dimanche 10 mai 2020

Play Time


Affiche de Play Time - Cinéma Passion ***
Play Time (1967) de Jacques Tati
Un groupe de touristes américains qui vient d’arriver à Orly, est transporté en ville.
Monsieur Hulot a, lui, un rendez-vous dans le quartier d’affaires où sont logées les Américaines. Mais il se perd dans les dédales de la société où il a rendez-vous et son interlocuteur ne parvient pas à le retrouver.
Il se retrouve dans une exposition d’inventions « domestiques » (portes qui claquent en silence, balais équipés de phares pour aller sous les meubles, poubelles en forme de colonne corinthienne, etc…).
En sortant de l’exposition, il rencontre un copain de régiment qui tient à lui montrer son appartement ultra-moderne.
Puis, il rencontre un autre copain de régiment qui est portier dans un restaurant chic et « ultra moderne », le Royal Garden qui est inauguré le soir-même, alors que les travaux ne sont pas tout-à-fait terminés.
Un Oscar, ça peut rendre fou !
En France, nous avons en deux exemples : en 1958, Jacques Tati obtient l’Oscar du meilleur film étranger pour Mon oncle.
L’autre cas, c’est Clouzot. La Vérité n’a pas obtenu l’oscar, mais il a fait partie des nominations. Le film a remporté un grand succès aux U.S.A. (Bardot oblige !) et les producteurs américains, toujours prêts à voler au secours du succès, décidèrent de lui offrir tout ce qu’il voulait pour son prochain film. Le budget « no limit » montera à la tête de Clouzot qui ne fera qu’entamer le tournage catastrophique de L’Enfer, un film dont il ne reste que quelques rushes et un « no making of »[1].
Play Time, même si le film ruina Tati, finit par se faire en dépit des exigences perfectionnistes du réalisateur qui fit craquer une bonne partie de l’équipe. Ce film, il le voulait parfait, il le réalisa en 70 mm, fit construire des décors pharaoniques (tout un quartier d’affaires) à l’image des décors du film Intolerance de Griffith et une myriade de petits rôles qui sont ici un peu plus que des figurants.
Je me faisais une joie de revoir Play Time. Dire que mon passé m’a « sauté à la figure comme un chien enragé »[2], serait un peu excessif !
Mais Play Time m’a un peu déçu, principalement toute la critique un peu lourde de la « modernité », une modernité qui, bon an, mal an, a dépassé ses 50 ans.
Quand on lit sous la plume d’Henry Chapier que le film est un « monumental navet », on a quand même un haut-le-cœur.
Mais la version de deux heures est peut-être un peu trop longue, principalement, comme je l’ai dit plus haut, dans sa première heure où certains gags sont quelquefois étirés, sans doute pour donner plus de poids à la critique que « Monsieur Hulot » adressait à la modernité, critique qui fait long feu.
Ça commence un peu à bouger dans l’exposition que j’appellerais « Le Concours Lépine » avec ses portes « qui ne claquent pas » (« inventées » par Reinhard Kolldehoff, le caporal allemand de La Grande vadrouille et le baron Konstantin Von Essenbeck des Damnés de Luchino Visconti) ou ces lunettes « qui permettent de se maquiller », présentée par France Rumilly (la fameuse « religieuse à la 2 CV » de la série des Gendarmes).
La scène d’ouverture à Orly (seul le plan extérieur de l’aérogare a été tourné sur place) reste superbe.
Mais le sommet du film, c’est l’inauguration du « Royal Garden », le restaurant qui ouvre alors que les travaux ne sont pas finis. On n’en finirait plus de citer les gags qui jalonnent la (longue) séquence.
Play Time, c’est avant tout un chef d’œuvre de mise en scène et on sait que Tati a failli devenir fou et rendre fou son équipe par son perfectionnisme. Peut-être n’était-il pas à même, lui le « bricoleur » de génie, de gérer le budget colossal d’une superproduction, ce qu’est Play Time, même si, au fond le film est une continuité (et non une suite) de Mon oncle dont les dimensions étaient autrement modestes.
Tati filme même des « tableaux vivants » comme dans un « split screen » (dans une séquence qui est à la base, d’après ce qu’il en a dit, du choix du format 70 mm), avec ces « appartements modernes » dans lesquels les occupants ont les yeux rivés sur la télévision, ce qui donne l’impression qu’ils s’observent l’un l’autre alors que nous voyons toute leur vie depuis la rue. Hulot échappe de justesse à la projection des « films de vacances » chez son « copain de régiment ».
C’est cette partie du film qui nous évoque les toiles les plus connues du peintre américain Hopper.
D’ailleurs, il faut bien dire que ce sont les décors qui « font » un peu le film, ces décors très coûteux que Tati a fait construire et qu’il désirait rendre pérenne pour servir à d’autres cinéastes après lui, comme ça se pratiquait pendant l’âge d’or de Hollywood : les décors des films A étaient utilisés dans les films de séries B, films qui servaient aussi à permettre à de jeunes cinéastes de « se faire la main ».
Ce Paris reconstitué fait surtout penser à la Défense sans son parvis. De Paris, on ne voit que des reflets dans les vitres (la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le Sacré Cœur). D’ailleurs, toute la première partie du film joue sur les reflets dans des vitres si bien nettoyées qu’on ne les voit pas toujours : un des personnages s’y casse le nez (au sens propre).
Alors bien sûr, on préfèrera la séquence du restaurant « Royal Garden » qui va se déglinguer au fur et à mesure de son inauguration, avec ses pannes multiples et ses chaises qui se décalquent sur les vestons. A la caisse, on reconnaît Marie-Pierre Casey (madame Pliz).
Le « carrousel final » sur la place est, en revanche, un peu lourdingue.
Mais Play Time reste un film fascinant (malgré ces quelques réserves), un des rares films produits en 70 mm en France.


[1] L’Enfer d’Henri-GeorgesClouzot de Serge Bromberg (2004)
[2] Une réplique de Lacenaire à Garance au début de la deuxième partie des Enfants du paradis

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