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The Kiss of the Spider Woman (Le Baiser de la femme-araignée)
(1985) d’Hector Babenco
Luis Molina partage sa cellule avec Valentin Arregui. Luis est en prison à la suite d’un détournement de mineur alors que Valentin est un prisonnier politique.
Dans cette sinistre prison d’un pays (imaginaire ?) d’Amérique du Sud, on mélange les prisonniers politiques avec les droits communs pour que ceux-ci soutirent des renseignements à ceux-là, renseignements qu’ils s’empressent de rapporter au directeur de la prison en échange d’une promesse de libération anticipée.
Pour passer le temps, Luis raconte à Valentin un film qu’il vénère depuis des années : l’histoire de Leni Lamaison, une très belle chanteuse de cabaret à Paris pendant l’occupation, amoureuse d’un bel officier allemand, mais qui sera détruite par les méchants résistants.
En échange de colis dont il prétend qu’ils viennent de sa mère, Luis tient le directeur au courant de tout ce que Valentin fait et, surtout, dit.
Mais Valentin, qui ne se doute apparemment de rien, ne dit rien à son compagnon de cellule.
En 1985, le film fut considéré comme l’un des films-phares du Festival de Cannes où William Hurt obtint le prix d’interprétation masculine pour sa magistrale composition du personnage de Luis. Homosexuel, seul au monde et fleur bleue, Luis se réfugie dans ce mauvais nanar pronazi qui le fait rêver et dont il se contente, estimant que lui-même ne vaut pas plus.
En filigrane, on sent la théorie « exposée » (par de nombreuses notes en bas de page) dans le roman de Manuel Puig : selon certains chercheurs très pointus dans ce domaine (mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un roman qui a trente ans), la femme homosexuelle chercherait à reproduire l’image de l’homme dominateur, brutal et avide de pouvoir alors que l’homme homosexuel, à l’inverse, se substituerait, pour séduire, à une femme soumise et dominée, loin de toute velléité révolutionnaire. Ce qui revient à dire que l’homme homosexuel est de droite et la femme homosexuelle est de gauche.
Ce point de vue, totalement caricatural, semble négliger l’immense majorité des homosexuels des deux sexes qui ne correspondent ni à la « folle tordue », ni à la « camionneuse » : voir La Rumeur de William Wyler (1961) pour les femmes ou, plus récemment, Le Secret de Brokeback Mountain d’Ang Lee (2005) pour les hommes.
Or, ces notes en bas de page, servent dans le livre de fil rouge à un récit qui ne contient aucune narration. En lui-même, le « roman » n’est qu’une suite de dialogue, le plus souvent entre Luis et Valentin, mais aussi entre Luis et ses amis dans les flashbacks, ou entre Luis, le directeur de la prison et le flic qui l’accompagne. C’est cette absence de trame narrative qui rend le roman à la fois original et captivant.
Luis appartient à la catégorie des folles qui se travestissent et habitent chez leur mère. Valentin, le prisonnier politique, intellectuel pur et dur, s’amuse des atermoiements de (vieille) jeune fille de son compagnon de cellule à qui il fera « l’aumône » d’une étreinte. Tout cela pourrait -et devrait- être assez répugnant et ramener à l’époque pas si lointaine où, d’un point de vue marxiste, on considérait l’homosexualité comme une déviance et une perversion typiquement bourgeoises.
Mais, chez Puig et plus encore chez Babenco, ce n’est pas du tout ce qu’on ressent, car le point de vue adopté est celui de Luis et c’est lui qui va inventer l’histoire de « La Femme-araignée » pour son compagnon, cette femme-araignée qui accompagnera le prisonnier politique dans la mort alors que Luis, lui, finira seul sur un trottoir où il se videra de son sang. Et ce film tout en finesse, raconte tout simplement, à la fois une histoire d’amour et une prise de conscience politique dans un des pires cadres qui puissent exister –une prison crasseuse- entre un révolutionnaire promis à la mort et un jeune homosexuel aliéné par les fantasmes qu’on lui a servi comme dérivatif et dont, au bout du compte, il finit par se délivrer, au prix de sa propre vie.
Babenco réussit ce tour de force d’une mise en scène fluide pour ce huis-clos, juste entrecoupé des scènes rêvées (par Valentin) du film raconté (par Luis). Raoul Julia (Valentin) et Sonia Braga (Leni Lamaison, Marta et la femme-araignée) sont superbes, mais la palme revient à William Hurt dans le rôle de Luis qui lui valut non seulement le prix d’interprétation à Cannes, mais également l’oscar du meilleur interprète masculin cette année-là, alors que le film était nommé dans les catégories « meilleur réalisateur », « meilleur film » et « meilleur scénario ».
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