****
Once
Upon a Time in America (Il était une fois en Amérique)
de Sergio Leone (1984)
Dans l’East Side, quartier juif de New York,
trois gangsters recherchent Noodles qui est accusé d’avoir « donné »
ses trois amis à la police : les trois hommes sont morts. Il y avait
Philippe Stein, dit Cockeye, Patrick Goldberg, dit Patsy, et Maximilien
Bergovicz, dit Max.
Nous
sommes en 1933 et la loi sur la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis vient
d’être abrogée.
Noodles
réussit à échapper à ses poursuivants et se rend à la gare routière où il prend
dans un casier une valise censée contenir de l’argent qui a été remplacé par de
vieux journaux. Noodles quitte New York sans un sou.
Il
revient trente-cinq ans plus tard. Il retrouve le seul de ses amis d’enfance
encore en vie Moïse, dit Fat Moe. Il se souvient de sa jeunesse, au même
endroit, en 1920.
Le
jeune David Aaronson, dit Noodles, est amoureux de Deborah, la sœur de Fat Moe.
Avec Patsy, Cockeye et Dominic, Noodles vit de petites combines qu’il fait pour
le compte de Bugsy, le caïd local. C’est alors que Max emménage dans le
quartier et se joint au groupe.
Max ne tarde
pas à persuader Noodles et le groupe de laisser tomber Bugsy et de
« s’installer à leur compte »
25 avril 2010
C’est le grand œuvre de Sergio Leone, le film qu’il
portait en lui depuis 1968, date de la réalisation de Il était une fois dans l’ouest qui l’avait propulsé dans la cour des grands.
Après la sortie de Il Buono, il brutto, il cattivo (Le Bon, la
brute et le truand), Sergio Leone, las de son étiquette de réalisateur de
westerns-spaghetti, décida qu’il ne réaliserait plus de western. Il tomba sur The Hoods, un roman de Harry Grey qui,
bien qu’il le trouvât assez médiocre, l’emballa et qui racontait l’histoire (autobiographique,
mais un peu « pipeautée » !) d’un gang de jeunes juifs
new-yorkais d’origine polonaise qui avaient fait fortune pendant la prohibition.
Il dut attendre les années 80 pour en acquérir les droits. Très sincèrement, on
pensait que Leone allait « déplacer » l’histoire du côté de
« Little Italy » (puisque la mafia d’importation italienne a eu une
certaine importance à l’époque de la prohibition – cf. un certain Al Capone…
-). Mais curieusement, les héros de Leone restèrent les petits Juifs d’Hester
Street. Là, Leone eut sans doute tort, car sa rue a beau être encombrée de
Loubavitchs avec chapeaux et papillotes et bien qu’on s’y souhaite une Joyeuse Pessah, ces petits truands juifs
sentent furieusement l’Italie.
Mais peu importe ! Malgré quelques
faiblesses et quelques ratés, comme la version très sirupeuse du Yesterday de Paul Mc Cartney pour (trop)
marquer le retour de Noodles 35 ans après, Il
était une fois en Amérique reste le chef d’œuvre de Sergio Leone ou tout au
moins, ce qu’il considérait comme son chef d’œuvre, bien que Il était une fois dans l’ouest soit
beaucoup plus apprécié de nos jours et, au moins aussi abouti.
Sergio Leone nous délivre son message :
ce film, c’est sa Recherche du temps
perdu. A Moe qui lui demande : « Qu’as-tu
fait pendant toutes ces années ? », Noodles répond : « Je me suis couché de bonne
heure ». C’est un peu lourd, mais c’est efficace.
Le temps joue d’ailleurs un rôle
prépondérant dans le film. Il y a l’instant T, ce qu’il y avait avant, ce qu’il
y aura après.
L’instant T, c’est Noodles,
« stone », installé sur la natte d’une fumerie d’opium et ce sera le
plan final du film. Noodles délire, il est obsédé par une sonnerie de
téléphone, celle de sa trahison.
Ce qu’il y aura après, c’est son retour
après 35 ans de « sommeil », ces années pendant lesquelles il s’est « couché de bonne heure »,
cette tranche de vie, la dernière, où il comprendra tout et, principalement,
que ce n’était pas lui, le traître. Mais ce « flash forward » est-il
réel ? N’est-il pas le délire de
l’opiomane de l’instant T ? Et à l’intérieur de ce « flash
forward », il y aurait le « flash-back » des années vingt, quand
tout a commencé.
A tous les niveaux (mise en scène,
photo, montage), tout est d’une précision minutieuse.
Tout comme l’interprétation. Les rôles
secondaires sont parfaits et parfaitement tenues par leurs interprètes :
Danny Aiello (dont le personnage se nomme aussi Aiello), Tuesday Weld, Treat
Williams, Darlanne Fluegel (dans un rôle trop court, mais qui est le premier
personnage que l’on voit à l’écran dans ce film fleuve de 3h40 !), Joe
Pesci (dans un rôle assez court), jusqu’au chauffeur de Deborah interprété par
le producteur du film lui-même, Arnon Milchan. Et puis, il y a les rôles
doubles : Peggy, Julie Cohen puis Amy Rider, Moe, Mike Monetti puis Larry
Rapp, Cockeye, Adrian Curran puis William Forsythe, Patsy, Brian Bloom puis
James Hayden, sans oublier le jeune Dominic qui lui, ne deviendra jamais adulte
et qui est interprété par Noah Moazezi, sans oublier les
deux rôles principaux, Rusty Jacobs-James Wood (Max) et Scott Tiler-Robert de
Niro (Noodles) ; malgré leur peu de ressemblance entre eux, ils sont très
convaincants et d’excellents interprètes.
Mais ce qui est proprement bluffant,
c’est la ressemblance entre Jennifer Connelly et Elizabeth Mc Govern, les deux
interprètes de Deborah.
Bien sûr, il faudrait citer les cinq
scénaristes (dont Enrico Medioli, scénariste « viscontien » et Sergio
Leone lui-même), mais il faudrait citer aussi le générique entier.
Faisons tout de même une petite place à
part à Ennio Morricone, musicien « leonien », comme Nino Rota était
« fellinien » : Morricone signe ici sa partition la plus abouti
avec quatre grands thèmes principaux dont le fameux Amapola qui, il est vrai, n’est pas de lui.
Noodles est le chef de la bande, Moe
est le refuge. Noodles aime Deborah. Deborah aime Noodles, mais elle est
ambitieuse.
Quant à Max, le grand ami de Noodles,
il passe son temps à se servir de lui, à le gruger… à le baiser, comme on dit
couramment. Mais n’a-t-il pas envie de le baiser dans le sens le plus
« concret » du terme ? Deborah et Max se dispute
« l’affection » de Noodles, mais il semble bien que Deborah n’est pas
dupe : « Allez, va !
Ta mère t’appelle » dit-elle, méprisante, à Noodles chaque fois qu’il
la quitte parce que Max l’a sifflé (au propre comme au figuré). C’est une autre
femme, Carol, la maîtresse « en titre » de Max qui dira à
Noodles : « Et si tu ne peux
pas vivre sans lui, va en prison avec lui ! ». Lors de la
« passe » payé par le flic « Face de pet », Noodles est
éjaculateur précoce et Max est impuissant, ce qui est, somme toute, assez
révélateur.
Autre allusion à l’homosexualité, mais
qui ne serait pas latente, cette fois : Moe, dit Fat Moe, le frère de
Deborah, le bon gros sentimental qu’on imagine plutôt asexué. Lorsque Noodles
revient, Moe, très ému congédie une sorte de giton à qui il donne de l’argent
comme s’il payait une passe qu’il n’avait pas consommée. Et il va visiblement
tomber dans les bras de Noodles qui le stoppe net dans son élan en lui mettant
sous le nez la clef de la consigne, l’objet de ce qui pourrait bien être la
trahison de Moe. Celui-ci ira remettre la clef à sa place, derrière le
balancier de l’horloge qu’il fera repartir pour l’occasion. On peut imaginer
qu’il l’avait arrêté 35 ans auparavant, après le départ de Noodles.
Tant au niveau du scénario que de la
mise en scène chaque détail est soigné : Moe a été obligé de vendre une
partie de sa salle, après les années prospères du « Speakeasy » et de
la prohibition. Après que Moe l’a dit à Noodles, on voit fugitivement une porte
murée. Quelques minutes plus tard, alors que nous sommes revenus en 1920, c’est
par cette porte que la jeune Deborah sortira de la réserve qui lui sert de
salle de répétition lorsqu’elle danse Amapola,
une chanson populaire espagnole de Joseph La Calle, l’un des leitmotivs de la
musique du film.
Si on reste dans cette
« thèse » du futur (1968) déliré par Noodles dans la fumerie d’opium
(1933), on comprend alors le sourire extatique final du jeune homme. On
comprend aussi cette procession de joyeux fêtard qui, en 1968, surgissent du
passé dans des voitures des années 30 pour fêter la fin de la prohibition.
Max, depuis le début s’est servi de
Noodles : c’est Noodles qui a l’idée du sel pour le trafic d’alcool, c’est
encore Noodles qui mène les autres (Patsy, Cockeye, Moe, Dominic) qui n’ont
aucun rapport d’aucune sorte et à aucun moment avec Max, tout au moins jusqu’à
ce que Noodles aille en prison. Et lorsque Max et Noodles se font cogner par
Bugsy et sa bande, Max jure qu’il tuera Bugsy, mais c’est Noodles qui va le
faire.
Ce scénario-puzzle (et scénario-gigogne), laisse à
chacun sa propre possibilité d’interprétation. Dans ce cas, le sourire final de
Noodles en dit long : fort de ce qu’il a « vu » dans l’avenir,
au bout du compte, c’est lui qui a baisé Max.
18 avril 2020
Il
n’est jamais inutile de revoir les grands films. Certaines fois, un moment
d’inattention nous fait passer à côté d’un plan court, mais signifiant, ou
d’une courte réplique très importante, mais dont on ne se souviendra pas.
Ici, lorsque Fat Moe demande à Noodles
ce qu’il a fait depuis trente ans, celui-ci répond qu’il « [s’est]
couché de bonne heure ». En fait, il m’a fallu revoir le film une
quatrième fois dans sa version intégrale pour comprendre qu’en fait, il était
tout simplement tueur à gages, ce qui explique que le « sénateur
Baylet » n’a eu aucun de mal à le retrouver.
Lorsqu’on revoit un film aussi
foisonnant que l’œuvre ultime (et sublime) de Leone, il y a, ce qui nous avait
échappé, certes par distraction, mais également par ignorance… de ce qui se
passera plus tard dans le film et que, bien évidemment, on ne peut pas deviner.
C’est encore plus vrai dans un film
comme celui-ci où la chronologie est tout de même très bousculée (1933, 1968,
puis en 1920 et des allers-retours 1933/1968 jusqu’au final en 1968 dans lequel
1933 fait une importante incursion).
Lors de la sortie américaine, les
États-Uniens, souvent bas de plafond lorsqu’ils n’ont pas affaire à une
chronologie linéaire, ont massacré le film dans une version de 139 minutes (au
lieu des 221 minutes du DVD européen) dans laquelle les gougnafiers de la
Warner ont tout remonté selon une stricte chronologie qui, d’après ceux qui
l’ont vu, rendait le film parfaitement incompréhensible.
Pour parachever le massacre, Ennio
Morricone n’était même pas cité au générique ce qui a empêché sa probable
nomination aux Oscars, course qu’il aurait bien pu remporter.
Mais il est vrai que chez les pudibonds
américains, un film, au bout du compte, très latin où il est beaucoup question
de « baise » et dans lequel certaines scènes importantes se passent
dans des « chiottes » ne pouvait pas trouver grâce aux yeux de leurs
chastes yeux et de leurs prudes oreilles.
Ici, la baise « métaphorique »
aboutit souvent à une « baise pratique » … ou pas, car tous ces
jeunes gens ont tout de même des rapports très… homophiles (Voir supra).
« Baisse ton pantalon et je te
baiserai encore un fois ! »
dit Max à Noodles lors de leur deuxième rencontre, allusion à la montre du
pochard qu’il lui a volé la première fois. Carol, qui n’est encore que la
« femme du joaillier », se fait « violer » par Noodles
qu’elle confondra avec Max qui fera d’elle sa petite amie en titre. Et c’est à
l’image des « rapports tripartites » Max/Noodles/Deborah, Max et
Deborah se disputent Noodles, mais Noodles va baiser Deborah, au sens pratique
ou, plus exactement, il la viole, ce qui va la briser et faire d’elle une
« femme perdue » prête à se « prostituer » d’une certaine
manière jusqu’à devenir une femme entretenue par… Max.
C’est dans les chiottes de Fat Moe que
le vieux Noodles (en 1968) se souvient de sa jeunesse et que nous repartons en
1920 dans le premier de la série des flashes-back qui donneront sa structure au
film.
C’est encore dans les chiottes que
Noodles connaîtra ses premières émois sexuels, grâce à la plantureuse Peggy qui
le dépucèlera réellement plus tard. C’est aussi là qu’il se réfugie pour lire (Martin
Eden de Jack London), fuyant un foyer familial… dont on ne saura jamais
rien.
On ne saura d’ailleurs jamais rien des
familles des uns et des autres, mise à part la mère de la plantureuse Peggy
(qui est ici, on peut le dire, « Peggy la cochonne ») qu’on aperçoit
à peine et, surtout, Fat Moe le frère Deborah. On entrevoit également, au tout
début du flash-back la mère de Max.
Car leur vraie famille, c’est eux-mêmes,
ces huit personnages (mais qui ne seront plus que sept à l’âge adulte, puisque
le plus jeune des gamins, Dominic, sera tué par le caïd Bugsy). On saura plus
tard que le père de Max est interné psychiatrique, mais est-ce seulement vrai
ou une manœuvre dont il va se servir ?
Lorsque Noodles revoit Deborah (35 ans
après le viol), c’est une déesse de la scène, mais pas seulement, car elle fait
de Noodles le femme de Loth : c’est en franchissant une certaine porte
contre laquelle elle l’avait prévenu qu’il va se transformer en statue de sel
lorsqu’il voit ce qu’il n’aurait pas dû voir.
Max est très attaché à Noodles, mais il
le méprise, car il « le baise » à chaque fois… sauf peut-être à la
fin.
En filigrane, il y a aussi la collusion
entre la pègre et les syndicats (bien avant Hoffa), collusion qui est resté
longtemps une véritable institution aux États-Unis.
J’avais oublié la scène de la
« visite au tombeau » pourtant importante puisque c’est là que l’histoire
commence à se dénouer.
Une version de 250 minutes a été
projetée à Cannes en 2012. Entre autres scènes, Noodles après qu’il a violé
Deborah, va dans un bar où il fait la connaissance d’Eve, la prostituée qui
devient sa petite amie, celle qui est tuée au tout début du film.
Pour terminer cette évocation, on ne
peut pas ignorer ce fameux plan (devenu un plan-culte) du camion-poubelle final
qui emporte le « conseiller Baylet » (il disparaît mystérieusement
derrière) et qui emporte aussi… toute l’histoire !
Cette histoire qui, comme je l’avais
écrit il y a près de 10 ans, au moins pour sa part « 1968 », serait
un « flash forward » déliré par Noodles sous opium. J’ai appris en
regardant le passionnant documentaire Il était une fois… Sergio Leone
que c’était la thèse défendu par Leone lui-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire