jeudi 3 juin 2021

Vénus noire

 

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Vénus noire (2010) d’Abdellatif Kechiche

 En 1810, à Londres, un Afrikaner Hendrick Caezar exhibe une créature mi-animale, mi-humaine, la Vénus hottentote. En réalité, Saartje Baartman était la bonne de Caesar en Afrique du Sud, alors qu’il avait femme et enfants. Ce sont des caractéristiques physiques hors du commun qui font de la jeune femme un phénomène de foire : prognathisme souligné, embonpoint, fessier énorme et surtout (mais ça, ce n’est pas montré), le fameux « tablier hottentote », une excroissance vaginale exceptionnelle.

 Mais à la suite d’un procès intenté par des associations, choquées par le sort réservé à cette femme, elle va cependant défendre sa position « d’artiste », Caezar s’associe à un Français, Réaux, qui le pousse à quitter l’Angleterre pour exhiber « La Vénus hottentote » à Paris où les mœurs sont plus libres.

« Enfin ayant vidé la coupe,

Bu tout le fiel,

Quand c’est crevé, ça se découpe,

Chair à scalpel… »

Jules Jouy écrit en 1898 une chanson qui s’intitule Fille d’ouvriers. Et c’est à cela qu’on pense lorsque Saartje meurt : dans le film, il s’agit de syphilis. Selon d’autres sources, elle mourut de pneumonie.

Selon Georges Cuvier, chercheur et mémorialiste du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, Saartje parlait couramment le Hollandais, le Français et l’Anglais, était très intelligente et avait une excellente mémoire. Cependant, Cuvier représentait parfaitement les idées scientifiques de son temps, notamment en ce qui concerne la théorie des races et, tout particulièrement, « l’infériorité de la race africaine » en vertu d’une « loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crane déprimé et comprimé ». Pour choquant que nous puissions estimer ces considérations « scientifiques », n’oublions pas qu’il s’agit de la première moitié du 19ème siècle, alors que la science moderne en était à ses balbutiements et que le romantisme « ambiant », loin d’être un facteur de progrès, allait engendrer toutes les idées les plus nauséabondes au nom desquelles on allait massacrer des populations entières, le siècle suivant. Certes, Cuvier est le représentant le plus réactionnaire de cette science officielle (et que dire d’un président de la République Française du 21ème siècle qui considère que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. (...) Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. (...) Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès »).

Cette distanciation (par rapport au 19ème siècle), Kechiche ne l’applique pas à l’époque, mais à tous les personnages, y compris celui de Sartjee qui ne parle que peu et se contente de boire pendant les deux heures et demi que dure son calvaire à l’écran. En de très brefs moments, il laisse transparaître la détresse du personnage face à son passé, à son enfant mort, à sa déchéance actuelle.

Les « monstres », ce sont, bien sûr, les deux « managers-maquereaux », le public, qu’il soit populaire, huppé et/ou « partouzard » (les trois scènes sont très répétitives), les scientifiques (Cuvier, exclusivement) et, au bout du compte, nous.

Le sort de Sartjee Baartman depuis son arrivée en Europe (et sans doute plus tôt !) jusqu’à sa crémation quelques 200 ans après sa naissance (car elle continua d’être bafouée post-mortem) a été une chose abominable, scorie épouvantable d’une civilisation dévoyée.

Mais, comme toujours Kechiche en fait beaucoup pour qu’on parle de lui : lorsque David Lynch filmait John Merrick, « L’Homme-éléphant », il faisait un mélo lacrymal très réussi. On comprend qu’un cinéaste puisse adopter un autre point de vue que l’empathie sentimentaliste, mais la sécheresse qui va jusqu’à la mise en accusation d’un public taxé de voyeurisme, simplement parce qu’il est venu voir « ce » film qui l’accuse, c’est un tout petit peu crétin ... ou très roublard !

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