Grave (2016) de Julia Ducournau
Justine est végétarienne et fille de végétariens.
Elle arrive à l’École Vétérinaire pour entamer sa première année. Elle retrouve sa sœur Alexia qui est également à l’École, mais depuis quelques années.
Lors de sa première soirée, elle subit, comme tous les nouveaux arrivants, un bizutage en règle. Le lendemain, comme tous les bizuths, on la contraint à manger un rein de lapin cru.
Elle va devenir de plus en plus troublée par toute cette ambiance « carnée ».
En 1973, L’Exorciste sortait sur les écrans parisiens, auréolé d’une réputation sulfureuse de film ayant provoqué dans les salles aux États-Unis scènes de panique, vomissements et autres évanouissements ou scène d’hystérie.
Mal m’en a pris à l’époque : je suis allé voir le film avec des amis et j’ai bel et bien failli m’évanouir… d’ennui !
Plus de quarante ans plus tard, les médias ont bien tenté de nous refaire le coup pour le premier long métrage de Julia Ducournau, mais fort heureusement, pour elle et pour le film, ça n’a pas marché ! Grave est un film autrement plus sérieux que la guignolade de William Friedkin dont on ne retient, finalement, que la purée Saint Germain, la tête tournée à 180° et… « Ta mère suce des bites en enfer ! ».
Ici, la réalisatrice a prénommé son héroïne Justine, comme celle de Sade. Et comme celle de Sade, c’est une jeune fille frêle. De plus, issue d’une famille végétarienne, elle est végétarienne elle-même : dans la séquence d’ouverture qui se situe dans un « restauroute », elle trouve une boulette de viande dans sa purée et sa mère fait un scandale (« Tu aurais pu la manger ! » éructe la mère épouvantée, comme s’il y avait eu de la strychnine dedans !). Avec ces gens-là, Justine partage « les liens du sang » comme sa sœur Alexia qu’elle va retrouver à l’École Vétérinaire où elle rentre en première année.
Julia Ducournau réalise ici son premier long métrage et elle revendique haut et fort sa filiation avec David Cronenberg et, surtout, avec le cinéma « de genre », cette expression à laquelle, décidément, je ne me ferai jamais.
De plus, je ne suis pas totalement d’accord avec ce « classement » de Grave dans la catégorie « film d’horreur », même si la réalisatrice le revendique : on pense plus au grandiose Salò ou les 120 journées de Sodome (encore Sade !) de Pasolini.
Le soir même de son arrivée à l’École Vétérinaire, Justine doit subir le bizutage et l’épreuve « horrifique » sera pour elle un révélateur. Et on ressent avec beaucoup plus de violence les scènes de bizutage que les scènes de cannibalisme. Julia Ducournau le dit : « Du bizutage au cannibalisme, [c’est] une violence factice [qui] engendre une violence réelle ».
Et la frêle végétarienne deviendra une redoutable prédatrice. Il faut dire qu’elle ignore totalement que sa sœur est comme elle, ainsi, d’ailleurs, que leurs parents et toute cette famille bourgeoise et bien-pensante, « propre sur elle » et qui s’affiche « végétarienne »
L’atavisme cannibale évoque également Cat People (version Schrader) et on y pense d’autant plus dans ses rapports avec son meilleur ami, Adrien qui, lui, est homosexuel, puisque des rapports sexuels entre eux seraient dangereux.
Et c’est ce qui fait que ce film est remarquable et bien plus inquiétant que le film d’horreur classique ou le « gore » souvent ridicule, voire risible. Grave est une histoire de vampire, mais d’un vampire qui fait très peur parce qu’il n’a pas de longues dents, ni les yeux injectés de sang : il a un visage d’ange et il est mortel, comme vous, comme moi…
Garance Marillier est plus qu’excellente, elle est impressionnante : pour trouver un point de comparaison, il faut aller du côté d’Isabelle Adjani dans Possession (revendiqué par la réalisatrice) ou de Sissy Spacek dans Carrie. Et elle est excellemment entourée par Ella Rumpf (Alexia) et Rabah Naït Oufella (Adrien).
Le film installe la gêne de façon remarquable : dans ce que nous appellerons « la première scène de cannibalisme », la scène où Justine mange le doigt de sa sœur, on se prend à avoir peur qu’elle se fasse repérer. Et dans la première scène du film, celle de l’accident de voiture « provoqué » dont on ne sait s’il s’agît d’un flashforward ou d’un flashback, le trouble est présent, dès le départ.
Choisir le cannibalisme pour un premier long métrage, c’est un signe de courage… ou d’inconscience, car le cannibalisme, c’est peut-être le dernier tabou : ça ne fait pas horreur, ça met juste très mal à l’aise. Et c’est ce que dit Julia Ducournau : « J’ai voulu déranger les gens, très certainement, mais pas leur faire peur. »
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