mois. Mais ses rapports avec Danny et surtout avec Wendy, commencent à se détériorer au moment où il est victime d'hallucinations qui lui font rencontrer un barman au cours d'un bal dans la salle des fêtes de l'hôtel dans les années vingt et surtout un serveur qui se trouve beaucoup ressembler et porter le nom du prédécesseur de Jack, le forcené qui a massacré sa famille.
Les Montagnes Rocheuses, l'hôtel Overlook, immense, isolé : comme toujours chez Kubrick, le décor est un personnage à part entière et, à ce niveau-là, Shining est son œuvre la plus aboutie.
La récurrence des plans symétriques et des profondeurs de champs "excessives" est une des "griffes" (mais il y en a d'autres) du réalisateur de 2001 et Orange mécanique. Et il fait école, là où on l'attendrait le moins : Spielberg a sans doute beaucoup vu Shining avant de réaliser Jurassic Park. On s'en souvient au cours de la scène de la fuite dans la cuisine de Danny qui se cache dans un placard.
Tous ces salons gigantesques, très haut de plafond, ces couloirs sans fin, ces moquettes à dessins géométriques et surtout, ce gigantesque labyrinthe de verdure dans lequel se termine le film, tout cela distille une angoisse à laquelle il est difficile de résister.
Malheureusement, le grand Kubrick a un défaut et un défaut majeur : sa compétence très limitée dans la direction d'acteurs. Laisser la bride sur le cou à des comédiens peut être une qualité, mais il faut savoir canaliser le cabotinage d'un Nicholson.
Or, à partir du moment où Jack commence à perdre la boule, l'angoisse distillée se transforme en flots interminables d'yeux roulés et d'exhibitions dentaires qui aurait pu valoir à Nicholson un oscar dans le rôle de Cheetah dans un pastiche de Tarzan.
Et plus le film avance, plus c'est insupportable et moins c'est crédible : l'hôtel Overlook n'est plus alors qu'une coquille vide où s'agitent trois cabots.
Car Nicholson n'est plus le seul à "charger" : Shelley Duvall surjoue tellement l'angoisse qu'on finit par ne plus y croire du tout. De plus, dans les scènes de fuite, elle adopte une espèce de démarche à la fois sautillante et claudicante parfaitement ridicule qui laisserait penser qu'elle a des cors à vif sous les pieds (c'est normal, un malheur n'arrive jamais seul !).
Du coup, le jeune Danny Lloyd se met à surjouer aussi.
The Shining (Shining) de Stanley Kubrick (1980)
Comparaison des deux versions :
à 5’01 Fin de la conversation entre Wendy et Danny.
Début de la conversation entre le directeur, Jack et l’assistant : Jack explique qu’il a laissé l’enseignement pour écrire. Le directeur précise qu’il est pistonné. 1mn 42
à 12’08 Danny avec le médecin. Explication sur « Tony ». Le médecin explique ce qu’on appellera plus tard « Le Shining ». « Tony » est apparu après une crise violente de Jack. Première allusion à l’alcoolisme de Jack. 5mn 28
à 20’44 La visite du salon : décoration Navajos. Passé glorieux de l’hôtel. 38 sec
à 22’45 Fin de la visite de l’appartement. Explication sur le labyrinthe. 1mn 03
à 23’55 La salle de bal. Wendy évoque une fête, mais il n’y a plus d’alcool après la fermeture. Première rencontre avec Dick Halloran. Arrivée de Danny qui venait de l’extérieur. Interrogation de Dick à propos du prénom de Wendy. 1mn 42
à 31’50 La conversation entre Danny et Dick (légèrement plus longue) 10 sec.
à 34’22 Wendy traverse le hall avec une desserte roulante. 19 sec.
à 36’40 Discussion entre Wendy et Jack à propos de l’hôtel. 58 sec.
La séquence suivante (Jack joue à la balle dans le salon) contient un plan de 5secondes en plus.
à 40’41 Wendy ouvre une grosse boîte de conserve en regardant les infos à la télé : on y annonce l’arrivée très proche de la tempête. 37 sec.
à 46’02 Le plan de Jack à la machine est plus long. Mention « Thursday » (n’est pas dans la copie standard) 7 sec.
à 51’25 Danny regarde la télévision devant une grande fenêtre. Il veut aller chercher son jouet dans la chambre, Mais Wendy refuse car Jack dort. Danny promet de ne pas faire de bruit. Wendy accepte. 1mn 22
à 1h 06’12 Un plan : conversation entre Jack et Lloyd, le barman. Il y est fait allusion aux « Cinq mois sans alcool » de Jack qui se plaint de sa famille. 1mn 36
à 1h 19’02 Allusion au malaise de Danny qui a occasionné la visite du médecin au début (visite qui n’était pas dans la version standard). 12 sec.
à 1h 31’45 Wendy, paniquée, réfléchit à un moyen de quitter l’hôtel ou d’appeler de l’aide. Danny, avec la voix de Tony, crie « Redrum ». Tony dit que Danny ne peut pas se réveiller. 2mn 24
à 1h 35’12 Halloran rappelle la police qui ne peut rien lui dire, car l’hôtel ne répond plus. Mention « 8h du matin » (n’est pas dans la copie standard). 43 sec.
à 1h 36’20 Le plan dans l’avion est plus long. Ench. sur Jack tapant à la machine. L’avion atterrit. Dick loue une voiture à Larry. Conversation téléphonique. 2mn 30
à 1h 39 Dick, en voiture, écoute les infos à la radio (séquence plus courte dans la version standard). A l’hôtel, Danny dort « éveillé ». Wendy décide d’aller parler à Jack : elle prend la batte de base-ball. 2mn 20
à 2h 13’ 31 Pendant que Jack poursuit Danny dans le labyrinthe, Wendy, dans l’hôtel, voit plusieurs fantômes. 16 sec.
à 2h 16’ 57 Un plan supplémentaire de Jack dans le labyrinthe. 13 sec.
Mises à part les quelques coupes purement techniques servant à resserrer l’action, on se rend bien compte que les coupes les plus importantes effectués dans la version longue originale concernant l’alcoolisme de Jack (tel qu’il nous est décrit dans le roman de Stephen King).
En supprimant ainsi un élément explicatif essentiel, Kubrick nous enfonce plus avant dans un fantastique qui ne peut s’expliquer par des hallucinations de pochtron.
Car, après tout, tout cela n’aurait pu être effectivement que les délires d’un cerveau dérangé.
Kubrick préfère le fantastique pur, l’inexplicable et il a raison puisque si ces évènements ne sont qu’imaginaires, si, par exemple, le « fantôme » de Grady n’existe pas, qui vient délivrer Jack du magasin à conserves où Wendy l’avait enfermé ?
Une fois de plus, on se pose la question de ces versions dites « intégrales ».
Bien sûr, on pense à l’étude des « repentirs » en peinture, ou des ratures de manuscrits en littérature. Mais ces objets d’études, souvent pointues, ne sont destinés qu’à un public sinon spécialiste, du moins fortement motivé.
En ce qui concerne le cinéma, le phénomène est plus complexe. Il faut considérer les raisons des coupes : dans le cinéma dit « de répertoire », la ressortie d’un film mutilé à l’époque de sa première présentation par son producteur est une excellente chose. On pense à Une étoile est née de Cukor, à La Soif du mal de Welles et surtout à Cléopâtre de Mankiewicz (encore que dans ce dernier cas, la version voulue par le réalisateur était deux films de trois heures qu’on ne verra jamais puisqu’ils n’ont même pas été tournés).
Dans les films plus récents, les choses deviennent souvent beaucoup plus contestables.
Pour la galerie, c’est-à-dire le public, il y a ce que j’appellerai le « re-repentir » : le réalisateur a coupé dans un premier temps, puis, après exploitation, il s’est ravisé et a voulu montrer sa première version, la « version originale » du film. En réalité, on peut légitimement se demander s’il ne s’agît pas tout simplement de faire du neuf avec du vieux et si une double exploitation n’est pas toujours bonne à prendre : Le Grand bleu, 37°2 le matin, Rencontres du troisième type : édition spéciale, etc…
Dans le cas de Kubrick, ce n’est pas vraiment le cas.
La version « intégrale » de Shining n’a été présentée qu’en vidéo.
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