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Augustine (2012) d’Alice Winocour
Augustine est bonne dans une maison bourgeoise parisienne. Nous sommes pendant l’hiver 1885.
Lors d’un dîner, alors qu’elle sert à table, elle fait une crise de ce qu’on n’appelle pas encore l’hystérie.
Accompagnée d’une collègue et amie, Augustine se rend à l’hôpital de la Pitié-Salepêtrière où, depuis quelque temps, le professeur Charcot fait des recherches sur cette étrange maladie.
« Celle-ci est poitrinaire : elle n’en a pas pour longtemps. »
Le jugement tombe de la bouche du « professeur Charcot » pour son assistant sans la moindre empathie pour la pauvre fille dont il est question et devant qui cette réflexion a été faite avec autant de décontraction que s’il s’agissait d’un meuble hors d’usage.
Et nous touchons là, en un plan qui ne dure pas dix secondes, toute la problématique de ce film atypique et remarquable. Charcot était un grand scientifique : il a étudié (et découvert) cette maladie spéciale qu’on appellera l’hystérie, une pathologie qui avait pu valoir le bûcher à certaines femmes qui en avait souffert par le passé.
Mais Charcot était aussi un homme de son temps, et surtout, un bourgeois de son temps. Toutes ces pauvres filles « du peuple » ne sont pour lui que des morceaux de viande, des objets d’expérimentation. Et si ces expérimentations aboutissent à une forme de guérison ou de bien-être pour la pauvre fille, tant mieux, mais ce n’est pas la priorité.
Et si Augustine réussit à le troubler, le trouble n’est que sexuel, en aucun cas sentimental. On pense, bien sûr, à Pygmalion et, comme dans le mythe, Galatée va le vaincre par la fuite.
Mais avant de fuir, Augustine va manipuler l’auditoire de Charcot en simulant une crise, alors qu’elle vient de guérir. Et, une fois de plus, Alice Winocour nous montre cela en deux plans vite faits.
Le film est une sorte de piège pour ses spectateurs. Alice Winocour a le talent et l’intelligence de ne jamais aller là où on l’attend. Que ce soit au niveau d’une séquence, d’un plan ou d’une réplique, elle ne fait jamais ce qui était « convenu » dans tous les sens du terme.
Et elle réussit un film sombre et plein d’espoir, cynique et révolté, passionnel et froid. Il faut bien dire que ses interprètes sont pour beaucoup dans la réussite : Lise Lamétrie (l’infirmière) et Olivier Rabourdin (Bourneville) renouent avec la tradition des grands seconds rôles à la française. Chiara Mastroianni se tire avec maestria d’un rôle qui eut pu n’être que celui d’une potiche. Et on entr’aperçoit dans un rôle trop bref, Roxane Duran, la « fille du docteur » du Ruban blanc d’Hanecke.
Soko (Stéphanie Sokolinski) est une sensationnelle révélation dans le rôle-titre où elle allie finesse, talent et intelligence.
On a beaucoup dit que Vincent Lindon pouvait tout jouer et c’est un peu un lieu commun lorsqu’on parle d’un comédien que de le dire : après tout, un comédien doit pouvoir tout jouer.
Mais se fondre comme il le fait depuis des années dans tous ces personnages tout en les amenant à lui, qu’il joue les premiers ministres, les maîtres nageurs compassionnels, les fils taulards et violents, les braves types bons maris troublés, ça c’est remarquable et ça, c’est la force de Vincent Lindon.
Augustine est le troisième film d’une réalisatrice de 36 ans. Je ne sais pas comment étaient les deux premiers, mais puisse-t-elle nous en faire beaucoup aussi grands de celui-ci !
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