À la vie (2013) de Jean-Jacques
Zilbermann
A partir du 18 janvier 1945, devant
l’avancée des troupes soviétiques, les SS évacuent les camps d’Auschwitz pour
« ramener » les survivants en état de marcher vers les camps de
concentration situés en Allemagne.
Hélène et Lili tentent d’emmener
leur amie Rose qui est trop épuisée pour marcher.
Quelques mois plus tard, Hélène
rentre à Paris. Grâce à sa concierge qui est aussi une amie, elle fait la
connaissance de Raymond, mais elle épousera Henri, un Juif rescapé comme elle,
qui fut le cobaye d’expériences qui l’ont laissé impuissant.
Mais Hélène n’a pas renoncé à retrouver son
amie Lili et c’est en 1960 qu’elle la revoit, à Berck Plage, accompagnée de
Rose qui a, contre toute attente, survécu.
De même qu’on
ne fait pas de bon cinéma avec de bons sentiments, il est très difficile de
faire de bons films avec des souvenirs d’enfance ou, tout au moins, avec ce qui
vous touche de trop près.
Jean-Jacques Zilbermann avait déjà essayé avec Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes et ça n’était pas vraiment réussi.
Ici, on sent qu’il a transgressé un interdit, le tabou suprême :
la déportation, dans le film précité n’était qu’un détail anecdotique. Dans ce
film-ci, c’est le thème principal.
Et pourtant, à Josiane Balasko, actrice « carrée » qui
dégage une sorte d’autorité naturelle, succède Julie Depardieu, actrice frêle
qui dégagerait plutôt de la fragilité.
L’entreprise est sympathique et on est de tout cœur avec lui, mais
d’un point de vue beaucoup plus critique, on le sent prisonnier de son sujet,
prisonnier du passé de sa mère, prisonnier de sa mère.
On a beaucoup dit (surtout ces temps-ci où on commémore le 70ème
anniversaire de la libération des camps de la mort en général et d’Auschwitz en
particulier) qu’au retour, les survivants de l’holocauste, les déportés
« raciaux », ne pouvaient parler, car on ne voulait pas les entendre.
Et puis, il y a eu ces fameuses considérations sur « la
concurrence des victimes » où il serait question d’un déficit d’image des
victimes « innocentes » du nazisme (ceux qui n’avaient rien fait pour
l’être) par rapport aux politiques et aux résistants qui risquaient
volontairement leur vie. Ce qui aurait AUSSI empêché les victimes de parler.
Faisant partie de la génération du Baby-boom, autrement dit, né après
guerre, j’ai un souvenir très précis de ce que fut le discours des années
60 : nous étions dans la France gaullienne uniformément résistante, une France
qui n’avait jamais cédé à un ennemi sans pitié et avait payé le prix du sang.
Lorsqu’on mentionnait le nom de Philippe Pétain, c’était pour parler du héros
de Verdun et non pas de l’affidé du nazisme.
En 1965, j’entendis pour la première fois le nom d’Auschwitz alors que
celui de Buchenwald m’était assez familier. C’est là que je découvrais ce
qu’avait été le martyre des Juifs dans l’Allemagne nazie et dans les pays
occupés.
Je pense que si j’avais été issu d’une famille juive, je l’aurai su
bien avant. Car si les déportés « raciaux » se taisaient
« publiquement », il n’en était certainement pas de même dans le
« privé » : j’en ai eu moi-même un aperçu, car j’avais un oncle
qui avait été enfermé à Rawa-Ruska, un camp de représailles situé en Ukraine, et il ne se privait
jamais d’évoquer des horreurs sans se soucier de ma présence alors que j’étais
très jeune.
Tout ça pour dire, donc, que pour un homme dont les parents ont vécu
Birkenau et son cortège de souvenirs de morts, il n’est pas facile de faire une
œuvre de ses souvenirs sans avoir l’impression de commettre un sacrilège.
On a donc droit à ces trois femmes dont deux égrènent des nuits
entières leurs souvenirs (comme si c’était « le bon vieux temps ») au
grand dam de la troisième dont on expliquera pourquoi elle ne veut plus parler
de ça et qu’elle veut « passer à autre chose ».
Et c’est vrai que Zilbermann veut tellement ne pas appuyer là où ça
fait mal (alors pourquoi en faire un film ?), qu’il nous donne une
évocation insipide de ce qui aurait pu être dur, mais passionnant.
Les trois interprètes (Julie Depardieu, Johanna ter Steege, la grande
Suzanne Clément et les autres, même Hyppolite Girardot, pas
trop mauvais pour une fois) essaient avec talent de sauver l’entreprise, mais
il n’y a rien à faire : le réalisateur, faute d’avoir pris une distance
nécessaire par rapport à son sujet prend ses distances avec nous, les
spectateurs, et l’intérêt de la chose se délite, sans toutefois disparaître dans un film qu'on aurait aimé aimer un peu plus.
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