vendredi 6 novembre 2020

Le Ruban blanc

 

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Das Weiße Band, eine deutsche Kindergeschichte (Le Ruban blanc)

de Michael Hanecke (2009)

 Nous sommes en 1913, dans la campagne du nord de l’Allemagne. Un jour, le médecin du village est victime d’un accident de cheval, provoqué par un fil invisible tendu au milieu de la route. Le fil disparaîtra aussi mystérieusement qu’il est apparu.

Puis, c’est le potager du baron, hobereau local, qui est saccagé. Puis, le fils du même baron est enlevé. Une paysanne est assassinée.

Enfin, le fils de la sage-femme, assistante et maîtresse du médecin, est enlevé et torturé, ce qui provoque la colère de tous les villageois, car l’enfant est un petit trisomique innocent et apprécié par tout le monde.

Le jeune instituteur enquête sur tous ces incidents.

En 1960, Wolf Rilla réalisait une série B d’anticipation horrifique sans monstre en caoutchouc, sans petits hommes verts ou autres malfaisants gélatineux : les monstres extra-terrestres étaient simplement des enfants blonds aux yeux bleus, nés tous le même jour, neuf mois après que toute la population du village eût vécu une journée entière d’un sommeil catatonique. Au bout de quelques temps, il était évident pour les parents que leurs « enfants » leur étaient complètement étrangers, mais parfaitement en osmose entre eux. Le film était en noir et blanc.

C’est en noir et blanc qu’Hanecke réalise son film 39 ans plus tard, un noir et blanc sec, froid, très contrasté, aussi inquiétant que les habitants luthériens de ce village. C’est bien évidemment au Village des damnés qu’on pense lorsque, après la chute du docteur à cheval, on voit tous ces enfants blonds qui vont rendre visite à la fille dudit médecin (fille qui est régulièrement violé par son père, on l’apprendra plus tard). Alors, comment ne pas faire le rapprochement avec le film de Wolf Rilla (et/ou son remake de John Carpenter) ?

Un autre rapprochement s’impose. Il faut avoir lu le premier chapitre du livre de Robert Merle La Mort est mon métier : ce roman est une compilation des vrais mémoires de Rudolf Hoess (qui fut le commandant des camps de Dachau d’abord, puis d’Auschwitz et, tout particulièrement de Birkenau) et des rapports des psychiatres-experts du tribunal de Nuremberg et particulièrement, du psychiatre qui interrogea Hoess.

Dans ce premier chapitre, situé en 1912, soit un an avant l’action du film d’Hanecke et deux ans avant le début de la première guerre mondiale, on retrouve tout ce qu’il y a dans Le Ruban blanc : le puritanisme luthérien, le non-dit, la froideur, le manque total de marques d’affection vis-à-vis des enfants, très probablement, le manque total d’affection tout court. Et ces enfants sont nés dans la première décennie de ce qui deviendra l’horrible XX° siècle. Ce seront les Allemands adultes entre 1933 et 1945.

Bien sûr tous ne deviendront pas le commandant en chef de la plus grande usine à massacrer des êtres humains de tous les temps, mais tous auraient pu le devenir.

Le Village des damnés était censé nous prémunir contre l’idéologie communautaire, propre à un certain régime totalitaire (nous étions en 1960 encore en pleine guerre froide). Ici, ce sont les futurs nazis qui sont « les damnés » (et on rejoint Visconti). Et ce ruban blanc, couleur symbolisant la pureté, est ici une marque d’infamie pour celui ou celle qui a dérogé aux lois très strictes de cette « pureté luthérienne » qui érige en vertu des principes pervers et cul béni en tournant le dos aux vraies valeurs de générosité.

On explique à un enfant petit et pas encore perverti par la religion qu’il doit se faire un devoir de libérer l’oiseau blessé qu’il a recueilli lorsqu’il sera guéri, mais on s’empresse d’accepter le même oiseau en cage des mains du même enfant lorsqu’il fait don de cet oiseau en signe d’affection pour son père qui le remercie à peine. Or, ce père, c’est le pasteur.

Le nazisme était un système athée et anti-religieux, mais c’est dans cet immonde brouet de bondieuseries qu’il a pris naissance, comme dans le plus grouillant des bouillons de culture.

Comme on a souvent pu le constater, le festival de Cannes nous a quelquefois offerts des palmes indignes, des palmes improbables ou simplement « dans l’air du temps ».

Mais ce qui nous réconcilie avec cette haute distinction, ce sont les chefs d’œuvres (La Dolce vita, Le Guépard, Le Messager…) : ce Ruban blanc en fait indéniablement partie.

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