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38 témoins (2012) de Lucas Belvaux
Dans une rue déserte du Havre, à trois heures du matin, une jeune femme qui vient de déposer son vélo est sauvagement poignardée à plusieurs reprises.
Et à chaque reprise, elle hurle. Elle pousse même plusieurs hurlements, mais personne n’intervient.
Terré chez lui, Pierre Morvand qui est rentré il y a peu de son travail (il est pilote de remorqueur) entend les cris, mais ne réagit pas plus que ses voisins.
Au matin, alors que la police a bouclé la rue, Louise Morvand, la femme de Pierre, rentre d’un voyage professionnel en Chine et apprend la mort de la jeune femme.
Auguste Perret est l’architecte célébrissime du théâtre des Champs Elysées qu’il dessina en 1913. Après la seconde guerre mondiale, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme lui confia, entre autres, la reconstruction de centre-ville du Havre.
C’est là que Lucas Belvaux a situé l’action de son film, adapté du roman de Didier Decoin Est-ce ainsi que les femmes meurent ? qui se passait, lui, à New York comme le fait divers dont il est inspiré et qui s’est déroulé en 1964.
Je ne suis jamais allé au Havre, mais j’ai souvent vu d’autres villes de province, de ces grandes rues résidentielles, des « blocks à l’américaine, tout en fenêtre, dont le rez-de-chaussée en arcades sert de trottoir, des rues larges, grises, un peu tristes, voire sinistres surtout pour une fille seule à trois heures du matin.
Un décor parfait, donc : une large rue où les bruits résonnent, des fenêtres innombrables d’où l’on peut tout voir, une ville portuaire où tout peut se passer, un quartier bourgeois où tout est caché. Il eut peut-être fallu une ambiance à la Simenon. Certains critiques ont d’ailleurs évoqué les deux versions cinéma des Fiançailles de Monsieur Hire, Panique de Julien Duvivier et Monsieur Hire de Patrice Leconte.
Jusque là, le film est presque parfait. L’intérieur froid d’un appartement froid dans l’immeuble froid d’un quartier froid : dans cet appartement, aussi chaleureux qu’une chambre de Formule 1, mais en beaucoup plus cher, la salle de bains est à peine entrevue et on ne voit pas de cuisine. Tout contribue à se sentir envahi d’un cafard pas possible. On pense à Depardieu dans Buffet froid qui gardait son manteau chez lui, ce que sa femme lui faisait remarquer : « Retire donc ton manteau : t’as l’air de juste être de passage !... » et il lui répondait : « On est toujours de passage ! »
Malheureusement, Belvaux a voulu mettre l’histoire du couple au centre de son film et, qui plus est, il leur fait se répéter qu’ils s’aiment alors qu’ils ressemblent seulement à deux étrangers qui ont pris un appartement en co-location. Du coup, le vrai sujet (la lâcheté de la foule) est complètement escamoté au profit de l’histoire sans intérêt de la désagrégation d’un couple auquel on ne croit jamais : on passe de Leconte à Antonioni et, comme dans La Nuit, on commence à s’ennuyer.
Yvan Attal et Sophie Quinton sont parfaits, ainsi que Nicole Garcia, mais ce sont leurs personnages qui ne collent pas au milieu de ce scénario totalement déséquilibré qui laisse une enquête sociologique pourtant bien engagée pour emprunter le chemin bourbeux du drame sentimental.
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