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Balada triste de trompeta (Balada triste) d’Alex de la Iglesia (2010)
Madrid 1937. Deux clowns
font leur numéro dans un petit cirque ambulant alors que la guerre civile fait
rage. Lorsqu’un capitaine de l’armée républicaine vient interrompre le
spectacle, il recrute de force tous les hommes y compris les deux clowns.
C’est donc avec son travesti de clown que l’auguste
va décimer, sabre au clair, toute une compagnie franquiste. Il n’est pas tué,
mais condamné au bagne et obligé d’abandonner son petit garçon, Javier.
Des années plus tard, le clown, comme beaucoup de
« bagnards » républicains, est affecté à la construction de la
gigantesque croix d’El Valle de los Caidos.
C’est sur ce chantier que le pauvre clown expliquera
à son fils qui désire prendre sa suite, qu’il ne peut être que le clown triste
puisqu’il ne peut pas faire rire les enfants comme tout ceux dont la guerre
civile a volé l’enfance.
Pour le venger, Javier provoque une explosion, mais le clown meurt en cherchant
à protéger son fils.
Une porte de décor ne
donnant sur rien, deux ou trois mats, pas de fond et deux clowns : c’est
le premier plan de Balada triste.
On ne verra
qu’un bout de toile lorsque le milicien fait son entrée. L’intrus vient du
dehors, de la guerre : « Nous
on travaille ! Vous n’avez pas vu les enfants ? » dit le
clown triste, le clown blanc, le raisonneur, avant d’ajouter : « Je me fiche de cette guerre qui ne
fait rire personne ! ». Ce clown blanc disparaît du film tout de
suite après.
Celui qui lui
succèdera, c’est Javier, le petit garçon du début, le fils de l’autre clown, de
l’Auguste, un statut que son passé d’orphelin de guerre interdit à Javier.
Les
différents synopsis livrés par la presse et inspirés du synopsis du dossier de
presse sont complètement faux. Il précise : « Pendant cette période tragique [la guerre civile], deux clowns vont s’affronter jusqu’à la
mort par amour pour une belle acrobate ».
Or, la guerre
civile, au cours de l’année 1937 alors que Javier n’a que huit ans, ne dure pas
dix minutes à l’écran. Une autre séquence nous montre la mort du clown dix ans
plus tard, au pied de la sinistre croix d’El Valle de los Caidos : le plan
où on le voyait blessé par balle à la jambe, dix ans auparavant, au moment de
sa capture dans son costume de clown travesti, est exactement le même, comme
s’il s’agissait d’un préambule grotesque à sa disparition définitive. Puis,
nous arrivons très rapidement à l’année 1973, quand se passe l’essentiel de
l’action, Javier, Sergio et Natalia, l’Auguste et le clown blanc se livrant une
lutte à mort « par amour pour une
belle acrobate ».
Alex de La
Iglesia fait pour la première fois un film sur son histoire et l’Histoire de
son pays. Et nous pouvons voir à quel point le franquisme a pu marquer à la
fois ceux qui ont plus de quatre-vingts ans et ont connu la guerre civile et
ceux qui sont nés après, comme le réalisateur ou l’interprète du rôle du père
de Javier, Santiago Segura qu’on voit peu mais qui est essentiel au film, tous
deux nés en 1965.
Comme le dit
le réalisateur, le clown fait rire, mais il est triste aussi et il fait peur.
Et il décrit son film comme « un
conte grotesque qui [fait] rire et
pleurer à la fois ».
Pour nourrir
son film, de La Iglesia s’approvisionne chez Hitchcock, chez Burton et surtout,
bien sûr, chez Browning et chez Fellini.
Et il les
remercie en les citant : la scène finale à la sinistre croix d’El Valle de
Los Caidos (devenu depuis, ça n’est pas neutre non plus, le mausolée de Franco[1])
fait référence à la poursuite du Mont Rushmore de La Mort aux trousses et
l’univers atypique du cirque de Javier, Sergio et Natalia, c’est le cirque de Freaks,
tandis que les outrances de maquillage tant de Javier que de Sergio, tous deux
mutilés, nous plonge en plus grotesque et en plus dramatique chez Les Clowns ou à la fin de Huit et demi. Quant à la Balada triste de trompeta, n’est-ce pas celle de Gelsomina ? Et si Sergio le démoniaque peut se
référer à certains personnages du Noël de Monsieur Jack ou aux Martiens de Mars Attacks, Javier, dans son désir de
vengeance, pourrait être Edward aux mains d’argent, version gore.
Tout le film,
mais surtout le début, est baigné d’une lumière froide et d’une image bleue, à
la limite du noir et blanc que d’aucuns critiques français à courte vue ont
considéré comme un repoussoir.
Dans sa
sècheresse et dans cette apparente froideur, le film enthousiasme et il est
d’une beauté atypique à couper le souffle. Le plan du père de Javier la
première fois qu’il revoit son fils après qu’il a été fait prisonnier par les
franquistes est d’une beauté triste qui vous fait venir les larmes aux yeux.
On pense à
d’autres références : Javier mordant Franco, c’est le personnage principal
des Bienveillantes de Jonathan
Littell mordant le nez d’Hitler.
Et puis, il y
a cet extrait de Sin
un adios de Vicente Escrivà, un film
de 1970 dans lequel Raphael, comédien-chanteur en vogue à l’époque, chante La Balada de la trompeta dont le premier
vers est le titre du film Balada triste
de trompeta. Et au clown interprété par Raphaël se substitue pour Javier
son propre père qui l’exhorte à se venger, sans s’attendrir sur « la ballade triste de la trompette
pour un passé qui meurt ».
Enfin, le
choix de l’année 1973 n’est pas anodin : dans un régime franquiste aussi
vieillissant que son initiateur, Franco nomme Carrero Blanco premier ministre.
Celui-ci sera exécuté par l’E.T.A. la même année.
Ce film
foisonnant doit probablement être trop riche pour certains critiques qui sont
complètement passés à côté : « sinistre »,
« vulgaire », « grand-guignolesque », « surenchère de mutilations
(?) aussi diverses que ridicules »,
« débordements gores », « image verdâtre », « mise en scène pachydermique ».
Certes, il n’y a pas mort d’homme, mais ne pas comprendre lorsque c’est votre
métier que vous avez affaire (j’allais dire « pour une fois » !)
à du cinéma, du vrai, c’est selon moi assez grave pour qu’on puisse
légitimement se poser la question de sa propre légitimité à juger les œuvres
des autres quand on n’y comprend rien.
L’image (« verdâtre » comme dit
l’Humanité) de Kiko de la Rica et la belle musique tragique de Roque Baños,
deux collaborateurs récurrents de de La Iglesia, nous transportent dans cet
univers fascinant et terrifiant où pas un seul comédien ne semble
déplacé : il y a, bien sûr, le fabuleux trio de tête Carlos Arceres,
Antonio de la Torre, Carolina Bang, mais il faudrait mentionner tous les autres
dont Sandro Garcia dans le rôle du franquiste Colonel Sabado qui se vengera 26
ans après, du gamin qui l’a rendu borgne et Santiago Segura dans le rôle de
l’auguste, du père de Javier, rôle bref, mais marquant qui a le redoutable
honneur d’être à la fois la figure centrale de l’affiche et le premier
personnage qu’on voit à l’écran dans ce très beau film.
[1] Les cendres de Franco
furent exhumés le 24 octobre 2019 du mausolée qui devint, de fait, le mausolée
de tous ceux qui étaient tombés lors de la guerre civile, qu’ils fussent franquistes
ou républicains.
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