La Bella gente (La Bella gente, les gens bien) d’Ivano de Matteo (2009)
Dans la campagne d’Ombrie, une toute jeune fille est assise sur une chaise sur le bord d’une route à la croisée d’un petit chemin qui s’enfonce dans les bois.
Un jour, Susanna, une psychologue romaine qui passe ses vacances dans sa maison de campagne en compagnie de son mari Alfredo, la voit se faire battre par un homme.
Elle décide qu’il y a urgence et envoie Alfredo « se faire racoler » par la demoiselle pour l’amener dans leur maison et la protéger. Se croyant enlevée, la jeune prostituée essaie d’abord de s’enfuir, puis se laisse amadouer.
Elle se nomme Nadja et est Ukrainienne. Susanna et Alfredo décident de la garder pour le moment, de la ramener avec eux à Rome et de lui trouver un travail.
Décidément on peut se demander ce que fument, boivent ou mangent les distributeurs français, mais leur inspiration en ce qui concerne les titres pourrait bien venir du fond d’un tonneau. Passons sur les titres originaux repris textuellement parce que, selon les critères de la cuistrerie bobo, « c’est pas pareil quand c’est traduit ! », mais comment comprendre que Four Lions se retrouve affublé du titre français (sic !) We Are Four Lions, qu’un film allemand intitulé Alle Anteren (textuellement « Tous les autres » en français) sorte sous le titre français (resic !) Everyone’s Else !
Ici, nous avons échappé à « Good People », ce qui n’est déjà pas si mal, mais « on » s’est cru obligé d’adjoindre au titre français Les Gens bien, le titre original La Bella gente.
Or, il se trouve que le titre français Les Gens bien, dans l’acception française du terme convient peut-être mieux que le titre original qui, du coup, devrait plutôt être La Gente per bene.
Car La Gente per bene, ces gens bien, ne sont pas si bien que ça.
Passé le premier moment de commisération où on fait preuve de vraie solidarité envers nos semblables qui n’ont pas la chance que nous avons eu, nous, d’être né blanc dans un pays prospère ou, comme c’est le cas ici, du « bon côté du rideau de fer », et après un moment de fierté pour le geste « merveilleux » que nous avons fait (et qui nous a très peu coûté en réalité), on réfléchit et le vieux repli raciste, nationaliste, égoïste et égotiste reprend le dessus. Sous le vernis cultureux et « humaniste », le bobo cache souvent un « beauf » ce qui en fait un bobof (comme beurre-œufs-fromages).
Ici, ils sont gratinés ces « bobofs » : un couple très uni, lui architecte, elle psychologue « investie dans l’humanitaire », qui ne supporte pas la misère du monde, à tel point qu’elle est absolument incapable d’en prendre sa part pour la soulager un peu.
Le film est tout rose jusqu’à l’arrivée du fils et de sa compagne Flaminia. Celle-ci, par son refus de cette « pute » (« Ces filles de l’est, on sait ce qu’elles viennent chercher !... »), est tout de suite identifiée comme la garce, la petite bourgeoise merdeuse qui tient des propos ignobles… qu’on retrouve dans la bouche de Susanna à la fin du film. Tant qu’il s’agit de Flaiminia et de Fabrizio (le copain beauf « berlusconien » et sa greluche un peu conne), on reste dans le rose. On ne commence à virer dans le gris que lorsque Susanna fait remarquer à Nadja qu’elle n’avait pas à se baigner dans la piscine de Fabrizio, alors que tout le monde l’en invitait. Bien entendu, lorsque cette « pauvre victime » se « dévictimise », lorsqu’elle est sortie de son carcan pour redevenir une femme libre, on lui fait remarquer qu’elle n’a tout de même pas tous les droits (se baigner dans une piscine, coucher avec un jeune homme dont elle commence à tomber amoureuse alors que c’est lui qui a commencé à lui faire du rentre dedans…) et qu’elle a même des devoirs comme servir de boniche à ses « bienfaiteurs ».
Donc « cette petite pute » commence à embarrasser tout le monde : Giulio, le fils si honnête qui ne pensera qu’à se débiner une fois sa petite affaire faite et surtout, Susanna qui s’avèrera être la pire de tous et qui profitera d’une étreinte amicale et paternelle de la part d’Alfredo pour « enfin » se lâcher et montrer son vrai visage.
Alfredo sera le dernier et même s’il reste un personnage avec lequel on est en empathie, il n’en est pas moins assez lamentable lorsqu’il accompagne Nadja à la gare. Très habilement, Ivano de Matteo ne nous montre pas la gare et, symboliquement, on a l’impression qu’Alfredo dépose la jeune fille là où il l’avait « ramassée », à ce carrefour, sur cette petite chaise.
Cette habileté de réalisation, on la retrouve tout en finesse, par touche, tout le long du film. Peut-être un peu trop en finesse. Le film accroche tout de suite, il plait : l’Italie, le soleil, cette jolie maison de campagne et ce couple nous éblouissent, comme ils éblouissent Nadja qui met un certain temps à réaliser qu’on lui reproche tout ce qui se déglingue.
Du coup, on est un peu agacé par la candeur de cette fille qui, certes, est très jeune, mais en a probablement assez vu pour avoir, sinon le cuir tanné, tout au moins la conscience du fait qu’elle servira de bouc émissaire. Comme Nadja commence à tous les agacer, du coup, c’est le film qui commence à nous agacer. On aimerait qu’il soit un peu moins consensuel, plus agressif et que Nadja ait la gnac de Tatiana, la jeune slovaque qui se faisait épouser par Michel Aumont dans Les Invités de mon père, la gnac de ceux qui doivent lutter pour simplement survivre. Et puis, l’intérêt faiblit jusqu’à disparaître, mais rejaillit brusquement lorsque Nadja est mise à la porte, mais « per bene », si proprement avec cette enveloppe contenant l’adresse de celui à qui on refile « la patate chaude » et un peu d’argent. Très intelligemment, Nadja jettera l’adresse, mais gardera l’argent avant de se remaquiller un peu en montant dans le train pour un voyage au terme duquel elle trouvera un autre carrefour et une autre petite chaise : mais la pauvre jeune fille abusée du début s’est transformée grâce à cette famille « per bene » en vraie pute qui sait que « la gente per bene » est là pour payer et rien d’autre.
Antonio Catania (Alfredo), Elio Germano (Giulio) et tous les autres interprètes sont parfaits et parfaitement dirigés par de Matteo (lui-même comédien), mais les plus remarquables sont Victoria Larchenko (Nadja) et surtout Monica Guerritore, admirable comédienne qui nous donne de Susanna un portrait tout en finesse et femme d’une beauté extraordinaire, ce qui ne gâte rien, mélange d’Ingrid Bergman et d’Alida Valli.
Un film à voir et qu’on doit laisser murir pour l’apprécier à sa juste valeur.
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