dimanche 20 septembre 2020

Antebellum


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Antebellum (2020) de Gerard Bush et Christopher Benz

Pendant la guerre de Sécession, une plantation de cotons dans le sud « emploie » des esclaves dans des conditions qui assimilent cette plantation à un « camp de concentration » dans lequel les blancs se comportent comme des SS.

Dans cet enfer, Eden est une esclave battue, humiliée, violée et déshumanisée par ses tortionnaires.

De nos jours, Eden est devenue Veronica Henley, sociologue et écrivaine à succès. Mariée, elle est mère d’une petite fille, mais des tournées de conférence l’oblige à souvent s’absenter de son foyer.

Lors d’un de ces déplacements, des choses étranges commencent à se produire, comme si le « camp de concentration » confédéré faisait irruption dans sa vie…

En dehors de ses (indéniables) qualités cinématographiques, Antebellum est un film qui fait réfléchir.

La vague récente « Black Lives Matter », consécutive à l’assassinat de George Floyd par la police à Minneapolis le 25 mai 2020, a relancé le débat et remis au premier plan le problème endémique des États-Unis, le racisme, très profondément ancré dans la société.

« Antebellum », en latin, signifie « avant la guerre », mais aux États-Unis, il fait référence aux différentes périodes qui ont vu naître, puis croître, la séparation entre les états du nord (abolitionnistes) et les états du sud (esclavagistes) qui aboutira, en 1861, au pire traumatisme de l’histoire états-unienne, la guerre de Sécession.

Et c’est pendant cette guerre que se situe Antebellum.

Il est très malaisé de parler du film : on marche sur des œufs, car il ne faut pas « divulgacher » et ce n’est pas facile.

Le film se présente, ou plus exactement, a été présenté comme un film horrifique, ce qu’il est dans le sens étymologique du terme : il raconte des horreurs qui n’ont rien de fictives. Mais dans « horrifiques », au cinéma, on entend plutôt fantastique avec interventions de vampires, loups-garous, fantômes et autres zombies.

Rien de tout ça ici ! Il y a juste une « mise en parallèle » ou ce qui lui ressemble entre deux époques et deux personnages (qui n’en sont peut-être qu’un), Eden, l’esclave, et Veronica, l’écrivaine à succès.

La plantation où (sur)vit Eden, c’est un véritable camp de concentration : lorsqu'arrive une nouvelle charrette d’esclaves, le « discours de bienvenue » fait furieusement penser à celui que faisaient les SS à la descente du train des déportés.

Et cette « plantation de concentration » possède un « brûloir » qui ne peut que nous évoquer, en plus petit, les fours crématoires nazis.

On a tout d’abord l’impression d’un film sur l’esclavage, puis on se retrouve aujourd’hui, mais ces deux époques distinctes vont « effroyablement » se rapprocher.

En filigrane, c’est l’Amérique de Trump que nous voyons, tout particulièrement dans le personnage de blanche raciste prénommé ici Elizabeth, mais à qui les Américains (plutôt démocrates) ont donné ces derniers temps le prénom « générique » de « Karen », blonde, idiote, républicaine, raciste, et, tout naturellement, trumpiste.

            Certains de ces bouts de viande au QI d’huitre ont été filmés en flagrant délit d’agression verbale vis-à-vis d’afro-américains qu’elles voulaient dénoncer à la police pour des agressions imaginaires ce qui vaut à ces idiotes de perdre leur boulot, leur « position sociale » et pratiquement tout ce qu’elles considèrent comme leurs « valeurs » (qui ne sont pas des valeurs intellectuelles : de ce côté-là, elles n’avaient vraiment rien à perdre !).

Parmi les producteurs d’Antebellum, il y a Raymond Mansfield et Sean McKittrick. Le premier était l’un des producteurs de Get Out, le deuxième de Us, les deux films de Jordan Peele dont cet éternel problème de la société américaine était le pivot, le racisme, la lutte noir-blanc endémique de cette ancienne colonie britannique qui, depuis plus de 200 ans n’a toujours pas réglé son problème avec l’esclavage 150 ans après son abolition.

Les deux réalisateurs ne s’en cachent pas : ils ont conçu leur film « comme un mystère étonnant et hallucinant qui se veut être une métaphore du climat actuel de racisme aux USA ». « En tant qu'artistes, nous sommes reconnaissants d'avoir la possibilité d'ajouter nos voix dans cet important moment culturel » ont confié les deux réalisateurs.

L’idée originale est inspirée d’un cauchemar qu’a fait Gerard Bush (qui est noir) : « Ce cauchemar portait sur une femme nommée Eden. L'expérience était horrible […] J'avais l'impression que mes ancêtres étaient venus pour me raconter l'histoire. »

En dehors de Get Out et Us, on pense à d’autres films. Bien sûr, il y a Autant en emporte le vent dont Antebellum serait l’antithèse. Le réalisateur Bush confirme : « Ce film a été une référence pendant de nombreuses années, mais c'est un cauchemar de le regarder dans un contexte contemporain à cause de sa représentation de l'esclavage. Nous avons donc chargé notre directeur de la photographie, Pedro Luque Briozzo, de s'inspirer de ce film de manière à explorer la juxtaposition de la beauté et de l'horreur ».

De fait, la photographie est somptueuse et cette somptuosité souligne paradoxalement l’horreur de ce qu’elle raconte. Il en va de même pour la musique du film composée par Nate Wonder et Roman Gianarthur, une somptueuse musique qui m’a happé, ce qui ne s’était pas produit depuis des années.

Un autre film peut être évoqué Twelve Years a Slave de Steve McQueen, mais pas forcément d’un point de vue positif ; ce film dénonçait, non pas l’esclavage, mais le fait qu’on replongeait un homme libre dans l’esclavage ce qui, du coup, était une injustice, comme si l’esclavage avait jamais été une chose juste.

Ici, la violence appartient d’abord aux blancs, à ceux qui ont le pouvoir. Ce n’est que lorsque le pouvoir « lâche » les blancs que les noirs (ou tout-au-moins, l’une d’entre eux) va se « permettre » la violence, l’extrême violence de la fin du film qu’on peut estimer excessive et ambigüe mais qui, après tout n’est que l’exact reflet de la violence « blanche » du début.

 

 

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