mercredi 6 mai 2020

La Main du diable


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La Main du diable (1943) de Maurice Tourneur
 Dans un hôtel de montagne en Haute Savoie, c’est l’heure du dîner. Comme tous les soirs, le docteur va « régaler » l’assistance d’une histoire effrayante comme il aime en raconter.
C’est alors qu’on entend des coups de feu. Un homme, manchot, qui semble poursuivi, arrive à l’hôtel. Il tient un coffret sous le bras. Mais peu après, alors que le courant a été coupé, le coffret lui est volé.
L’homme raconte son histoire.
Un peu plus d’un an auparavant, Roland Brisseau, peintre bohème un peu raté, vit (très) mal de la vente de ses toiles.
Il fait la connaissance d’Irène dans une boutique de gants. Mais la jeune femme est ambitieuse et, après une dispute dans un restaurant, elle le quitte. Le patron du restaurant propose alors à Roland de lui vendre un talisman, une main dans un coffret.


Quand on parle des majors américaines de l’âge d’or d’Hollywood, on parle d’une patte pour chaque compagnie : la M.G.M., major des majors, c’est le prestige, le grand spectacle. La Fox, c’est le film attendu, l’évènement ou l’adaptation d’un livre célèbre, la Paramount, c’est la comédie ou l’exotisme, la Warner, ça peut être le « musical », le film social ou le film noir, alors que la RKO, c’est un mélange de tout : comédie, polar, musical, etc…
De plus, chaque major avait ses stars.
D’une certaine manière, en France occupée, la société de production franco-allemande qui produisit entre 1940 et 1944 une trentaine de films, avait aussi son « esprit », ou, tout au moins et selon le « docteur » Goebbels, ministre du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, aurait dû avoir son « esprit » : « Des films légers, vides et, si possible, stupides » qui permettraient de ne pas « développer [le] nationalisme [français] ».
Le statut très spécial de la Continental permit de passer outre la censure de Vichy… puisqu’elle n’y était pas soumise. Des auteurs à l’index (comme Zola) y furent adaptés, des sujets, considérés comme « scabreux » chez Pétain, y furent traités et, un comble pour une société franco-allemande de l’époque, des juifs y travaillèrent (Jean-Paul Le Chanois est le co-scénariste de La Main du diable). Du coup, les désidératas du docteur Goebbels restèrent lettres mortes. L’Assassinat du père Noël, Le Dernier des six, Premier rendez-vous, La Symphonie fantastique, Les Inconnus dans la maison ou L’Assassin habite au 21 ainsi que des films un peu plus « sulfureux » : Au bonheur des dames (Zola, même édulcoré !) et, surtout, Le Corbeau, furent des productions Continental.
Evidemment, dans tous ces films, il n’est jamais fait allusion à l’occupation, à la guerre et aux restrictions : cependant, en filigrane, il est toujours fait allusion aux repas et une des premières répliques du film est : « Clémence, prends des pruneaux ; tu sais pourquoi ! » lancé par une bonne mère de famille bourgeoise à sa fille, alors que tout le monde se plaint de la récurrence des pruneaux dans les menus des repas de cette pension de famille. Et on connaît les vertus purgatives du pruneau !
La Main du diable est considéré, à juste titre, comme l’un des fleurons de la Continental.
Adapté d’un conte de Gérard de Nerval, il raconte comment un peintre, à priori pas très bon, va tenir tête et même vaincre le diable « en personne » selon le principe qu’« on ne peut pas vendre ce qui ne vous appartient pas. Même le diable ne le peut pas ! ». Si ce n’était tragique, on pourrait rire du parallèle avec ce qui se passait à l’époque !

Rappelons tout de même qu’en dehors des faits de guerre, les pays collaborateurs étaient « dirigés » par des voyous mis en place par les nazis, d’autres voyous et qu’il était de bon ton de piller tous les biens qui passaient à proximité aux motifs que leurs légitimes propriétaires étaient opposés au pouvoir et à la mainmise des Allemands ou simplement parce qu’ils étaient Juifs.
Néanmoins, on ne saurait blâmer ce film qui est un chef d’œuvre à plus d’un titre : le scénario ne comporte aucune faille (ce qui est rare dans une histoire fantastique qui doit avoir sa propre logique), il est bien mené, remarquablement réalisé et remarquablement interprété par une bonne partie du fleuron du cinéma français de l’époque.
Josseline Gael est Irène, la compagne de Roland Brisseau, sa muse et son mauvais ange puisque c’est pour elle qu’il accepte la main et qu’il refuse, un peu plus tard de s’en séparer. Pour une raison qu’on ne comprend pas bien, elle tentera de le sauver, mais le paiera de sa vie. Josseline Gael connut, elle aussi, un destin tragique : délaissant Jules Berry, son mari depuis quelques années, elle devient la maîtresse d’un truand lyonnais qui « travaille » avec la Gestapo. Le bonhomme sera fusillé à la libération et la comédienne échappera au peloton grâce au témoignage de Jules Berry, mais ne retournera jamais et mourra dans une maison de retraite en Charente, oubliée de tous.
Dans les rôles secondaires, on croise Noël Roquevert, Georges Chamarat, Robert Vattier, Louis Salou, Antoine Balpêtré, Gabrielle Fontan… et bien d’autres qu’on pouvait voir dans les films de l’époque.
J’ai gardé pour la bonne bouche le délicieux Palau, ce diable malicieux qui « ressemble à un notaire de province ».
Roland Brisseau, c’est Pierre Fresnay qui sera l’interprète de pas mal de film de prestige de la Continental (à commencer par le fameux Corbeau de Clouzot).
Maurice Tourneur, père de Jacques Tourneur, eut une carrière assez singulière ou plutôt, trois carrières : une première carrière française qui dura deux ans, de 1912 à 1914.
Envoyé par son employeur, la société Eclair, aux Etats-Unis, il réalisera beaucoup de films de prestige (la première version du Dernier des Mohicans, entre autres) et y restera jusqu’en 1926.
Après un détour en Allemagne en 1927, il reviendra en France pour entamer sa troisième carrière, entièrement française et parlante, période pendant laquelle il réalisera quelques chefs d’œuvre comme Koegnismark, Samson, Cécile est morte, Volpone, son film le plus connu, et cette Main du diable.
Les réussites françaises dans le domaine du cinéma fantastique sont assez rares pour qu’on s’y arrête.
La scène la plus fameuse et la plus belle du film est celle de « l’histoire de la main » à travers les âges qui ira d’un mousquetaire de Louis XIII à Roland Brisseau. L’image et surtout le décor nous évoquent certaines scènes fantasmagoriques ou oniriques qu’on retrouvera plus tard chez Hitchcock, par exemple le rêve de Spellbound décoré par Salvadore Dali.
A part cette main fantomatique qui bouge dans son coffret, rien n’est montré : c’est presque un lieu commun de dire que ce qui fait peur au cinéma, c’est ce qu’on ne voit pas.
La frayeur de la voyante (Gabrielle Fontan) ou la fuite du chien de Brisseau sont plus impressionnants que n’importe quelle image horrifique.
C’était d’ailleurs la théorie, très novatrice à l’époque, défendue par un célèbre producteur américain de séries B, Val Lewton (à qui Minnelli rend hommage dans Les Ensorcelés). Et le premier succès de Val Lewton, c’est la première version de Cat People (La Féline) réalisée pour Lewton et la RKO par… Jacques Tourneur, le fils de Maurice.
Tout se retrouve !

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