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C’era una volta il west (Il était une fois
dans l’ouest) de Sergio Leone (1968)
Dans
une station de chemin de fer au milieu du désert, trois individus à la mine
patibulaire attendent le train d’où descend un voyageur solitaire qui joue de
l’harmonica.
Visiblement, les trois hommes sont
là pour le tuer, mais c’est lui qui les abat.
Pendant ce temps, Peter MacBain
dresse la table devant sa ferme, aidé par ses trois enfants, car toute la
famille va accueillir Jill, la nouvelle épouse de Peter. Celui-ci envoie son
fils aîné à la gare pour qu’il aille chercher sa belle-mère.
Mais Frank et sa bande arrive et tue toute la famille.
Pour
ses trois premiers westerns, Sergio Leone avait tourné tous ses extérieurs en
Espagne. Dans Le Bon, la brute et le truand, il bénéficia même des « services » de
l’armée de Franco qui lui offrit la nombreuse figuration dont il avait besoin.
Mais Leone en avait assez des westerns.
Il ne pensait qu’à adapter The Hoods d’Harry Grey, l’histoire de quatre
petits voyous juifs new-yorkais entre 1922 et 1968. Il réalisera cette
adaptation en 1984 et Il était une fois en Amérique sera son chef d’œuvre.
Il était une fois dans l’ouest était donc un film qu’il ne voulait pas faire.
Et pourtant ! Plus qu’un chef
d’œuvre, Il était une fois dans l’ouest est un grand film politique, un
grand western politique !
En fait, on peut se dire que le « western »
est emblématiquement une catégorie de film politique. A l’origine, le western
s’est d’abord présenté comme une histoire de bandits (cf. le « premier
western de l’histoire du cinéma », The Great Train Robbery d’Edwin S.
Porter en 1903).
Puis le genre est devenu historique et
politique avec la période « Cowboys contre Indiens », ce qu’on
appelle aujourd’hui la période des « guerres indiennes ».
Dans les années 50, le western tente de
se renouveler et lorsque les guerres indiennes sont concernées, l’Indien n’est
plus un immonde sauvage, mais la victime des « visages pâles ».
Et puis, désormais, il y autre chose
que les Indiens. Les juges corrompus, les flics pourris et les hommes
politiques plus ou moins mafieux (ce qui est le cas ici) deviennent des personnages
récurrents du western.
Quant au héros, encore plus qu’avant,
c’est le « Poor Lonesome Cowboy ».
D’autres westerns inaugurent un nouveau
style, le western psychologique. Et le chef d’œuvre du genre, c’est Johnny
Guitar grand film de Nicholas Ray que Bernardo Bertolucci et Dario Argento
vont prendre comme base du scénario que Sergio Leone leur a commandé pour ce
(nouveau) western dont il ne voulait pas et qui sera le premier opus d’une
trilogie qui raconte la violence dans laquelle les États-Unis se sont forgés
depuis la deuxième moitié du 19ème siècle jusqu’à la fin de la
prohibition.
Le premier et le troisième s’intitule « Il
était une fois » dans tous les pays. Quant au deuxième, s’il
s’intitule « Baisse la tête » en italien (Giú la testa),
« Baisse-toi, connard ! » aux États-Unis (Duck you, Sucker !), voire « Pour
une poignée de dynamite » en Angleterre (For A Fistful of Dynamite), il
s’intitule bel et bien Il était une fois la révolution en
France.
Dans Il était une fois dans l’ouest,
tous les thèmes sont mêlés : l’affairiste mafieux, le gang qui est à son
service, le chef de ce gang qui est un tueur sadique, mais froid,
l’ex-prostituée qui redevient madone, la crapule au grand cœur et, surtout, le « héros
qui n’a pas de nom », le « Poor Lonesome Cowboy ».
Celui de Nicholas Ray s’appelait
« Guitar » : ici, on l’appelle « Harmonica », car on
ne connaît pas son nom, mais tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il a toujours
son harmonica, jusqu’à la fin du film, lorsqu’il le « retourne à l’envoyeur ».
Sergio avait trouvé le scénario
original de Bertolucci et Argento, trop « intellectuels » pour le
film qu’il voulait réaliser. Il fit donc
appel à Sergio Donati qui avait déjà réécrit une bonne partie du scénario du
film précédent, Le Bon, la brute et le truand bien
qu’il ne soit pas crédité au générique.
Comme toujours, c’est la patine du
temps qui en fait désormais un grand classique : on retient certains plans
comme le plus célèbre, celui qui part du quai de la gare de Flagstone, puis
s’élève par-dessus la gare pour découvrir la ville, de même que le plan de la
séquence finale dans laquelle Claudia Cardinale va distribuer de l’eau aux
ouvriers du chemin de fer, plan qui se termine par les deux chevaux de
L’Harmonica et de Cheyenne qui s’éloignent. Le titre du film n’apparait que
dans cette séquence finale et c’était une innovation à l’époque. Car ce
titre était absent du générique de début, réputé pourtant pour être le plus long
de l’histoire du cinéma (mais je ne suis pas sûr que ce soit encore vrai).
Si le film ne reçut qu’un succès
médiocre aux États-Unis, il fut presqu’unanimement accueilli dans les autres
pays et fut même en France l’un des dix plus grands succès en salle où il lança
la mode des « cache-poussières », ces manteaux très longs dits
« maxi » qui succédaient ainsi à la mode « mini ».
Par la (longue et sublime) scène
d’ouverture, Leone voulait tirer symboliquement un trait sur La Trilogie du
dollar en faisant incarner ses trois tueurs par « Le Bon, la brute et
le truand », Eastwood, Van Cleef et Wallach. Mais comme Eastwood avait
d’autres projets (et surtout, ayant pris la grosse tête - grâce à Leone !
-, il ne voulait pas mourir dans les dix premières minutes du film !),
Leone abandonna l’idée et fit jouer les trois tueurs par Jack Elam, vieux
routier du western, Al Murdock et Woody Strode, le célèbre Sergent noir de
John Ford. Sinistre anecdote : Al Mulock se suicida pendant le tournage.
Aux États-Unis, à l’époque de la
sortie, les copies distribuées durait 28 minutes de moins que dans la version
DVD actuelle, dite intégrale (mais qui ferait tout de même 12 minutes de moins
que la vraie intégrale de 177 minutes).
Le film fut tourné dans trois pays (Espagne,
États-Unis et Italie), alors que l’action se situe intégralement dans la petite
ville désertique de Flagstone, censée se trouver dans le Colorado.
En réalité les prises de vues
américaines ont été réalisées dans l’Utah en plein territoire Navajo et Leone
se plaignit après de la quasi-impossibilité de tourner des westerns dans ces
canyons en évitant les panneaux publicitaires.
La scène de l’arrivée de Claudia
Cardinale à la ferme MacBain dans le buggy conduit par Paolo Stoppa est réputée
avoir été la plus longue randonnée en voiture à cheval de l’histoire du cinéma
puisqu’elle commence en Espagne et se poursuit en Utah pour se terminer en
Espagne de nouveau.
Leone ne laisse rien au hasard et sa
mise en scène est presqu’aussi soignée que celle d’un film de son compatriote
si dissemblable, Luchino Visconti.
Presque, car j’ai quand même dénombré quelques
faux raccords dans la scène d’ouverture et un plan flou à la fin du film :
lorsque « l’harmonica » descend du train, il porte ce qui semble être
deux sacs de voyage ; dans le plan suivant, il n’en a plus qu’un et joue
de l’harmonica de la main gauche, puis tire sur les trois tueurs de la main
droite alors qu’un seul sac (l’autre a disparu) est à ses pieds côté gauche. A
la fin du film, après le coup de feu du duel, le gros plan de la belle Claudia
est franchement flou, ce qui est d’autant plus dommage que c’est le dernier
gros plan de Miss Cardinale !
Mais pour voir tout ça, il faut avoir
vu le film plusieurs fois, car c’est la force des chefs d’œuvre de ne pas
« laisser voir leurs coutures », même lorsqu’elles ne sont pas
toujours invisibles.
L’affairiste mafieux, c’est Morton
(Gabriele Ferzetti), un homme d’affaires handicapé qui vit des chemins de fer
et dans son propre train, qui entretient une bande de truands dirigée par Frank
et que Cheyenne a surnommé Mr Tchoutchou.
Henry Fonda, dans toute sa longue
carrière, a toujours joué les braves types, les héros que ce soit chez John
Ford, chez Sidney Lumet, chez Howard Hawks ou chez beaucoup d’autres. C’est pour
ça (et pour ses yeux bleus) que Leone le voulait absolument dans le rôle de
Frank, ce tueur implacable qui, sous un calme apparent, éprouve une grande
jouissance à tuer : sa première apparition, c’est le massacre de la
famille McBain et c’est lui qui tue le petit garçon.
Charles Bronson est le fameux
« homme à l’harmonica » ou plutôt « Harmonica », comme tout
le monde l’appelle, à la fois énigme, Deus ex-machina, justicier comme dans
tous les westerns, et protagoniste du fameux duel final cher à Leone dans tous
ses westerns qui nous révèle non qui il est, mais ce qu’il est, dans cette
magnifique scène baroque, « climax » absolu, illustré par un thème
musical stupéfiant qui valut (avec juste raison) sa brusque notoriété au grand
Ennio Morricone. Selon certains historiens du film, « Harmonica »
serait même un fantôme, venu venger les (nombreuses) victimes de Frank : il est
vrai que, dans la séquence d’ouverture, il est blessé par un des tueurs de
Frank (Woody Strode) et semble s’en tirer assez facilement !
« D’autres Morton arriveront
qui éradiqueront la race des gens comme vous ! » dit Cheyenne à Jill. Cheyenne, le bandit au grand
cœur, c’est l’un des meilleurs (et des plus méconnus) acteurs américains, Jason
Robards.
Jill MacBain, c’est une (ex-)pute au
grand cœur qui va devenir une madone « avec des couilles »
(selon Leone lui-même). Claudia Cardinale lui prête son talent, son charisme et
sa beauté extraordinaire. Lorsqu’elle arrive, elle est déjà veuve et, bien
qu’elle ne le sache pas encore, elle est vêtue de noir, ce qui peut sembler
étrange pour une femme récemment mariée qui va être présentée aux enfants de
l’homme qu’elle a épousé.
Jill est la « mère courage »
d’une famille qui n’existe plus, mais à laquelle, volontairement ou pas, elle
va rendre hommage tout au long du film. Et comme la Mère Courage de
Brecht, elle va distribuer l’eau à tous les hommes qui construisent cette voie
ferrée qui va la rendre riche, une humanité qui n’apparaît qu’à la fin du film,
comme n’apparaissait qu’à la fin de l’opéra, l’humanité du Crépuscule des
Dieux de Wagner à Bayreuth dans la mise en scène de Chéreau. Enfin, lorsque
Leone filme la belle Claudia à travers un tulle, on ne peut que penser au plan
final de Noodles (De Niro) dans Il était une fois en Amérique.
Car la grande force de ce chef d’œuvre,
c’est de réussir à être atypique dans un genre habituellement très codifié, le
western, un chef d’œuvre qui réussit à s’ouvrir sur le son le plus crispant et
le plus haï au monde, le crissement d’une craie sur un tableau.
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