jeudi 28 mai 2020

Une étoile est née (Cukor)


Une étoile est née - Film (1954) - SensCritique ****
A Star is Born (Une étoile est née) de George Cukor (1954)
(Version longue : 168mn - Version courte : 143mn)
Esther Blodgett est une toute jeune chanteuse inconnue. Elle doit se produire lors d’un gala, mais son numéro est « parasité » par la présence intempestive sur scène de Norman Maine, immense vedette de cinéma, alcoolique invétéré et, présentement, complètement saoul.

Le lendemain, Norman va chercher Esther au cabaret où elle travaille et, ébloui par son talent, l’encourage à se lancer dans le cinéma. [Esther, un peu effrayée, disparaît et Norman la cherche partout, allant jusqu’à négliger ses tournages pour la retrouver. Il la retrouve] et la remet entre les mains des studios qui en font un « produit » maison. Elle débute dans de petits rôles, mais rapidement (et avec le concours de Norman), Oliver Niles, le directeur du studio, réalise qu’il tient une grande actrice et en fait une vedette sous le nom de Vicky Lester.
Deuxième des trois versions de ce scénario (inspiré de la vie de John Barrymore, « superstar » du théâtre et du cinéma américain qui sombra dans l’alcool lorsque son « étoile » commença à palir), le film de Cukor est le plus célèbre et le plus vu. La première version signée William Wellman (mais que Cukor devait déjà réaliser) avec Janet Gaynor et Frederic March, réputée la meilleure, est pratiquement invisible[1], ce qui inciterait à la méfiance : les critiques ont une fâcheuse tendance à encenser les films qu’ils sont les seuls à avoir vu ou qu’ils prétendent avoir vu. Quant à la troisième, celle de Frank Pierson avec Barbra Streisand et Kris Kristoferson, elle a été démolie par une critique unanime ; ça ne veut pas toujours dire quelque chose, mais ça rend tout aussi méfiant.
Néanmoins, peu importe les autres versions, bonnes ou mauvaises. Celle-ci n’est sans doute pas la plus connue pour rien.
Tout d’abord, il y a le cachet Cukor, une référence absolue. Et puis il y a Judy Garland dans ce qui fut son plus beau rôle, si on excepte peut-être The Clock de Minelli et Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer. Bien sûr, tout le monde sait que Judy Garland, à l’époque, était plus proche d’un Norman Maine vieillissant et alcoolique que de la jeune et talentueuse Esther Blodgett. Mais qui peut-on lui opposer lorsqu’elle chante The Man that Got Away ou I Was Born in a Truck ?
Cukor avait la réputation, ô combien justifiée, d’être avant tout un réalisateur de femmes et on sait que c’est, entre autres, cette compétence particulière lui valut d’être débarqué du tournage d’Autant en emporte le vent sur intervention du quelconque, mais tout puissant Gable qui avait peur que ces dames (Vivien Leigh et Olivia de Havilland) lui dament le pion avec l’appui du réalisateur « féministe ».
Ici, la réputation de James Mason n’est pas en cause, mais le personnage de Norman Maine, dont Niles n’arrête pas de dire quel grand acteur il fut, nous apparaît tout de même un peu falot face à ce phénomène à l’énergie inépuisable que représente Vicki Lester. La grande qualité de Cukor semble se retourner contre lui cette fois-ci. Mais cette erreur de scénario est vite balayée par les qualités incomparables d’une mise en scène à la fois efficace et éblouissante et par la justesse de ton d’une interprétation extraordinairement homogène.
Rarement des numéros musicaux se sont insérés avec autant de bonheur dans une intrigue dramatique.
Et Cukor maîtrise le cinémascope avec une maestria plutôt rare à une époque où l’écran large n’avait pas un an d’âge.

A Star is Born : les deux versions
Version longue :        Après que Norman lui a juré qu’il ferait d’elle une vedette, Esther va rejoindre Danny pour lui faire part de son enthousiasme et de ses doutes. C’est là qu’elle décide de dire oui à Norman. Le lendemain, elle fait ses adieux à Danny qui part. Photos : Norman Maine tourne un nouveau film, mais il cherche à retrouver Esther qui a disparu. Elle habite un meublé et court le cacheton. C’est en reconnaissant sa voix dans une publicité que Norman retrouve sa trace. Photos et quelques plans :  Esther est aussi serveuse dans un Drive-In. Norman la cherche toujours. Photos : Norman et Esther se retrouvent.                                                                                  (13 minutes)
Version courte :        Après que Norman lui a juré qu’il ferait d’elle une vedette, on retrouve Esther au maquillage du studio.
Version longue :        Le soir de l’avant-première du film d’Esther, Norman, dans la voiture, lui explique quelques trucs du métier. Esther est malade avant d’arriver à la salle.           (1 mn 18 sec)
Version courte :        Après le cours de danse, Norman et Esther arrivent à l’avant-première.
Version longue :        Esther enregistre la chanson Why Am I Here for ? Norman est avec elle dans le studio. Pendant le pont orchestral de la chanson, ils décident de se marier.      (4 mn 47 sec)
Version courte :        Ils viennent au studio annoncer leurs fiançailles à Niles.
Version longue :        Esther tourne une chanson « Go and Get the Long Face » qui est un grand numéro musical de film.                                                                                                     (4 mn 11 sec)
Version courte :        Après avoir tourné la scène (qu’on ne voit pas), Esther rentre dans sa loge et craque auprès de Niles parce que Norman boit toujours.
Version longue : Juste après cette scène, Esther sort de sa loge pour tourner la scène suivante.        (42 sec - Cette scène n’existe pas dans la version courte)
Lorsque Oliver va rendre visite à Norman qui est en cure de désintoxication, le plan de son arrivée est plus long de huit secondes et un peu différent dans la version longue.
            A l’instar des « repentirs » de peintres, comparer deux versions d’un même film apprend beaucoup sur l’œuvre. Mais si, dans le domaine de la peinture, elle apprend également beaucoup sur l’artiste, dans le cas d’un film, à fortiori un film américain, on apprend pas mal sur les producteurs et les studios.
            Dans les 24 minutes et 6 secondes coupées, c’est le thème des coulisses du cinéma qui était mis en évidence : Esther connaît la galère avant la réussite et les confidences de Norman sur le métier la rendent malade. Enfin, ces scènes coupées nous montrent Esther dans un studio d’enregistrement, puis tournant un numéro musical assez long alors qu’elle craque nerveusement.
            En supprimant les allusions aux servitudes des métiers du cinéma, « ils » (La Warner Bros ?) ont également supprimé l’image du cinéma en train de se faire et, d’une certaine manière, sa grandeur. Heureusement, il semble que la version intégrale soit désormais la seule montrée.


[1] Cette note date de 2001 : le film de Wellman était ALORS invisible. Depuis 19 ans, les choses ont beaucoup changé, d’abord avec l’essor du DVD, puis avec celui des films en ligne où cette première version de A Star is Born figure en bonne place. De même que je n’ai fait aucune allusion, et pour cause, à la quatrième version de cette histoire, A Star is Born (qui, lui, n’a jamais bénéficié du titre français Une étoile est née – sauf au Québec), écrit, produit et réalisé par Bradley Cooper et interprété par le réalisateur et Lady Gaga, sorti en 2018.

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