dimanche 26 février 2023

Tangerine

  ***

Tangerine (2015) de Sean Baker

Sin-Dee vient de sortir de prison. En ce matin de 24 décembre, elle partage un Donut avec son ami Alexandra, transsexuelle et prostituée comme elle. Alexandra lui apprend qu’à peine Sin-Dee en prison, Chester, « l’amour de sa vie » (à cause de qui elle a écopé de quinze jours de prison), l’a trompée avec Dinah, prostituée également, mais vraie femme.

Elle part à la recherche de cette « pétasse », talonnée par Alexandra qui essaie de la calmer et en profite pour distribuer des flyers du concert qu’elle doit donner le soir-même.

Raznick, client fidèle de Sin-Dee et Alexandra, est chauffeur de taxi. Il doit réveillonner avec sa femme, sa petite fille et sa belle-mère. Toute la famille est arrivée il y a quelques années d’Arménie.

Depuis que le cinéma existe ou, tout au moins depuis qu’il existe en tant qu’art digne d’être examiné, scruté, critiqué, on nous refait le coup, à minima une fois par mois, de l’œuvre extraordinaire, du ton nouveau, de celui qui révolutionne l’art cinématographique, qu’on n’avait jamais vu et qui marque une frontière définitive entre l’avant et l’après.

Clairement, ça arrive, mais certainement pas une fois par mois ! Eh bien, c’est ce qui arrive avec Tangerine !

Et je ne fais pas ici allusion aux techniques exceptionnelles qui ont présidé à la réalisation de cet « Objet Cinématographique Non Identifié ».

L’argument tiendrait sur un confetti, mais l’histoire n’a aucune importance. Ce qui est important, ce sont les personnages, pas ce qui leur arrive.

Et ces personnages, ce sont principalement deux transsexuelles et un chauffeur de taxi « d’importation » arménienne.

L’une des deux transsexuelles se fait appeler Sin Dee, sorte de diminutif de « Cinderella » (« Cendrillon »), mais c’est sa « rivale », « une vraie femme » qu’elle obligera à traverser Los Angeles avec une seule chaussure, bien que cette chaussure soit une vulgaire tong et non un joli soulier de vair.

L’unité de lieu, l’unité de temps et l’unité d’action auraient permis un exercice de style à la Birdman, en un seul plan. Mais Sean Baker a l’intelligence de ne pas rechercher l’exercice de style. L’exercice de style devient rapidement un travail exceptionnel et, en tant que tel, ne peut avoir d’existence pérenne, même s’il a des héritiers.

Et Tangerine a une existence qui va bien au-delà de sa facture, ce fameux tournage avec ce « foutu » (pour employer la même terminologie que les dialogues) IPhone 5S qui sert de caméra pour un film en scope qui permet une mobilité extraordinaire, des mouvements circulaires « gonflés », certes, mais totalement maîtrisés, coulés, de ces films qu’on est centré ne regarder que pour la prouesse technique (comme Birdman ou La Corde), mais, et c’est ça qui est fort, dont on oublie la prouesse technique.

En fait, Sean Baker, à ce niveau-là, est plus l’héritier de Max Ophuls que celui d’Alfred Hitchcock.

Car on s’intéresse à ces personnages attachants dans cette virée foutraque à travers ce quartier de Los Angeles entre Hollywood Boulevard et Sunset Boulevard, mais surtout entre une pute transsexuelle qui rêve au grand amour, sa rivale aux allures de (fausse) gourde, sa copine qui se rêve grande chanteuse, un chauffeur de taxi arménien et amoureux (deux qualités constitutives de sa personne), la belle-mère de celui-ci qui ne comprend rien à ce Noël « sans neige » qu’elle va finir dans un café à Donuts entourée de sa fille, de sa petite fille, de son gendre, des trois putes et d’un petit mac…

Ils sont tous attachants sauf, bien sûr, le petit mac lamentable, grand amour de Sin Dee dont le « cadeau de rupture » sera l’aveu goguenard qu’il a couché avec Alexandra, ce qui brouillera ces deux copines, ces deux amies, ces deux « sœurs » pour un temps très bref, avant la réconciliation finale dans un lavomatique, réconciliation scellée par un échange de perruques.

C’est techniquement d’une invention permanente, truffé de trouvailles assez gonflées, joyeusement foutraque et doté d’une bande sonore hyper rock au milieu de laquelle trône l’ouverture de Coriolan de Beethoven.

Alors là, oui, on est vraiment devant une nouveauté !

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire