Margin Call (2011) de Jeffrey C. Chandor
Dans une banque d’affaires
new-yorkaise, ce matin, c’est « Jour de charrette ». Des cadres,
quelquefois importants, sont convoqués aux « Ressources humaines » (une expression qui semble
sortir du discours idéologique d’une utopie !) : là, on leur remet un carton pour qu’ils puissent y mettre leurs
effets personnels, on leur prend leur badge, leurs clés de bureau et leur carte
d’accès au parking et on les avise que leur téléphone cellulaire est désactivé
à partir de… maintenant.
Accompagnés par des agents de sécurité, ils doivent
avoir quitté l’entreprise dans le quart d’heure qui suit.
C’est très exactement ce qui arrive ce matin-là à Eric
Dale qui parvient à donner une clé USB à deux de ses (ex-)subalternes en leur
expliquant, par acquit de conscience (!), qu’il semble y avoir quelque chose de
louche dans une série de tractations récentes.
Seth Bergman et Peter Sullivan, les subalternes en question,
s’aperçoivent que, depuis quelque temps déjà, des risques ont été pris sans
aucune garantie et que le krach de la banque est imminent.
Encore une histoire de
titre : Margin Call est le titre
original et les distributeurs français (qui sont des artistes et non des
boutiquiers, tout le monde sait ça !) n’ont aucune notion des termes
utilisés dans le langage des traders.
Or, Margin Call est un terme qu’on peut
traduire bêtement par « Appel de marge ». Et un appel de marge, ça
existe : il s’agit de la demande émanant de la Chambre de Compensation qui
exige d’un intervenant en perte potentielle une augmentation du dépôt de
garantie « censé représenter deux
jours de perte maximales ».
Evidemment,
lorsqu’on dit tout ça, on n’a pas dit grand-chose, mais après tout, le film ne
consiste pas en une description pointilleuse du terme « appel de
marge » ou « Margin call ».
Tout ce
qu’il est important de savoir, c’est que le système bancaire actuel peut
engendrer des « produits toxiques » (comme nous le savons depuis
quelques années) et qu’une banque peut se retrouver piégée par ce qu’elle a
elle-même engendré.
Et dans le système
actuel des traders, tout cela peut être totalement automatique et échapper à
tout contrôle. Il semble que c’est ce qui se passe dans la banque qui nous est
présentée ici.
Le film a
ceci de remarquable qu’il nous fait prendre conscience du fait que ces grandes
banques d’affaire ont à leurs têtes, non pas des grands pontes de l’économie,
des cerveaux supérieurs qui maîtrisent totalement ce qui devraient être leurs
domaines de compétence, mais d’ignobles godelureaux qui se prennent pour
l’aristocratie de l’argent et donc, de nos jours, du pouvoir pour qui une
nouvelle voiture, une plus grande maison, des montagnes de coke (quelquefois),
des poules de luxe très chères (souvent) et des deux sexes tiennent lieu
d’armure et d’épée.
Les deux
seuls personnages (en plus d’Eric Dale, visiblement compétent, mais viré) qui comprennent
exactement ce qui s’est passé et ce qu’est un appel de marge, ce sont les deux
jeunes ingénieurs, l’un en aéronautique et l’autre je ne sais plus en
quoi : deux ingénieurs, donc, mais dont la formation n’a rien à voir avec
la finance. Ce sont les plus jeunes et les plus bas dans la hiérarchie. Et plus
on monte dans ladite hiérarchie, moins on trouve de compétence : Sam
Rogers (Kevin Spacey) demande des explications expurgées de termes trop
techniques (une technique qu’il devrait maîtriser, ce qui n’est visiblement pas
le cas). Quant à John Tuld (Jeremy Irons), le « boss », le grand
patron, le « Deus Ex Machina », il demande qu’on lui explique tout ça
dans des termes « compréhensibles pour
un gamin de 10 ans ».
Alors, c’est
quoi la compétence de ces gens qui tirent les ficelles ? La réponse qui
est apportée ici est claire et malheureusement probablement authentique : ils
n’en ont aucune !
Il y a
quelques années (un peu plus de vingt ans, je crois), un hebdomadaire français
qui s’appelait L’Evènement du jeudi
avait consacré un de ses numéros à la bêtise. Et un très long article était
consacré aux experts économistes présentés (déjà !) comme les Trissotin
des temps modernes. Or, nous étions exactement à l’époque, bénie pour une
minorité, maudite pour la majorité où le tandem infernal Thatcher-Reagan
étalait son idéologie obscène du tout fric, une idéologie qui allait gonfler
jusqu’à l’explosion que nous connaissons depuis quatre ans, mais qui, jusqu’à
présent, n’a fait crever que des sans-grades qui n’y sont pour rien.
Au bout du
compte, ce premier film (car c’est un premier film), c’est très exactement
ça : un film intelligent sur la bêtise.
Conçu et
réalisé comme une tragédie classique (unité de temps, de lieu et d’action), Margin Call est époustouflant de
maîtrise, mis en scène au cordeau et interprété par un casting
impressionnant : Paul Bettany et Zachary Quinto sont les deux jeunes
traders un peu naïfs (mais probablement plus pour très longtemps) ainsi que
Penn Badgley. Simon Baker, Mary Mc Donnell, Demi Moore et Stanley Tucci sont à
la fois les instruments et les victimes du système ainsi d’ailleurs que Kevin
Spacey. Jeremy Irons, quant à lui interprète l’omnipotent John Tuld, le patron,
nom qu’on a pu rapprocher de Richard S. Fuld qui était, il y a quelques années…
P.D.G. de Lehmann Brothers Investments.
Cet excellent
film, à l’instar de la vie selon Macbeth, est aussi une « une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de
fureur et ne signifiant rien. »
Mais les
temps ont bien changé depuis le Moyen-âge écossais : Macbeth ne meurt plus
à la fin, il fait mourir les autres pour rester en vie.
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