mardi 5 janvier 2021

Voyages

 

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Voyages (1999) d’Emmanuel Finkiel

Un groupe de personnes âgées d’une association juive parisienne fait un voyage en autocar dans la Pologne d’aujourd’hui. Le but de leur voyage, c’est la visite d’Auschwitz-Birkenau où la plupart d’entre eux ont perdu tous leurs proches.

L’animatrice de l’association reçoit des nouvelles de son père qu’elle croyait mort depuis 1942.

Une vieille juive russe a suivi un jeune couple dans son émigration à Tel-Aviv.

Curieusement, c’est la première partie du film qui a retenu l’attention de la critique lors de sa sortie et cette critique était assez enthousiaste. Le film eut, d’ailleurs, un confortable succès.

Or cette première partie est à la fois la moins réussie et la moins construite du film : elle surfe sur la vague désormais récurrente d’une certaine paranoïa. Le discours de ces vieux juifs est, en fait, le discours que tient une certaine frange de jeunes juifs qui n’ont connu l’holocauste qu’à travers les propos de tierces personnes, alors qu’ils avaient parmi leurs proches des témoins directs qui, eux, refusaient de l’évoquer.

Du coup, cette première partie laisse une impression de malaise : si les contemporains de l’holocauste ont gardé un certain ressentiment vis-à-vis des Polonais (ressentiment exprimé dans l’autocar du film), la grande majorité des survivants n’ont jamais reproché à leurs enfants et petits-enfants de vouloir oublier la tragédie qui les a frappés. D’une certaine manière, on sent que ce reproche, ce sont les jeunes juifs qui se la font eux-mêmes, mélangeant dans une confusion totale, l’ostracisme subi par les fils d’Abraham depuis 4000 ans, la tentative d’anéantissement dont ils furent l’objet de la part des nazis, conséquence d’une effroyable montée en puissance de cet ostracisme et la politique expansionniste de l’Israël de Netanyahou.

Nous retrouvons donc dans cette première partie, les germes de ce manichéisme destructeur propre au discours (qui se voudrait dominant) des juifs de la diaspora, plutôt jeunes, qui estiment qu’Auschwitz dédouane Netanyahou. Ce discours, on ne le retrouve en Israël que chez certains émigrés de fraîche date et dans l’extrême droite du pays. L’opinion chez les autres Israéliens est beaucoup plus nuancée, sinon critique, sur la politique pratiquée par l’état hébreu.

Cette première partie laisse donc, quoi qu’on ait pu en dire à l’époque, une impression assez désagréable que la faiblesse du propos ne vient pas arranger.

Puis, nous arrivons à la deuxième partie et là, le film décolle vraiment. On a souvent qualifié la grande rafle du Vel d’Hiv de « Saint Barthélémy des juifs » et les juifs parisiens sont tous marqués par cette date fatidique du 16 juillet 1942 comme en est marqué Paris qui n’était pas, à l’époque, la capitale de la France. Et cette date charnière hante tout le film de Finkiel : les derniers mots du film sont, du reste : « Oui… à Paris, jusqu’au 16 juillet 1942… ».

C’est d’ailleurs par ce coup de téléphone final que se trouve reliés « in extremis » la deuxième et la troisième partie du film, toutes deux admirables.

La deuxième partie nous rappelle que l’usine de mort nazie engendre encore, soixante ans après le déroulement de la tragédie, de ces erreurs, de ces fausses retrouvailles inévitables pour tous ces juifs qui avaient cru trouver en France un asile sûr et qui, broyés par l’abominable machine, ont disparu dans un anonymat complet. Et cet anonymat n’a visiblement pas épargné les survivants : c’est ce qu’illustre parfaitement l’histoire de ce vieux juif venu de Vilna et de cette femme solitaire qui vont se reconnaître comme père et fille alors qu’il n’en est visiblement rien.

La troisième partie, après la Pologne et Paris, nous transporte à Tel-Aviv. Cette vieille dame ne parle que le Russe, le Yiddish et le Français et son identité juive ne l’empêchera pas de n’être qu’une femme perdue dans un pays étranger qu’elle ne comprend pas et qui ne la comprend pas.

Si la première partie donne dans un manichéisme assez déplacé dans un film tout en nuance, les deux autres parties, avec tact et finesse, font le constat des déchirures et des doutes d’un peuple, d’une entité dont l’histoire oscille depuis des millénaires entre assimilation et ghettoïsation, entre identification et déni, entre le peuple élu de la Torah et la sous-humanité décidée par le nazisme.

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