Les Bienheureux (2017) de Sofia Djama
Au tout début des années 2000, les intellectuels algérois « de gauche » sont désabusés. La fin de la guerre civile au cours de laquelle ils avaient lutté contre les Islamistes a laissé un pays exsangue, mais toujours aussi « bigot ».
Amal et Samir fêtent leur vingtième anniversaire de mariage. Ils doivent aller prendre l’apéritif chez des amis, puis dîner au restaurant.
Mais le couple se déchire : Samir voudrait voir leur fils Fahim rester en Algérie alors qu’Amal voudrait qu’il parte en France « pour s’en sortir ».
Fabien, lui, veut bien n’importe quoi pourvu que ça ne convienne ni à son père, ni à sa mère.
La guerre civile algérienne dura près de onze ans de 1991 à 2002. Le film se situe juste après. Mais comme toutes les guerres, celle-ci a meurtri le pays et laisser des cicatrices.
Comme toujours et comme partout, l’Algérie a été victime à la fois du sabre et du goupillon. En général, quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Ici, non seulement c’était les deux, mais c’était l’un contre l’autre. Et le pays, sa très faible démocratie et sa population civile (pas exclusivement algérienne : les moines de Tibberine en sont le tragique exemple), ne s’en sont remis ni au début du siècle, ni maintenant.
Certes, c’est l’armée qui a gagné cette guerre (on pourrait dire « sale guerre », mais dans la mesure où il n’existe pas de « guerre propre »…), mais les « curés » n’ont pas perdu pour autant. Son emprise sur la jeunesse (à part égale avec le chichon) est là pour nous dire que « la bête » n’est pas morte.
Le film montre ça très bien à travers le personnage de Reda, le « croyant » qui se fait tatouer une sourate, ce qui choque les « plus croyants que lui », car ce qui caractérise tous ces cons de bigots, c’est qu’il s’agit d’être plus religieux que l’autre : comme toujours, on peut remplacer le mot « religieux » par « taré » !
Feriel, la fille libérée, la bonne copine déteste visiblement la religion : il doit probablement y avoir un lien avec la guerre et avec cette cicatrice qu’elle a au cou et qu’elle cache farouchement.
Le trio de jeunes (Fahim, Reda et Feriel) représente l’Algérie moderne : Fahim qui renie l’héritage des anciens, Reda, bien parti pour devenir un intégriste (qu’il ne deviendra pas) et Feriel, la fille moderne qui se moque de la religion, mais qui cache sa (ses) blessure(s) qui n’est pas que physique.
De l’autre côté, nous avons les adultes Samir et Amal : il veut que son fils reste en Algérie pour assurer l’avenir de son pays, ce qu’il n’a pas pu faire, elle veut que son fils aille en France pour assurer son propre avenir. Ils sont tous deux militants « de gauche » : ils refusent la discrimination hommes-femmes (ce qui leur vaudra de ne pas trouver de restaurant), elle est militante et lui, médecin, pratique des avortements militants (farouchement interdits par la religion et donc, par la loi), ils écoutent tous les deux (et avec leurs amis) du Léo Ferré qui n’est probablement pas un chanteur très apprécié dans l’Algérie bigote du film (qui doit probablement être également celle d’aujourd’hui).
Le scénario est d’une grande finesse et d’une grande force. Et la réalisation fait la part belle à Alger la nuit, une ville belle qui peut devenir dangereuse avec ses religieux (encore eux !) et ses flics ripoux, mais très susceptibles.
Un film très sérieux qui ne va pas (toujours) où on l’attend.
C’est aussi un film très bien interprété par tous, mais dont nous citerons, bien sûr, les cinq personnages centraux : Sami Bouajila et Nadia Kaci, les « deux adultes » et Amine Lansari (Fahim), Adam Bessa (Reda) et Lyna Khoudri (Feriel).
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