mardi 28 février 2023

Goliath

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Goliath (2021) de Frédéric Tellier

Margot, une jeune agricultrice, vient de mourir d’un cancer. Sa compagne, Lucie, engage Patrick, un avocat parisien, pour attaquer l’entreprise « Phytosanis » qui produit la Tétrazine, un pesticide très probablement cancérigène.

Phytosanis est « défendu » par un très brillant lobbyiste.

France est activiste anti-pesticide et lutte, elle aussi, contre la Tétrazine.

Mais Lucie perd son procès contre Phytosanis et s’immole au pied de la tour de la société.

Il y a deux façons majeurs de faire des films « politiques » en France : la façon Cayatte et la façon Gavras. On peut y ajouter une « façon Boisset » qui serait, non pas un mixte des deux, mais tantôt Cayatte (beaucoup), tantôt Gavras (beaucoup moins).

Façon Gavras, c’est le « thriller politique » de type Z, État de siège ou Missing.

Façon Cayatte, c’est un peu lourd, ça fait pleurer Margot d’autant que s’y rajoute, souvent, une « romance », c’est-à-dire une « histoire d’amour » plaquée, plus ou moins artificiellement, sur le sujet, social ou politique, du film.

Ici, il y a deux couples : Margot et Lucie (Chloé Stefani dans le rôle de Lucie ; on ne voit pas Margot puisqu’elle est décédée) et France et Zef (Emmanuelle Bercot et Yannick Renier) et les deux couples ont la très exacte fonction qu’ils avaient chez Cayatte. Bercot et Regnier surjouent des rôles déjà lourds et chargés.

Le vrai personnage central du film, c’est le « sale rôle », Mathias, le lobbyiste au langage standardisé, repris mot pour mot par les « spécialistes » : ministre, décideurs, scientifiques…

En fait, le lobbyiste n’a pas d’idéologie, il utilise juste un langage, très spécifique, qui consiste  à distiller des arguments en les immergeant dans les méandres d’une phraséologie brumeuse qui permet de « noyer le poisson ». Le personnage de Mathias (excellent Pierre Ninez) rappelle la diatribe du curé dans Ridicule de Patrice Leconte interprété par Bernard Giraudeau, diatribe qui se concluait par : « Je viens de vous prouver l’existence de Dieu, moins j’aurais pu tout aussi bien, vous prouver le contraire ! »

lundi 27 février 2023

Notre histoire

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Notre histoire (1984) de Bertrand Blier


C’est l’histoire d’un homme dans un train : il boit des bières, il s’appelle Robert Avranche, il est garagiste. Il est seul dans son compartiment. Une jeune femme vient s’y installer. Elle lui raconte une histoire, l’histoire d’une femme qui erre dans les gares et qui suit les buveurs de bière pour faire l’amour dans les compartiments.

Ils font l’amour dans le compartiment.

La jeune femme, Donatienne, descend du train, mais Robert la suit. Il la suit jusque chez elle et s’installe. Mais elle ne veut pas le garder. Donatienne ne veut pas que les hommes s’attachent à elle. Donatienne ne sourit jamais.

Robert s’incruste.

C’est surtout une histoire irracontable et peut-être le meilleur Blier. En tous cas, c’est, avec Le Samouraï de Melville, Le Professeur de Zurlini et Monsieur Klein de Losey, une des quatre « performances » les plus remarquables de Delon.

Avec ce film-ci, Blier inaugure ce qui va devenir sa griffe : le récit interrompu, bousculé, le mode de narration chaotique qui a la logique d’un rêve (à l’instar du Procès de Kafka).

Pendant la moitié du film, l’action est suivie par un « chœur antique » d’hommes en pyjama.

Trop belle pour toi, Un, deux, trois, soleil, Tenue de soirée, Merci la vie et Mon homme auront le même mode de narration.

Mais c’est peut-être bien Notre histoire, ne serait-ce qu’à cause de son titre, qui en est le plus bel exemple.

Et probablement un des plus beaux films français des vingt dernières années.