lundi 4 mai 2020

Il était une fois en Amérique


Il était Une Fois en Amérique- Affiche de Film Originale ... ****
Once Upon a Time in America (Il était une fois en Amérique)
de Sergio Leone (1984)
 Dans l’East Side, quartier juif de New York, trois gangsters recherchent Noodles qui est accusé d’avoir « donné » ses trois amis à la police : les trois hommes sont morts. Il y avait Philippe Stein, dit Cockeye, Patrick Goldberg, dit Patsy, et Maximilien Bergovicz, dit Max.
Nous sommes en 1933 et la loi sur la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis vient d’être abrogée.
Noodles réussit à échapper à ses poursuivants et se rend à la gare routière où il prend dans un casier une valise censée contenir de l’argent qui a été remplacé par de vieux journaux. Noodles quitte New York sans un sou.
Il revient trente-cinq ans plus tard. Il retrouve le seul de ses amis d’enfance encore en vie Moïse, dit Fat Moe. Il se souvient de sa jeunesse, au même endroit, en 1920.
Le jeune David Aaronson, dit Noodles, est amoureux de Deborah, la sœur de Fat Moe. Avec Patsy, Cockeye et Dominic, Noodles vit de petites combines qu’il fait pour le compte de Bugsy, le caïd local. C’est alors que Max emménage dans le quartier et se joint au groupe.
Max ne tarde pas à persuader Noodles et le groupe de laisser tomber Bugsy et de « s’installer à leur compte »
25 avril 2010
C’est le grand œuvre de Sergio Leone, le film qu’il portait en lui depuis 1968, date de la réalisation de Il était une fois dans l’ouest qui l’avait propulsé dans la cour des grands.
Après la sortie de Il Buono, il brutto, il cattivo (Le Bon, la brute et le truand), Sergio Leone, las de son étiquette de réalisateur de westerns-spaghetti, décida qu’il ne réaliserait plus de western. Il tomba sur The Hoods, un roman de Harry Grey qui, bien qu’il le trouvât assez médiocre, l’emballa et qui racontait l’histoire (autobiographique, mais un peu « pipeautée » !) d’un gang de jeunes juifs new-yorkais d’origine polonaise qui avaient fait fortune pendant la prohibition. Il dut attendre les années 80 pour en acquérir les droits. Très sincèrement, on pensait que Leone allait « déplacer » l’histoire du côté de « Little Italy » (puisque la mafia d’importation italienne a eu une certaine importance à l’époque de la prohibition – cf. un certain Al Capone… -). Mais curieusement, les héros de Leone restèrent les petits Juifs d’Hester Street. Là, Leone eut sans doute tort, car sa rue a beau être encombrée de Loubavitchs avec chapeaux et papillotes et bien qu’on s’y souhaite une Joyeuse Pessah, ces petits truands juifs sentent furieusement l’Italie.
Mais peu importe ! Malgré quelques faiblesses et quelques ratés, comme la version très sirupeuse du Yesterday de Paul Mc Cartney pour (trop) marquer le retour de Noodles 35 ans après, Il était une fois en Amérique reste le chef d’œuvre de Sergio Leone ou tout au moins, ce qu’il considérait comme son chef d’œuvre, bien que Il était une fois dans l’ouest soit beaucoup plus apprécié de nos jours et, au moins aussi abouti.
Sergio Leone nous délivre son message : ce film, c’est sa Recherche du temps perdu. A Moe qui lui demande : « Qu’as-tu fait pendant toutes ces années ? », Noodles répond : « Je me suis couché de bonne heure ». C’est un peu lourd, mais c’est efficace.
Le temps joue d’ailleurs un rôle prépondérant dans le film. Il y a l’instant T, ce qu’il y avait avant, ce qu’il y aura après.
L’instant T, c’est Noodles, « stone », installé sur la natte d’une fumerie d’opium et ce sera le plan final du film. Noodles délire, il est obsédé par une sonnerie de téléphone, celle de sa trahison.
Ce qu’il y aura après, c’est son retour après 35 ans de « sommeil », ces années pendant lesquelles il s’est « couché de bonne heure », cette tranche de vie, la dernière, où il comprendra tout et, principalement, que ce n’était pas lui, le traître. Mais ce « flash forward » est-il réel ?  N’est-il pas le délire de l’opiomane de l’instant T ? Et à l’intérieur de ce « flash forward », il y aurait le « flash-back » des années vingt, quand tout a commencé.
A tous les niveaux (mise en scène, photo, montage), tout est d’une précision minutieuse.
Tout comme l’interprétation. Les rôles secondaires sont parfaits et parfaitement tenues par leurs interprètes : Danny Aiello (dont le personnage se nomme aussi Aiello), Tuesday Weld, Treat Williams, Darlanne Fluegel (dans un rôle trop court, mais qui est le premier personnage que l’on voit à l’écran dans ce film fleuve de 3h40 !), Joe Pesci (dans un rôle assez court), jusqu’au chauffeur de Deborah interprété par le producteur du film lui-même, Arnon Milchan. Et puis, il y a les rôles doubles : Peggy, Julie Cohen puis Amy Rider, Moe, Mike Monetti puis Larry Rapp, Cockeye, Adrian Curran puis William Forsythe, Patsy, Brian Bloom puis James Hayden, sans oublier le jeune Dominic qui lui, ne deviendra jamais adulte et qui est interprété par Noah Moazezi, sans oublier les deux rôles principaux, Rusty Jacobs-James Wood (Max) et Scott Tiler-Robert de Niro (Noodles) ; malgré leur peu de ressemblance entre eux, ils sont très convaincants et d’excellents interprètes.
Mais ce qui est proprement bluffant, c’est la ressemblance entre Jennifer Connelly et Elizabeth Mc Govern, les deux interprètes de Deborah.
Bien sûr, il faudrait citer les cinq scénaristes (dont Enrico Medioli, scénariste « viscontien » et Sergio Leone lui-même), mais il faudrait citer aussi le générique entier.
Faisons tout de même une petite place à part à Ennio Morricone, musicien « leonien », comme Nino Rota était « fellinien » : Morricone signe ici sa partition la plus abouti avec quatre grands thèmes principaux dont le fameux Amapola qui, il est vrai, n’est pas de lui.
Noodles est le chef de la bande, Moe est le refuge. Noodles aime Deborah. Deborah aime Noodles, mais elle est ambitieuse.
Quant à Max, le grand ami de Noodles, il passe son temps à se servir de lui, à le gruger… à le baiser, comme on dit couramment. Mais n’a-t-il pas envie de le baiser dans le sens le plus « concret » du terme ? Deborah et Max se dispute « l’affection » de Noodles, mais il semble bien que Deborah n’est pas dupe : « Allez, va ! Ta mère t’appelle » dit-elle, méprisante, à Noodles chaque fois qu’il la quitte parce que Max l’a sifflé (au propre comme au figuré). C’est une autre femme, Carol, la maîtresse « en titre » de Max qui dira à Noodles : « Et si tu ne peux pas vivre sans lui, va en prison avec lui ! ». Lors de la « passe » payé par le flic « Face de pet », Noodles est éjaculateur précoce et Max est impuissant, ce qui est, somme toute, assez révélateur.
Autre allusion à l’homosexualité, mais qui ne serait pas latente, cette fois : Moe, dit Fat Moe, le frère de Deborah, le bon gros sentimental qu’on imagine plutôt asexué. Lorsque Noodles revient, Moe, très ému congédie une sorte de giton à qui il donne de l’argent comme s’il payait une passe qu’il n’avait pas consommée. Et il va visiblement tomber dans les bras de Noodles qui le stoppe net dans son élan en lui mettant sous le nez la clef de la consigne, l’objet de ce qui pourrait bien être la trahison de Moe. Celui-ci ira remettre la clef à sa place, derrière le balancier de l’horloge qu’il fera repartir pour l’occasion. On peut imaginer qu’il l’avait arrêté 35 ans auparavant, après le départ de Noodles.
Tant au niveau du scénario que de la mise en scène chaque détail est soigné : Moe a été obligé de vendre une partie de sa salle, après les années prospères du « Speakeasy » et de la prohibition. Après que Moe l’a dit à Noodles, on voit fugitivement une porte murée. Quelques minutes plus tard, alors que nous sommes revenus en 1920, c’est par cette porte que la jeune Deborah sortira de la réserve qui lui sert de salle de répétition lorsqu’elle danse Amapola, une chanson populaire espagnole de Joseph La Calle, l’un des leitmotivs de la musique du film.
Si on reste dans cette « thèse » du futur (1968) déliré par Noodles dans la fumerie d’opium (1933), on comprend alors le sourire extatique final du jeune homme. On comprend aussi cette procession de joyeux fêtard qui, en 1968, surgissent du passé dans des voitures des années 30 pour fêter la fin de la prohibition.
Max, depuis le début s’est servi de Noodles : c’est Noodles qui a l’idée du sel pour le trafic d’alcool, c’est encore Noodles qui mène les autres (Patsy, Cockeye, Moe, Dominic) qui n’ont aucun rapport d’aucune sorte et à aucun moment avec Max, tout au moins jusqu’à ce que Noodles aille en prison. Et lorsque Max et Noodles se font cogner par Bugsy et sa bande, Max jure qu’il tuera Bugsy, mais c’est Noodles qui va le faire.
Ce scénario-puzzle (et scénario-gigogne), laisse à chacun sa propre possibilité d’interprétation. Dans ce cas, le sourire final de Noodles en dit long : fort de ce qu’il a « vu » dans l’avenir, au bout du compte, c’est lui qui a baisé Max.
18 avril 2020
Il n’est jamais inutile de revoir les grands films. Certaines fois, un moment d’inattention nous fait passer à côté d’un plan court, mais signifiant, ou d’une courte réplique très importante, mais dont on ne se souviendra pas.
Ici, lorsque Fat Moe demande à Noodles ce qu’il a fait depuis trente ans, celui-ci répond qu’il « [s’est] couché de bonne heure ». En fait, il m’a fallu revoir le film une quatrième fois dans sa version intégrale pour comprendre qu’en fait, il était tout simplement tueur à gages, ce qui explique que le « sénateur Baylet » n’a eu aucun de mal à le retrouver.
Lorsqu’on revoit un film aussi foisonnant que l’œuvre ultime (et sublime) de Leone, il y a, ce qui nous avait échappé, certes par distraction, mais également par ignorance… de ce qui se passera plus tard dans le film et que, bien évidemment, on ne peut pas deviner.
C’est encore plus vrai dans un film comme celui-ci où la chronologie est tout de même très bousculée (1933, 1968, puis en 1920 et des allers-retours 1933/1968 jusqu’au final en 1968 dans lequel 1933 fait une importante incursion).
Lors de la sortie américaine, les États-Uniens, souvent bas de plafond lorsqu’ils n’ont pas affaire à une chronologie linéaire, ont massacré le film dans une version de 139 minutes (au lieu des 221 minutes du DVD européen) dans laquelle les gougnafiers de la Warner ont tout remonté selon une stricte chronologie qui, d’après ceux qui l’ont vu, rendait le film parfaitement incompréhensible.
Pour parachever le massacre, Ennio Morricone n’était même pas cité au générique ce qui a empêché sa probable nomination aux Oscars, course qu’il aurait bien pu remporter.
Mais il est vrai que chez les pudibonds américains, un film, au bout du compte, très latin où il est beaucoup question de « baise » et dans lequel certaines scènes importantes se passent dans des « chiottes » ne pouvait pas trouver grâce aux yeux de leurs chastes yeux et de leurs prudes oreilles.
Ici, la baise « métaphorique » aboutit souvent à une « baise pratique » … ou pas, car tous ces jeunes gens ont tout de même des rapports très… homophiles (Voir supra).
« Baisse ton pantalon et je te baiserai encore un fois ! » dit Max à Noodles lors de leur deuxième rencontre, allusion à la montre du pochard qu’il lui a volé la première fois. Carol, qui n’est encore que la « femme du joaillier », se fait « violer » par Noodles qu’elle confondra avec Max qui fera d’elle sa petite amie en titre. Et c’est à l’image des « rapports tripartites » Max/Noodles/Deborah, Max et Deborah se disputent Noodles, mais Noodles va baiser Deborah, au sens pratique ou, plus exactement, il la viole, ce qui va la briser et faire d’elle une « femme perdue » prête à se « prostituer » d’une certaine manière jusqu’à devenir une femme entretenue par… Max.
C’est dans les chiottes de Fat Moe que le vieux Noodles (en 1968) se souvient de sa jeunesse et que nous repartons en 1920 dans le premier de la série des flashes-back qui donneront sa structure au film.
C’est encore dans les chiottes que Noodles connaîtra ses premières émois sexuels, grâce à la plantureuse Peggy qui le dépucèlera réellement plus tard. C’est aussi là qu’il se réfugie pour lire (Martin Eden de Jack London), fuyant un foyer familial… dont on ne saura jamais rien.
On ne saura d’ailleurs jamais rien des familles des uns et des autres, mise à part la mère de la plantureuse Peggy (qui est ici, on peut le dire, « Peggy la cochonne ») qu’on aperçoit à peine et, surtout, Fat Moe le frère Deborah. On entrevoit également, au tout début du flash-back la mère de Max.
Car leur vraie famille, c’est eux-mêmes, ces huit personnages (mais qui ne seront plus que sept à l’âge adulte, puisque le plus jeune des gamins, Dominic, sera tué par le caïd Bugsy). On saura plus tard que le père de Max est interné psychiatrique, mais est-ce seulement vrai ou une manœuvre dont il va se servir ?
Lorsque Noodles revoit Deborah (35 ans après le viol), c’est une déesse de la scène, mais pas seulement, car elle fait de Noodles le femme de Loth : c’est en franchissant une certaine porte contre laquelle elle l’avait prévenu qu’il va se transformer en statue de sel lorsqu’il voit ce qu’il n’aurait pas dû voir.
Max est très attaché à Noodles, mais il le méprise, car il « le baise » à chaque fois… sauf peut-être à la fin.
En filigrane, il y a aussi la collusion entre la pègre et les syndicats (bien avant Hoffa), collusion qui est resté longtemps une véritable institution aux États-Unis.
J’avais oublié la scène de la « visite au tombeau » pourtant importante puisque c’est là que l’histoire commence à se dénouer.
Une version de 250 minutes a été projetée à Cannes en 2012. Entre autres scènes, Noodles après qu’il a violé Deborah, va dans un bar où il fait la connaissance d’Eve, la prostituée qui devient sa petite amie, celle qui est tuée au tout début du film.
Pour terminer cette évocation, on ne peut pas ignorer ce fameux plan (devenu un plan-culte) du camion-poubelle final qui emporte le « conseiller Baylet » (il disparaît mystérieusement derrière) et qui emporte aussi… toute l’histoire !
Cette histoire qui, comme je l’avais écrit il y a près de 10 ans, au moins pour sa part « 1968 », serait un « flash forward » déliré par Noodles sous opium. J’ai appris en regardant le passionnant documentaire Il était une fois… Sergio Leone que c’était la thèse défendu par Leone lui-même.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire