jeudi 24 juin 2021

Never Let Me Go

 

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Never Let Me Go (2010) de Mark Romanek

 Dans un orphelinat anglais assez chic en apparence, Kathy, Ruth et Tommy sont amis. Ils grandissent ensemble. Mais une nouvelle institutrice leur apprend qu’ils ne sont que des clones destinés à mourir jeunes, puisqu’ils sont « donneurs », destinés à être prélevés de leurs organes sains pour remplacer les organes malades des « vraies gens très riches ».

Dans Les Vestiges du jour (autre roman de Kazuo Ishiguro), un maître d’hôtel anglais, parfait « butler », ne laissait jamais transparaître ses sentiments, que ce soit vis-à-vis des opinions politiques pro-nazis de son maître ou vis-à-vis de la gouvernante dont il était amoureux.

Auprès de moi toujours (Never Let Me Go) paraît seize ans après Les Vestiges du jour et on y retrouve le même renoncement, la même absence de révolte contre ce qui est présenté comme inéluctable ; mais cette fois-ci, c’est la mort prématurée et programmée des trois héros qu’eux-mêmes acceptent sans états d’âme, avec une résignation qui semble invraisemblable au nom de ce qui est propre à toute créature vivante, l’instinct de conservation.

Il s’agit d’autres choses que de suivre aveuglément une idéologie hideuse au prétexte qu’un bon domestique, comme un bon soldat, se doit d’obéir « sans murmure et sans état d’âme » (tel que stipulé dans le code militaire français en vigueur dans les années 30 : on sait à quels excès tout cela nous a mené, un tout petit peu après !).

Cela dit, quand on y regarde de plus près, les condamnés à mort ne se révoltent pas : pour se révolter, il faut avoir une âme de résistant, de combattant et tout le monde ne l’est pas !

Kathy, Ruth et Tommy agissent exactement comme si on leur avait expliqué très jeunes qu’ils avaient une maladie incurable qui les tuerait avant qu’ils n’aient la « chance » de devenir vieux.

Or, ils ne sont pas malades puisqu’ils sont même maintenu en excellente santé, alors qu’ils sont souvent issus des rebuts de la société : ils se retrouvent donc rebuts de rebuts et sont donc programmés pour trouver normal de ne pas exister, de ne pas avoir d’âme.

Le seul problème, c’est qu’ils en ont une et qu’ils sont désespérément humains. Leurs « bourreaux » le savent bien puisqu’ils font courir des bruits sur d’hypothétiques sursis pour les « clones amoureux » et « créatifs ».

Et ces clones retourneront quoi qu’il arrive à leur situation de morceaux de viande, de magasins d’accessoires.

Dans le roman d’Ishiguro, le constat est sec, tranchant (comme dans Les Vestiges du jour) et cette sécheresse agît comme une « contre-catharsis », comme une distanciation brechtienne, mais par un moyen presque contraire : la distanciation brechtienne s’oppose à l’effet d’identification. Chez Ishiguro, l’absence apparente d’empathie suscite la révolte ; cette révolte que les trois héros n’éprouvent pas, ou peu (le hurlement de Tommy après la mort de Ruth et juste avant la sienne), c’est nous qui l’éprouvons et c’est plus efficace dans ce sens-là.

Malheureusement, Romanek n’a pas gardé ce « style Ishiguro » : il a réalisé un film assez larmoyant entrecoupé de plan sur la (trop) belle campagne anglaise et tout le monde « renonce », réalisateur compris.

Malgré la qualité des interprètes, on assiste passivement à la disparition programmée des trois héros (il y en a deux qui meurent à l’écran). Charlotte Rampling est Miss Emily, la directrice de Hailsham, Sally Hawkins est Miss Lucy, celle qui sera chassée pour avoir révélé leur sort aux enfants et Nathalie Richard est madame de Hailsham, propriétaire de la galerie d’art, unique échappatoire pour sauver les donneurs, d’après une rumeur persistante, d’ailleurs fausse. Carey Mulligan est Cathy, la narratrice.

Tout le monde est très bien, mais les meilleurs sont Andrew Garfield qu’on avait vu dans un rôle moins riche dans le très surestimé Social Network et qui est ici l’hyper sensible Tommy et Keira Knightley, l’émouvante Ruth qui nous rappelle beaucoup la Marie-Hélène Breillat d’il y a trente ans.

Tout ce beau (et excellent) monde aurait pu nous donner un beau film, mais la mollesse esthétisante de Romanek réussit beaucoup moins à Ishiguro que l’esthétique rigoureuse d’Ivory.

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