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The Damned – La Caduta
degli Dei (Les Damnés) de Luchino Visconti (1969)
18
Février 1933. Le baron Joachim Von Essenbeck fête son anniversaire. A ses
côtés, son neveu Herbert Thalmann, accompagné de sa femme Elizabeth et de leurs
deux filles, son autre neveu Konstantin, le fils de celui-ci Gunther, un cousin,
Aschenbach, la baronne Sophie Von Essenbeck, veuve du fils de Joachim, son
amant Frederick Bruckmann qui dirige les aciéries Von Essenbeck et Martin Von
Essenbeck, fils de Sophie, petit-fils de Joachim et héritier présomptif de
l’entreprise et du domaine familial.
Herbert est socialiste, Konstantin, membre du parti nazi, fait partie
des SA et Aschenbach est SS.
Juste avant le dîner, Konstantin apprend par un coup de téléphone
l’incendie du Reichstag. Pendant le repas, Joachim annonce à la famille qu’il
nomme Konstantin vice-président des aciéries Essenbeck qu’il met ainsi au
service du parti nazi.
Pendant
la nuit, Joachim est assassiné et Herbert Thalmann est contraint à la fuite :
il sera accusé d’avoir voulu se venger de la nomination de Konstantin à son
détriment.
Lorsque Visconti propose le scénario des Damnés à la Warner Bros, il n’est plus
le réalisateur à succès de Rocco et ses
frères ou du Guépard. Il vient d’essuyer deux échecs L’Etranger et Sandra. De plus, avec sa complice habituelle Suso Cecchi d’Amico, il n’est
pas parvenu à venir à bout du scénario de ce qui devrait être son grand-œuvre, A la Recherche du temps perdu.
Il reprend alors une vieille
idée : une adaptation contemporaine de Macbeth.
Il commence alors à travailler, avec Suso Cecchi d’Amico, prenant pour base de
son Macbeth l’affaire Profumo. Et
c’est Cecchi d’Amico qui va préférer les Krupp à l’affaire Profumo. Mais la
scénariste est contrainte d’abandonner le projet pour honorer un autre contrat.
Nicola Badalucco, biographe de
Visconti, rejoint celui-ci pour situer l’intrigue shakespearienne dans l’Allemagne
des débuts du nazisme, à travers l’histoire d’une famille qui rappelle beaucoup
la famille Krupp, marchands de canons de la Ruhr qui trônent à Essen. La famille Krupp de
Visconti s’appellera donc Von Essenbeck.
Il y a Joachim (Duncan), le
patriarche tout-puissant, patron et chef de la famille. Konstantin (Banco) et
Gunther, son fils (Fleance) : Konstantin est SA, Gunther, étudiant.
Herbert, neveu de Joachim, social-démocrate, et Elizabeth, sa femme et leurs
deux filles (Macduff et sa famille) sont également invités. Il y a aussi
Eichenbach, le cousin, éminence grise, SS qui manœuvre tout ce petit monde en
dictant leurs destins à tous ces pantins (les sorcières). Enfin, il y a
Frederick Bruckmann, ingénieur en chef des usines Essenbeck et amant de Sophie,
veuve du fils unique de Joachim disparu lors de la première guerre, autrement
dit Macbeth et lady Macbeth.
Le coup de maître du scénario
est d’avoir « inséré » un personnage dans la tragédie
shakespearienne : c’est Martin et c’est, avec le couple infernal, le
personnage principal.
Martin, c’est Alfried Krupp
qui ne connut pas directement le nazisme, mais défraya la chronique dans les
années 50 : ses frasques étaient d’autant plus choquantes que sa famille
s’était jeté dans les bras d’Hitler et qu’on comprenait mal que cette
« famille maudite » (son père avait été condamné à douze ans de
prison à Nuremberg et il fut libéré bien avant que sa peine ne fût purgée) pût
encore provoqué la bonne société en s’exhibant dans des affaires de mœurs
(Alfried Krupp sortait travesti et il fut compromis dans des affaires de
drogues et dans ce qu’on appelle aujourd’hui des réseaux pédophiles).
C’est donc ce personnage,
transposé vingt ans plus tôt, qui représente l’héritier Von Essenbeck.
Pédophile et drogué, Martin est présenté comme un dandy dégénéré. Amoureux
d’Helmut Berger, Visconti confia, hélas, le rôle à ce dernier.
Énorme succès public à l'époque de sa sortie, Les Damnés est tout de même un
demi-échec, car si le personnage est bien rendu par cet
ex-éphèbe sur le retour, folle tordue à l’accent teuton (la version originale
est en anglais), Berger est un acteur inconsistant, ce qui, positivement, accuse l’inconsistance de Martin. Comment un perfectionniste
aussi exigeant que Visconti a-t-il pu faire une erreur pareille ? L’erreur
Berger sera plus tard à l’origine de l’accueil assez froid du public et de la
critique lors de la sortie de Ludwig
(baptisé en France Ludwig, le crépuscule
des dieux), bien que le film ait été réévalué dans les années 80, après qu’il eut été
remonté selon le projet original de Visconti, avant les tripatouillages que les
producteurs avaient exigés à l’époque de la première sortie : quoiqu’on
puisse en dire, le lamentable giton du maître y fait de Louis II un Martin bis
et c’est catastrophique. Cette erreur sera à l’origine de l’abandon du projet
Proust : la folle teutonne aurait fait un caca nerveux en apprenant que
Visconti voulait Delon dans le rôle du narrateur.
Dans Les Damnés, l’inconsistance de Martin est d’autant plus flagrante
que ce pauvre Berger est entouré par des poids lourds : Dirk Bogarde,
Ingrid Thulin, Umberto Orsini, Florinda Bolkan, le jeune Renaud Verley,
jusqu’aux débutants (ou quasi) Helmut Griem et Charlotte Rampling.
Film tragique, crépusculaire,
plus sombre encore que son modèle shakespearien, Les Damnés est une œuvre désespérée : la mort du couple
assassin (qui rappelle étrangement ce que sera la fin d’Hitler et de sa femme) n’apporte
aucune quiétude, car nous ne sommes qu’en 1936 et nous savons, nous, que le pire
est à venir.
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